29 décembre: Naissance de Cheikh Anta Diop, combattant de toutes les luttes d’indépendance

On présente généralement Cheikh Anta Diop (CAD) comme un sage, une personne calme, posée, plongée dans ses recherches et abhorrant les mondanités. On le décrit comme une personne bienveillante, qui aimait recevoir dans son bureau même de l’IFAN, pas seulement des chercheurs du monde entier, mais les gens ordinaires, les paysans venus du fin fond du Sénégal.

C’est lui-même qui nous le dit : « Chez nous, tout est absorbé par le social, du matin au soir. Je fais du social, vous savez, les gens qui viennent du fin fond de la brousse, qui meurent de faim et supportent des conditions matérielles très difficiles, etc. Vous connaissez ces problèmes… Et bien malgré tout cela, il faut travailler tout le temps, et ce n’est pas facile ».

L’empathie, la compassion, la bienveillance étaient des sentiments dont il était constamment imprégné. Il précise : « Toute ma vie, je resterai avec tous les Africains, je n’ai jamais cultivé la distance, à quelque catégorie qu’ils appartiennent, entre les Africains et moi. Chez moi, les gens viennent quand ils veulent, rien n’est fermé. »

Jeune étudiant, CAD était pourtant bouillonnant. Politiquement engagé, il était impliqué dans toutes les luttes des jeunes Africains pour l’indépendance de l’Afrique.  Déjà élève à Diourbel, CAD, opposé aux idées racistes de son enseignant colonialiste, a un jour conduit sa voiture sans autorisation et l’a fait accidenter. M. Levasseur, c’est son nom, rouge de colère, demande qu’on le rembourse.

Mame Cheikh Anta Mbacké (de qui CAD tient son prénom), frère de Cheikh Ahmadou Bamba, mis au courant de l’affaire, ne sermonne pas le jeune CAD. Tout le monde dans ce milieu comprenait que c’était une forme de résistance. Mame Cheikh Anta demande simplement qu’on lui dise le prix d’une telle voiture et déclare qu’il est même prêt à en payer 10 s’il le faut.

Au lycée Faidherbe à Saint-Louis, CAD a organisé une grande manifestation pour s’opposer à la venue du général Giraud. Ce dernier, envoyé par de Gaulle, avait des positions colonialistes clairement exprimées. À Paris, CAD était de toutes les luttes. Il a plusieurs fois eu maille à partir avec la police. Quand ses amis étaient malmenés par les forces de l’ordre, il prenait leur défense sans même savoir de quoi il retournait. Il se faisait donc embarquer avec eux dans les fourgonnettes de la police.

Son ami, le professeur Pathé Diagne (à qui on souhaite une bonne santé) nous dit que c’est seulement en cours de route qu’il demandait à ses amis : « Bon, dites-moi maintenant, ce que vous avez encore fait et de quoi il s’agit ? »

Les jeunes bouillonnants étudiants de l’époque nourrissaient même le projet d’assassiner le gouverneur général de l’AOF, Paul Béchard, accusé des dérives colonialistes de la métropole.Dénonçant toutes formes d’injustices touchant les étudiants et les Africains du continent, CAD nous dit qu’il était un jeune homme en colère : « J’étais un jeune homme en colère à l’époque et plus on me résistait, plus je devenais déterminé et têtu. »

Il se sentait, comme beaucoup de jeunes de son époque, doté d’une mission, celle de libérer un continent. « J’appartiens, dit-il, à cette génération qui a fait le serment intérieur de reconstruire l’Afrique, rien ne devait nous arrêter… Aucun obstacle ne devait tenir devant nous, voilà la vérité. Il fallait faire fi de tout, faire une croix sur tout. »

Devenu adulte, replié en ermite dans son laboratoire de l’IFAN, il savait que le continent aurait toujours besoin de la fougue de la jeunesse pour se libérer.  Il s’est constamment adressé aux jeunes dans ses textes et dans ses discours : La jeunesse, écrivait-il, doit être à l’avant-garde de la libération de notre continent.

Je sens, disait-il, que les masses trouveront dans leurs propres rangs le type d’avant-garde politique, composé de jeunes Africains, altruistes et politiquement motivés, pour déclencher un puissant mouvement à l’échelle du continent.

Son message ultime est d’ailleurs adressé aux jeunes : « Le plus grand plaisir que vous puissiez faire à un homme comme moi, serait de découvrir en vous, cette volonté inébranlable de construire l’Afrique, de continuer le peu qui a déjà été fait. »  Les jeunes, je le crois, semblent avoir entendu le message.

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Khadim Ndiaye est philosophe, historien et éditeur sénégalais. Membre du Collectif contre la célébration de Faidherbe, il travaille beaucoup sur les questions de mémoires et celles qui touchent au fait coloniale. Grand militant des langues nationales, Khadim est auteur de: "Le français, la francophonie et nous". Les analyses de ce disciple de Cheikh Anta Diop, élève de Boris Diop et de Souleymane Bachir Diagne sont sur Kirinapost.

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