ARTHUR LEWIS, LE SECTEUR TRADITIONNEL ET LA DÉCOLONISATION DES SCIENCES ÉCONOMIQUES

Le 29 septembre 1979 Arthur Lewis devenait le premier et seul noir lauréat du Prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel couramment appelé Prix Nobel des sciences économiques. Quoique son héritage scientifique, sa postérité l’associent à une approche sociale-démocrate (gauche libérale britannique), une autre voie aurait pu soutenir sa postérité intellectuelle, celle de la décolonisation des sciences économiques.

Arthur Lewis tire une leçon majeure de deux faits inassimilables aux habitudes de pensée. Premier fait, l’impossibilité de faire pousser du café dans tous les pays obligeait à rejeter le paradigme dominant d’Heckscher-Ohlin qui supposait que les conditions de production étaient les mêmes dans le monde (une fonction de production). Deuxième fait, l’histoire économique de la révolution industrielle avait montré que pendant un demi-siècle les salaires relatifs étaient restés constants en Grande Bretagne alors que les profits et l’épargne augmentaient ; ce qui normalement aurait dû avoir pour effet de faire grimper les salaires et réduire la rémunération du capital (abondant). Ces deux faits insolubles dans le paradigme ancien, trouvaient avec Lewis une résolution. Des économies en développement dites duales, caractérisées par l’existence d’un secteur traditionnel et d’un secteur moderne naissant d’une part, et par une main d’œuvre rurale « illimitée » dont le transfert vers l’activité des villes traduirait le processus d’industrialisation.

Si cette réflexion sur le dualisme économique a été récompensée par le « prix Nobel », on en a oublié que tout en prônant l’industrialisation et non pas exclusivement l’agriculture pour les PED, Arthur Lewis avait mis en avant un secteur économique dit « traditionnel ». Ce secteur qui englobe les productions domestiques, vivrières et artisanales avec une productivité selon lui faible, n’en laissa pas d’être un ensemble d’activités, de savoir-faire, d’artisanats que l’économie standard rendait invisibles.

Rendre hommage à l’éminent caribéen et panafricaniste qui conseilla Nkrumah en tant qu’envoyé des Nations Unies au Ghana, serait aussi produire des recherches, énoncés, réflexions profondes sur le secteur traditionnel de l’économie, sa variété productive, ses techniques, son patrimoine, ses offres et demandes, ses prix, ses régulations, sa contribution à l’amélioration des conditions de vie des Africains.

Share

Martial Ze Belinga est un économiste et sociologue camerounais. Son travail porte spécifiquement sur l’épistémologie de l’histoire africaine, les préjugés et les silences qui biaisent la compréhension du passé de l’Afrique et des diasporas africaines. L'art et la culture tiennent une place centrale dans son travail. À ce titre il est l'auteur de plusieurs ouvrages parmi lesquels: "Au-delà de l’inculturation. De la valeur propositionnelle des cultures africaines". Pour l'économie, ses travaux ont beaucoup porté sur la monnaie notamment le FCFA. il est l'auteur entre autres de: "Afrique et mondialisation prédatrice". Expert associé au comité scientifique international de l’UNESCO pour l’Histoire générale de l’Afrique, Belinga est éditorialiste et avait lancé le site Afrikara dédié à l'histoire, la culture et l'avenir du monde noir. Il a été par ailleurs sélectionné parmi les 20 « Experts » représentatifs de la diversité (Club XXIe siècle, France)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *