Proposition pour un nouveau modèle agricole

Une chronique de David Cayla dans letempsdesruptures novembre 2022

Aujourd’hui la France n’est pas autosuffisante et ne pourrait pas nourrir sa population en cas de crise mondiale. Repenser le modèle agricole en créant un secteur vivrier et un secteur tourné vers l’exportation est une piste explorée dans cette première chronique écrite par David Cayla.

Connaissez-vous le MODEF ? C’est le Mouvement de défense des exploitants familiaux, un syndicat agricole créé en 1959 pour défendre les intérêts des petits paysans, souvent fermiers et métayers, dont la FNSEA, alors en transition vers un modèle d’agriculture industrielle, s’était désintéressée. Clairement ancré à gauche, le MODEF fut pendant longtemps la principale organisation à s’opposer à la FNSEA. Mais la disparition de nombreuses petites exploitations familiales dans les années 1970 et 1980 finit par détruire sa base sociale. Dans les années 1990, l’émergence de la Confédération paysanne et de sa figure médiatique José Bové contribua à marginaliser politiquement le MODEF.

Pourtant le syndicat agricole existe toujours et entend bien faire entendre une voix singulière. Les 25 et 26 octobre, il tenait à Guéret son 19ème congrès dont le thème était « des prix garantis par l’État pour un revenu paysan ! » J’ai eu l’honneur d’y être invité aux côtés de l’agronome Gérard Choplin. Ce dernier a présenté aux congressistes l’enjeu de la souveraineté alimentaire. Pour ma part, je suis intervenu sur la question de la régulation des prix agricoles.

UNE DÉSHUMANISATION DU MÉTIER

Devant la salle studieuse et des délégués venant de toute la France, j’ai commencé par dire que la garantie des prix agricoles ne relève pas du seul enjeu des revenus des agriculteurs. Certes, le système d’aides actuel, fondé sur des subventions versées à l’hectare est désastreux. Non seulement il est très injuste dans sa répartition, puisqu’il rémunère davantage les grandes exploitations que les petites, mais surtout il est démotivant car les agriculteurs ont le sentiment de toucher des primes déconnectées de leur travail effectif. De fait, 85% des subventions sont découplées de la production.

Pour ce qui est de la part des revenus liée aux prix de marché, le résultat est tout aussi injuste. Il est impossible pour le paysan de prévoir le prix auquel il vendra sa production au moment où il l’engage. D’après la théorie économique, les prix devraient être incitatifs. Mais l’agriculture suppose un engagement sur le temps long. Lorsqu’on a investi dans un verger ou un élevage de volailles, on ne peut subitement cultiver du colza ou des brebis parce que les prix ont changé. Non seulement les prix sont volatils et imprévisibles, mais ils sont liés à des facteurs exogènes, incontrôlables par la profession. La guerre en Ukraine et la sécheresse de cet été ont ainsi considérablement affectés le marché agricole. Mais la décision de mettre en culture du blé cet automne ne présage en rien du prix auquel ce blé sera vendu lorsqu’il sera moissonné en juillet.

Le travail agricole est très particulier. Il touche au vivant, il transforme les paysages et affecte l’environnement dans le bons ou le mauvais sens. Gérer un élevage, c’est du temps humain, c’est construire une relation particulière avec l’animal. Cultiver, c’est être confronté aux ravageurs, aux aléas de la météo, à la gestion à long terme de la terre et de ses propriétés. Comment accepter que ce travail puisse être rémunéré par des prix arbitraires, parfois inférieurs aux coûts de production ? Comment accepter la logique de standardisation que porte en lui le marché pour lequel le lait est du lait et le blé du blé quel que soit la manière dont le paysan s’est occupé de son exploitation ?

Le verdissement de la PAC qui entend rémunérer les bonnes pratiques et promouvoir les labélisations des exploitations ne diminue pas forcément ce sentiment d’arbitraire. Le processus de subvention s’est considérablement bureaucratisé, chaque action « verte » devant être évaluée par une inspection extérieure selon des critères décidés d’en haut. L’agriculteur devient peu à peu un technicien qui perd le goût de son travail et le sens du long terme.

Les documents du ministère de l’agriculture témoignent de ce phénomène de dépossession. Ainsi, pour bénéficier de l’écorégime, une aide prévue par le Plan Stratégique National qui engage la politique agricole française pour 2023-2027, les agriculteurs devront remplir un cahier des charges précis ou bénéficier d’une certification par un organisme indépendant. « Un bonus ‘‘haie’’ d’un montant de 7€/ha est par ailleurs accordé à tout bénéficiaire de l’écorégime […] détenant des haies certifiées ou labélisées comme gérées durablement sur au moins 6% de ses terres arables et de sa SAU [surface agricole utile] », précise le document du ministère(1). À la limite, pour toucher ces aides, il suffirait de construire une ferme « Potemkine ». Car, même s’il ne produit rien, l’agriculteur pourra bénéficier de subventions étant donné que les aides sont indépendantes du rendement réel de la ferme. Lire la Suite ICI:https://letempsdesruptures.fr/index.php/2022/11/01

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