Dividende démographique et emploi au Sénégal : défis et enjeux

A l’instar de nombreux pays de l’Afrique subsaharienne, le #Sénégal a connu au cours de ces dernières décennies un accroissement de sa population. Les données sur l’évolution de la population indiquent une croissance démographique régulière et forte pour le Sénégal. Selon les estimations de l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD), la population du Sénégal est passée de 13 508 715 habitants en 2013 à 18 275 743 habitants en 2023 [ 1 ]. Au regard du sexe, en 2023, il est observé une répartition presque égalitaire entre les hommes (49,7%) et femmes (50,3%).

𝙐𝙣𝙚 𝙘𝙧𝙤𝙞𝙨𝙨𝙖𝙣𝙘𝙚 𝙙𝙚́𝙢𝙤𝙜𝙧𝙖𝙥𝙝𝙞𝙦𝙪𝙚 𝙨𝙤𝙪𝙩𝙚𝙣𝙪𝙚

Les perspectives démographiques du Sénégal militent en faveur d’un accroissement de sa population en raison du taux de fécondité qui reste toujours à un niveau élevé malgré une tendance baissière observée et du ralentissement de la mortalité infantile, combinée à une espérance de vie plus longue quoique les niveaux de mortalité restent toujours élevés. Les projections montrent une bonne dynamique globale de l’évolution de l’espérance de vie au Sénégal en raison des avancées significatives dans la santé et des efforts de développement. L’espérance de vie est passée de 64,7 ans en 2013 à 69,2 ans en 2023 et devrait atteindre 74,6 ans en 2035. Les statistiques des naissances indiquent que le Taux Brut de Natalité (TBN) a oscillé entre 35,6 ‰ (2013) à 31,9 ‰ (2023).

Contrairement à l’Europe où la population va diminuer, la population sénégalaise, comme dans bien des pays africains, doublera d’ici 2050. Les perspectives démographiques tendancielles montrent que la population du Sénégal devrait atteindre 38 987 234 habitants en 2050. L’Afrique, quant à elle, comptera 2,49 milliards d’habitants à la même période [ 2 ] ; elle abritera à elle seule environ le quart (26%) de la population mondiale en 2050.

𝙐𝒏 𝒎𝙖𝒓𝙘𝒉𝙚́ 𝙙𝒖 𝒕𝙧𝒂𝙫𝒂𝙞𝒍 𝒔𝙤𝒖𝙨 𝙥𝒓𝙚𝒔𝙨𝒊𝙤𝒏

Comme chez la plupart des pays en transition démographique, le marché du travail sénégalais doit faire face au défi de la croissance démographique. Avec un taux annuel de croissance démographique estimé à 2,8% en 2017 et un doublement de sa population tous les 25 ans, le Sénégal est caractérisé par un faible niveau de création d’emplois et une faible proportion d’emplois de qualité.

Alors que le Sénégal n’a pas suffisamment tiré profit de son dividende démographique, la forte croissance démographique observée depuis des années exerce de fortes pressions sur le marché du travail. En effet, l’accroissement de la population sénégalaise, combiné à une urbanisation galopante, augmente les besoins en emplois notamment pour les jeunes qui sont majoritaires et représentent de potentiels demandeurs d’emplois. Le boom attendu de la croissance démographique sera associé à une augmentation de la demande des chercheurs d’emploi dans un contexte où le marché du travail traverse depuis longtemps une crise structurelle aux facettes multiples.

𝙐𝒏𝙚 𝙥𝒐𝙥𝒖𝙡𝒂𝙩𝒊𝙤𝒏 𝒂𝙘𝒕𝙞𝒗𝙚 𝙟𝒆𝙪𝒏𝙚

Au Sénégal, comme ailleurs sur le continent, les caractéristiques démographiques par âge mettent en lumière une population relativement jeune. L’âge moyen d’un sénégalais est de 18 ans, l’un des plus faibles dans le monde. En 2023, il ressort que 52% de la population a moins de 20 ans et 61% moins de 25 ans. Les tendances démographiques militent en faveur de la persistance d’une prédominance des jeunes dans la structure globale de la population, au moins jusqu’à la fin du siècle. Les jeunes en âge de travailler, âgés entre 15 et 34 ans, constituent plus de la moitié de la population active. A côté du poids important des jeunes dans la population active, se pose la grande problématique liée à leur insertion sur le marché du travail.

𝘿𝙞𝙫𝙞𝙙𝙚𝙣𝙙𝙚 𝙙𝙚́𝙢𝙤𝙜𝙧𝙖𝙥𝙝𝙞𝙦𝙪𝙚 : 𝙪𝙣𝙚 𝙤𝙥𝙥𝙤𝙧𝙩𝙪𝙣𝙞𝙩𝙚́ 𝙪𝙣𝙞𝙦𝙪𝙚 𝙖̀ 𝙨𝙖𝙞𝙨𝙞𝙧

Plusieurs études scientifiques ont mis en évidence une corrélation positive entre le dividende démographique et la croissance économique. Dans le cas spécifique du Sénégal, les recherches menées par Dramani en 2016 [ 3 ] ont démontré une relation positive entre le dividende démographique et le développement économique du pays.

Le dédoublement de la population en âge de travailler d’ici 2050 représente une opportunité qui peut être exploitée positivement afin de stimuler la croissance économique et réduire la pauvreté. En effet, cette population juvénile peut être une opportunité de développement en termes de bonus démographique si l’économie sénégalaise parvient à offrir des opportunités d’emploi notamment pour les jeunes avec une création massive d’emplois de qualité. Le nombre croissant de personnes en âge de travailler au Sénégal représente une opportunité exceptionnelle pour le développement économique à long terme. Cette population active en expansion peut contribuer de manière significative à la croissance économique du pays, à condition que des politiques et des mesures appropriées soient mises en place pour exploiter pleinement ce potentiel. L’augmentation de la population active peut entraîner une augmentation de la production économique, notamment grâce à une augmentation de la main-d’œuvre disponible pour les entreprises. Cela peut stimuler la croissance économique, créer des emplois et réduire le chômage, ce qui à son tour contribue à la réduction de la pauvreté et des inégalités en offrant des opportunités économiques aux individus.

De plus, la réalisation du dividende démographique peut avoir un impact positif sur l’épargne. Avec une population active plus importante, il y a potentiellement plus de ménages capables d’épargner une partie de leurs revenus. Cette épargne accrue peut être dirigée vers les banques et autres institutions financières, augmentant ainsi les fonds disponibles pour le financement des investissements des entreprises et des projets d’infrastructure. En conséquence, cela permet d’obtenir des gains de productivité, avec des retombées positives sur la croissance à long terme en général et, en particulier sur l’emploi.

Le dividende démographique peut ainsi hisser le Sénégal au rang des pays émergents. Pour cela, le Sénégal doit être suffisamment préparé et mettre en œuvre des politiques et des réformes adéquates pour ne rater ce grand rendez-vous avec l’histoire. Pour maximiser les avantages du dividende démographique, il est essentiel de mette en œuvre des politiques qui favorisent la création d’emplois de qualité, l’éducation et la formation professionnelle, ainsi que l’accès équitable aux opportunités économiques pour tous les segments de la population. De plus, des efforts pour améliorer le climat des affaires et encourager l’investissement privé seront également nécessaires pour soutenir la croissance économique à long terme et maximiser les bénéfices du dividende démographique.

𝘿𝒊𝙫𝒊𝙙𝒆𝙣𝒅𝙚 𝙙𝒆́𝙢𝒐𝙜𝒓𝙖𝒑𝙝𝒊𝙦𝒖𝙚 : 𝙪𝒏𝙚 𝙨𝒐𝙪𝒓𝙘𝒆 𝒅𝙚 𝙙𝒂𝙣𝒈𝙚𝒓

Si le bonus démographique peut être une source de croissance économique et de développement, la forte proportion des jeunes dans la population peut constituer un danger et un facteur d’instabilité sociale et politique pour le Sénégal. Le chômage élevé parmi les jeunes peut causer des tensions sociales, surtout s’ils se sentent exclus des opportunités économiques disponibles et du marché de l’emploi. Dans certains cas, ce sentiment d’exclusion et de frustration peut conduire à une hausse de la criminalité et de la délinquance. De plus, la pression croissante sur les services sociaux de base et les infrastructures crée d’énormes défis au Sénégal, où les ressources sont limitées. Les investissements importants dans l’éducation, la santé, le logement et d’autres services sociaux de base sont nécessaires pour répondre aux besoins croissants et cruciaux de la population jeune.

𝙐𝙣 𝙘𝙚𝙧𝙘𝙡𝙚 𝙫𝙚𝙧𝙩𝙪𝙚𝙪𝙭 𝙚𝙣𝙩𝙧𝙚 𝙘𝙧𝙤𝙞𝙨𝙨𝙖𝙣𝙘𝙚 𝙙𝙚́𝙢𝙤𝙜𝙧𝙖𝙥𝙝𝙞𝙦𝙪𝙚 𝙚𝙩 𝙘𝙧𝙚́𝙖𝙩𝙞𝙤𝙣 𝙢𝙖𝙨𝙨𝙞𝙫𝙚 𝙙𝙚𝙢𝙥𝙡𝙤𝙞𝙨

La croissance de la population en âge de travailler doit être associée à une création massive d’emplois de qualité notamment pour les jeunes qui vont arriver massivement sur le marché du travail. L’existence d’un nombre élevé de chômeurs et de nouveaux demandeurs d’emploi dans un contexte où l’offre d’emplois est limitée crée un déséquilibre sur le marché du travail. Selon les statistiques, 300 000 nouveaux demandeurs d’emplois sont enregistrés chaque année [ 4 ]. Alors que la croissance démographique du pays offre un potentiel important en termes de main-d’œuvre active, le chômage massif des jeunes limite les possibilités de réaliser pleinement ce potentiel.

𝙇𝙖 𝙥𝙧𝙤𝙗𝙡𝙚́𝙢𝙖𝙩𝙞𝙦𝙪𝙚 𝙙𝙚 𝙡𝙪𝙧𝙗𝙖𝙣𝙞𝙨𝙖𝙩𝙞𝙤𝙣

Les changements démographiques observés au cours des dernières décennies ont eu des répercussions sur le processus d’urbanisation qui est loin d’être achevé. Même si la population rurale est aujourd’hui plus représentée, l’écart se resserre progressivement entre les villes et les campagnes. La population urbaine au Sénégal est passée de 45,2% en 2013 à 47,8% en 2023.

Avec un taux d’urbanisation de 96% en 2023, Dakar vit une situation de macrocéphalie. Avec près de 3 896 563 d’habitants en 2023 [ 5 ], l’agglomération de Dakar représente à elle seule moins du quart (22%) de la population alors qu’elle occupe 0,3% seulement du territoire national. En 2023, les dakarois vivent dans une superficie d’environ 535 km² avec une densité de population de 7 277 habitants au km2. Un chiffre qui dépasse très largement celui des autres régions et la moyenne nationale stabilisée à 92 habitants au km2 en 2023 (ANSD, 2023). La région de Dakar abrite également la capitale économique avec l’essentiel des services et entreprises multinationales. Dakar concentre à elle seule 80% de l’activité économique. Dakar est aussi le symbole d’une urbanisation galopante, non contrôlée et non planifiée. La région de Dakar est limitée dans son expansion puisqu’elle est seulement extensible dans sa partie est, accolée à la région de Thiès ; elle est limitée par l’océan Atlantique au nord, à l’ouest et au sud.

Malgré le renforcement de la politique de décentralisation à travers le Plan Sénégal Émergent (PSE), l’acte III de la décentralisation et l’érection de nouveaux pôles urbains, le Sénégal doit faire aux déséquilibres territoriaux qui entravent le développement économique local ainsi que la valorisation et l’exploitation des potentialités économiques des territoires. Si l’objectif général de l’acte III de la décentralisation est d’élaborer « une nouvelle politique nationale de décentralisation qui permet d’asseoir des territoires viables et compétitifs, porteurs d’un développement durable » « organiser le Sénégal en territoires viables, compétitifs et porteurs de développement durable » acte III Bilan acte III, les résultats escomptés n’ont pas été obtenus.

𝑫𝙚𝒔 𝒅𝙚́𝒇𝙞𝒔 𝒑𝙚𝒓𝙨𝒊𝙨𝒕𝙖𝒏𝙩𝒔 𝒑𝙤𝒖𝙧 𝙡𝙚𝒎𝙥𝒍𝙤𝒊 𝒓𝙪𝒓𝙖𝒍

En raison partiellement d’une urbanisation fulgurante et d’un accroissement rapide de sa population, le Sénégal est confronté aujourd’hui à une importante crise de l’emploi affectant notablement les territoires ruraux. Les populations rurales, issues souvent de familles de petits paysans ou exploitants agricoles, migrent vers les grands centres urbains du fait d’absence d’opportunités économiques au niveau local.

Si on remonte dans le temps, les premières vagues de migration à destination de Dakar et des villes ont débuté à partir des années 1970 avec le déclin progressif de l’économie rurale agricole. En effet, le secteur agricole était essentiellement porté par la culture de l’arachide qui trouve ses racines dans l’époque coloniale. Les différents problèmes qui touchent le secteur agricole à partir de 1968 font que les paysans étaient de moins en moins attirés par l’agriculture. Les difficultés étaient tellement accrues au point que cette situation était dénommée « le malaise paysan ». Au même moment, le déficit de pluviométrie et la sécheresse [ 6 ] ont aggravé la situation déjà difficile. Par la suite, le désintérêt croissant des paysans pour la culture arachidière [ 7 ], auparavant une importante source d’emplois, a précipité son déclin et intensifié l’exode rural [ 8 ].

La persistance de la pénurie d’emplois dans les territoires ruraux, malgré les opportunités favorables à l’insertion professionnelle des jeunes, continue d’alimenter l’exode rural vers les zones urbaines. Cette situation aggrave la saturation urbaine, accentuant la pression sur les grandes villes en termes d’emploi [ 9 ]. Pour combattre l’exode rural, il est essentiel d’investir massivement dans des secteurs ruraux générateurs de richesse et d’emplois. L’insertion professionnelle des jeunes ruraux nécessite des investissements importants dans l’éducation et la formation professionnelle et technique. Il est également crucial de soutenir l’autonomisation économique des femmes rurales et de développer des mécanismes d’accompagnement innovants adaptés, car elles constituent une grande force de travail en milieu rural. Encourager les petits exploitants agricoles à collaborer est aussi essentiel pour accroître leur productivité et leur accès aux marchés.

𝐑𝐞́𝐟𝐞́𝐫𝐞𝐧𝐜𝐞𝐬 𝐛𝐢𝐛𝐥𝐢𝐨𝐠𝐫𝐚𝐩𝐡𝐢𝐪𝐮𝐞𝐬

[ 1 ] ANSD [Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie] (2019). Projections démographiques.

[ 2 ] UN Population Division Data Portal, https://population.un.org/dataportal/home. Consulté le 21 mai 2024.

[ 3 ] Mbaye, A. (2023). Quelle réponse politique à la lancinante question de l’emploi des jeunes sénégalais ? Etat des lieux et plan d’action opérationnel.

[ 4 ]Dramani, Latif. (2016). Impact Du Dividende Demographique Sur La Croissance Economique Au Senegal. African Population Studies. 32. 10.11564/30-2-887

[ 5 ] ANSD [Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie] (2023). RGPH-5, résultats préliminaires.

[ 6 ] Ndong, J-B (1995). L’évolution de la pluviométrie au Sénégal et les incidences de la sécheresse récente sur l’environnement / The evolution of rainfall in Senegal and the consequences of the recent drought on the environment. In: Revue de géographie de Lyon, vol. 70, n°3-4, 1995. Sahel, la grande secheresse. pp. 193-198.

[ 7 ]

Daffé, G. et Diagne, A. (2009). Le Sénégal face aux défis de la pauvreté. Les oubliés de la croissance. Paris, France : Éditions Karthala., p.10.

Mbodj, M. (1992). La crise trentenaire de l’économie arachidière. Dans M.-C. Diop (dir), Sénégal. Trajectoire d’un État. Paris, France : Edition Karthala/Codesria, 95-135.

[ 8 ] Diop, M.-C (2006). Essai sur un mode de gouvernance des institutions et des politiques publiques, Sénégal (2000-2012) : les institutions et politiques publiques à l’épreuve d’une gouvernance libérale.

[ 9 ] Kane, A. (2014). Dynamique de l’emploi au Sénégal : un suivi de cohortes sur la période 1992-2011. Revue d’économie du développement, 22, 75-105. https://doi.org/10.3917/edd.281.0075

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Codé Lo est docteur en économie, Ingénieur statisticien économètre. Ses travaux portent sur l'éducation et les questions de développement.

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