Chronique d’une certaine idée de la sémantique

« J’ai la prétention de ne pas être aimé par tout le monde, parce que cela signifierait qu’on est aimé par n’importa qui ». Sacha Guitry

Préambule : Flash-back sur un moment bascule de notre rapport aux hommes politiques. Le Grand Jury de RFM en 2005… Invité Idrissa Seck au faîte de sa popularité. L’homme est agile et se fait brillant client face à un Mamadou Ibra Kane plus piégeux que jamais. Il narre son enfance à Thiès, raconte les arachides de sa maman à la porte de l’école, les toitures ouvertes aux trombes pluviales d’hivernages redoutés, nous vante sa combativité, à la limite de l’opiniâtreté, ne cache rien de l’ambition qui l’a toujours habité, genre « moi, président ou rien », affine le décor qui va accueillir les propos qu’il est venu y délivrer, ébauche le contentieux avec son ex-mentor Abdoulaye Wade, et attend LA question dont la réponse est bâtie pour tisser ce lien avec ses compatriotes, qui adorent écouter cet homme qui a fait de la rhétorique un art politique.

Mamadou Ibra Kane se mue en Zidane de l’interview et lui offre une « passe décisive », un tantinet goguenard : « D’où tenez-vous votre fortune? » Tendu comme Usain Bolt dans ses starting-blocks, il délivre une sidérante réponse :  » Je tiens ma fortune des fonds politiques dans lesquels j’ai puisé. J’aurais pu en faire des papillotes, y mettre le feu, mais j’ai fait avec, ce que le Coran me recommande de faire, en faire profiter les pauvres et les nécessiteux »… Un ange passe… Les émotifs crient à l’erreur de communication, mais en fait la démarche de Idy confine au génie politique.

S’il avait dit après sa story-telling à La Zola, qu’il n’avait pas touché à un fifrelin des milliards que Wade lui avait confiés, l’ensemble des Sénégalais auraient crié « mais ki moy dof »… Mais là, enrobé dans l’extinction du soleil qui protège son larcin, enduit de deux ou trois Sourates, son discours en fait un rusé, un Robin des Bois, un Yadikone 2.0, et instaure la norme du politicien milliardaire, dont la seule exigence qui leur est faite, est qu’il soit partageur. « Aka tabé »…Tout est donc question de sémantique…

Un président de devrait pas dire ça 

Un président de la république ne doit pas s’emporter aussi facilement encore moins utiliser de gros mots en public.  Voilà un président dont on disait en 2012  qu’il était humble , poli et peu bavard . En 2023 , il est devenu querelleur , très bavard  et surtout à la limite de l’arrogance et de l’amertume, alors qu’à 3 mois de « la quille », et des belles missions que Macron, Biden et Cie lui prédisent, il devrait plutôt être plus détendu du cortex, faire la sourde oreille, fermer les yeux, esquiver, et au final en sortir grandi.

«Escrocs»?. Dixit celui qui avait dit que Wade lui avait offert 8 milliards…  Voilà comment le Président Macky Sall a qualifié Pierre Atepa Goudiaby et ses camarades du «Collectif des cadres casamançais». Des mots très forts qui ont suscité surprise et indignation chez nombre de nos concitoyens. Un des problèmes de notre pays réside dans le fait que le président peut traiter n’importe qui d’escroc, mais lorsque vous vous aventurez à traiter d’escroc, le moindre ministre passé sans s’en apercevoir, du Ndiaga Ndiaye à la Bentley, c’est le mandat de dépôt assuré. Les propos tenus par le chef de l’état à l’endroit du sémillant architecte, d’ancienne et d’universelle renommée, sont d’une violence verbale terrible, et c’est regrettable.

Parler de la sorte à une partie de « ses » concitoyens est une faute morale pour un président de la République.

Osons espérer que les propos du chef de l’Etat relèvent plutôt d’une réaction émotionnelle, due à une nuit agitée ou contrariante. Escroc? Il y a un sérieux problème de sémantique entre celui qui a annonce lui même en 2012 un patrimoine de 7 millards pour n’avoir occupé que des fonctions publiques  au  gouvernement et Atepa qui a fait sa fortune en tant qu’entrepreneur privé par la sueur de son front, au gré de son talent, au Sénégal et ailleurs… Cherchez l’escroc ? Ce pays marche sur la tête et offre à nos neurones pétrifiés le spectacle d’hommes au CV de « faux-lions », comme un célèbre Bougazelli, n’ayant jamais donné le moindre de leurs francs à leur pays, caricatures éhontées de notre personnel politique, bombardés députés, émargeant à plusieurs millions de francs, logés, meublés, véhiculés, gas-oil-isés, et qui toute honte bue, fabriquent sans frémir des milliards de faux billets, trafiquent des faux passeports diplomatiques, et continuent d’être des convives assidus aux ndogus républicains, pour amuser la galerie.

Si Atepa est un escroc, comme le dit Macky Sall, pourquoi ne pas l’emprisonner? A-t-on emprisonné les moins que rien, sortis de nulle part, devenus milliardaires en 12 ans? Atepa a travaillé pour avoir ce qu’il a et être ce qu’il est. Il faut que l’on apprenne à se respecter. Un véritable leader doit avoir de la tenue en public, et « savoir s’empêcher ».

Ou alors Macky Sall donne le ton d’une campagne électorale qui, à défaut de proposer un vrai débat comme le méritent des Sénégalais aux espoirs chahutés par l’indigence d’une caste politicienne atone et aphone, va nous offrir un « barnum politique » digne des bagarres de borne-fontaines. Concorde nationale? Plan Sénégal Enervant? Ou escroquerie politique? Homme politique ou homme d’état? Nous avons définitivement un problème de sémantique.

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Journaliste de formation, J.P.C est une voix radiophonique unique mais aussi une plume corrosive. Ses analyses fines sur la vie politique, sociale et culturelle du Sénégal font références. Ses éditos sont sur Kirinapost.

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