Le capitalisme est « matériellement dépassé et idéologiquement défunt » – Steve Paxton

Le capitalisme existe depuis si longtemps qu’il est même difficile pour les gens d’imaginer un monde sans lui. Pourtant, il est loin d’être une loi physique immuable. En fait, le capitalisme est désormais « matériellement dépassé et idéologiquement défunt », soutient l’auteur britannique Steve Paxton dans son livre à paraître, How Capitalism Ends [Zero Books, 2022. Comment le capitalisme prend fin, NdT]. « L’ère capitaliste a fourni l’abondance matérielle nécessaire à une société humaine libre, mais le capitalisme ne peut pas offrir la liberté que sa capacité de production rend possible. » Dans l’entretien qui suit, Paxton partage avec Truthout ses réflexions sur les contours, les contradictions et le crépuscule du capitalisme. Source : Truthout, C. J. Polychroniou, Steve Paxton, Les-Crises

 

Le capitalisme est « matériellement dépassé et idéologiquement défunt » – Steve Paxton, Information Afrique Kirinapost

Actuellement, 26 milliardaires possèdent la même richesse que les 3,8 milliards de personnes les plus pauvres de la planète.
OSAKAWAYNE STUDIOS / GETTY IMAGES

 

Paxton est également l’auteur de Unlearning Marx – Why the Soviet Failure Was a Triumph for Marx [Zero Books, 2021. Désapprendre Marx – Pourquoi l’échec soviétique est un triomphe pour Marx, NdT]. En plus de sa carrière universitaire à Oxford, Steve Paxton a travaillé sur des chantiers de construction et dans des magasins de paris, a été programmeur PHP et concepteur de T-shirts, a été employé, indépendant et chômeur, col bleu, col blanc et sans col. Il travaille actuellement comme ingénieur tri-vision en été, installant et entretenant des écrans de visualisation sur les terrains de cricket, et comme concepteur de bases de données en hiver.

C. J. Polychroniou : Le capitalisme est apparu en Europe occidentale au cours du long XVe siècle et est passé depuis par plusieurs étapes distinctes. Son succès réside dans le fait qu’il a réorganisé la production et augmenté la capacité de production à un rythme sans précédent. Cependant, il y a de bonnes raisons de penser que « ce système est désormais intolérable », comme l’a dit le pape François dans un discours il y a quelques années. En effet, dans votre propre livre à paraître, How Capitalism Ends, vous affirmez que le capitalisme a atteint ses limites. Commençons par expliquer, de votre point de vue, la résilience historique du capitalisme, étant donné que le système a connu une myriade d’échecs dans le passé mais continue de survivre jusqu’à aujourd’hui.

Tout d’abord, nous ne devrions peut-être pas nous laisser emporter par l’idée que le capitalisme est super-résistant. Bien que les premiers développements du capitalisme remontent à avant 1500, il a fallu attendre la fin du XVIIe siècle pour que la bourgeoisie domine le pouvoir politique en Angleterre et plus d’un autre siècle pour que l’intérêt bourgeois français soit en mesure d’égaler cette réussite. Le processus de confiscation – un aspect fondamental du développement du capitalisme en Grande-Bretagne – s’est poursuivi jusque dans la seconde moitié du XIXe siècle, de sorte que l’on pourrait affirmer que la transition vers le capitalisme a duré plus longtemps que le capitalisme proprement dit n’a existé jusqu’à présent. Mais, oui, le capitalisme a survécu à de nombreuses crises – en grande partie de son propre fait – et l’une des raisons en est sa capacité unique à favoriser un développement technologique rapide et donc à augmenter massivement la capacité de production. Si le développement capitaliste a toujours eu un coût humain terrible, il y avait aussi une justification : l’augmentation de la capacité de production a permis d’améliorer le niveau de vie et l’espérance de vie d’une grande partie de la population mondiale. Les plaintes contre les injustices du capitalisme ont longtemps été accueillies par des références à son efficacité – le gâteau n’est peut-être pas divisé de manière égale, mais il augmente inexorablement en taille. Si l’on ajoute à cela le fait qu’une part importante du labeur et de la misère qu’implique la production capitaliste a été exportée vers le sud du globe, cela signifie que, jusqu’à ces dernières décennies, la plupart des habitants des économies capitalistes jouissaient d’une vie matérielle meilleure que celle de leurs parents, ce qui, pour beaucoup, ressemble à un progrès. Le problème est que ce progrès est toujours unidimensionnel – la nature du capitalisme est qu’il s’agit toujours de croissance, de produire plus et mieux. Même les capitalistes reconnaissent que le système est fondé sur la cupidité et l’intérêt personnel.

Les capitalistes ne cherchent pas à répondre à nos besoins, mais à accroître leur propre richesse, mais – c’est ce qu’on dit – sous le capitalisme, le moyen le plus facile de s’enrichir est de répondre à nos besoins mieux que n’importe quel concurrent. Cette idée remonte à Adam Smith et, pendant un certain temps, il était vrai qu’un sous-produit de l’intérêt capitaliste était l’amélioration du niveau de vie pour beaucoup – pas pour tous, certes, mais pour suffisamment pour émousser l’opposition au système capitaliste. Nous avons cependant atteint un point où plus de biens ne résoudra pas les problèmes auxquels nous sommes confrontés. Le lien entre ce qui rapporte de l’argent aux capitalistes et ce qui fait progresser la civilisation s’est rompu. Peut-être devrions-nous nous fixer comme objectif de répondre aux besoins réels des gens, indépendamment de leur capacité à payer pour leur subsistance, plutôt que d’essayer de répondre aux ambitions des entrepreneurs d’acheter plus de yachts et d’espérer que les affamés puissent être nourris comme un sous-produit de ce processus.

Comme tous les systèmes, le capitalisme crée également une histoire convaincante sur le fait qu’il n’est pas vraiment un système, mais juste la façon dont le monde doit inévitablement être et c’est un récit difficile à contester pour les opposants. La conversation que nous devons avoir de toute urgence – et à laquelle, je l’espère, ce livre contribue – porte sur ce à quoi pourrait ressembler un monde post-capitaliste et sur la manière dont nous devons nous y rendre…

Vous affirmez dans votre livre que « la rareté n’est plus notre ennemie » et que l’inégalité est le principal problème. Voulez-vous dire que le capitalisme a résolu le problème de la rareté ? Par ailleurs, le capitalisme et l’inégalité ne sont-ils pas liés ?

Le capitalisme a-t-il résolu le problème de la rareté ? En grande partie, oui, dans la mesure où les principaux problèmes auxquels nous sommes confrontés au XXIe siècle ne sont pas dus à une capacité de production insuffisante, mais à l’absence de mécanismes permettant de répartir plus raisonnablement les fruits de cette capacité. Actuellement, 26 milliardaires possèdent la même richesse que les 3,8 milliards de personnes les plus pauvres de la planète – et la quasi-totalité de ces 3,8 milliards vivent dans la pauvreté – avec un accès limité à la nourriture, à l’eau potable, aux médicaments de base, au logement, à la sécurité et à l’éducation. Au niveau mondial, nous produisons suffisamment de biens matériels pour tous les habitants de la planète. Cette affirmation peut sembler étrange, étant donné que 9 millions de personnes meurent de faim et de causes connexes chaque année, mais nous jetons 1,3 milliard de tonnes de nourriture par an et 28 % de la surface agricole mondiale est utilisée pour produire des aliments qui sont perdus ou gaspillés.

Au XXIe siècle, le problème de la pauvreté humaine est un problème de distribution, et non de pénurie. L’ère capitaliste a fourni l’abondance matérielle nécessaire à une société humaine libre, mais le capitalisme ne peut offrir la liberté que sa capacité de production rend possible. Il est temps de passer à une structure économique qui puisse offrir cette liberté.

Le lien entre capitalisme et inégalité est complexe. L’inégalité était également une caractéristique de la société précapitaliste, elle n’est donc pas propre au capitalisme, mais en termes de richesse matérielle, il est clair que le capitalisme a engendré des niveaux d’inégalité inimaginables auparavant. D’un autre côté, l’idéologie capitaliste exige la reconnaissance de certains types d’égalité – l’inégalité politique et juridique de l’ère féodale a freiné le développement capitaliste et les idéologues de la bourgeoisie émergente ont exigé qu’il y soit mis fin. Bien que l’égalité exigée par la philosophie capitaliste soit strictement limitée à l’égalité devant la loi et (éventuellement) à l’égalité de la participation politique, et bien que le capitalisme réellement existant ait souvent échoué à réaliser ces idéaux limités, il est important de noter que l’idéologie de l’ère capitaliste insiste sur l’égalité de quelque chose – qu’il existe certains droits qui reviennent aux individus simplement parce qu’ils sont des humains, plutôt qu’en raison d’un statut social particulier ou d’un titre hérité. Ce qu’il faut retenir, c’est que l’instinct d’égalisation – c’est-à-dire la tendance à l’égalitarisme – n’est pas une ambition idéologique anticapitaliste. La différence entre l’idéologie capitaliste et l’idéologie socialiste n’est pas que l’une favorise l’égalité et l’autre non, mais le type et l’étendue de l’égalité que chacune exige. Ainsi, tant que l’égalitarisme sera perçu comme une position anticapitaliste, les défenseurs du capitalisme continueront à présenter les caricatures de l’esprit égalitaire comme une fantaisie utopique vouée à l’excès absurde. Lire la Suite ICI: https://www.les-crises.fr/le-capitalisme-est-materiellement

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