Philippe Bohn, de « Monsieur Afrique » d’Airbus à conseiller de Marine Le Pen

Caché derrière de fines lunettes noires, l’homme suit la délégation de Marine Le Pen dans les rues de Dakar. À distance de sécurité, toujours. Manière d’éviter de se retrouver par inadvertance dans le champ des photographes ou des selfies que les Sénégalais exigent de la leader du Rassemblement national sur son chemin. S’il ne fuit pas la lumière, Philippe Bohn s’est fait une spécialité de se placer à contre-jour. « Je suis dans l’ombre, je l’ai toujours été », dit le sexagénaire, proche de la plupart des chefs d’Etat africains passés et présents : de Joseph Kabila à Denis Sassou-Nguesso au Congo, d’Ali Bongo à du Gabon à Paul Kagame au Rwanda via Thabo Mbeki en Afrique du Sud. Sans oublier, bien sûr, Macky Sall, le président du Sénégal depuis 2012. Un « ami », qui lui a confié en 2017 les rênes de la compagnie aérienne nationale, Air Sénégal. Avant de lui accorder une toute autre faveur cette semaine : ouvrir les portes de son palais présidentiel à Marine Le Pen pour la rencontrer en tête à tête. Offrant ainsi à la dirigeante nationaliste l’opportunité de parfaire sa stature internationale, étape essentielle dans la conquête du pouvoir qu’elle ne cesse de rechercher. Source: Le Point

Par réflexe autant que par coquetterie, Philippe Bohn voile de mystère son véritable rôle dans la préparation de ce troisième voyage africain de Marine Le Pen, après ses escales en Egypte et au Tchad en 2017. conseiller, lâche sans convaincre l’actuel dirigeant d’un cabinet de conseil basé à Dubaï, Gward Araok. Si je suis ici, c’est par respect et affection pour Marine Le Pen. C’est une femme courageuse qui suscite un réel intérêt chez les chefs d’entreprises africains. La malheureuse candidate à la dernière élection présidentielle avoue avoir rencontré « deux ou trois fois » celui qu’elle considère comme « un interlocuteur valable qui a une analyse cruelle mais juste de l’effacement de la France en Afrique ». Marine Le Pen devenue son conseiller politique, Nicolas Lesage, est plus éloquente sur leur collaboration : « Il est la clé de voûte de ce voyage. Quelqu’un a dû percuter le coffre-fort… »

Cette escapade discrète aux côtés de Marine Le Pen – ponctuelle avant 2017 avant d’accélérer lors de la dernière élection présidentielle – est le dernier épisode d’une « vie qui joue avec le cadavre exquis », selon les mots de Philippe Bohn. Une existence qui frôle le roman d’espionnage du genre SAS, majoritairement passée sur le continent africain. Loin, très loin, hors des sentiers battus. A peine sorti d’une éducation stricte dispensée par les Oratoriens, au pensionnat Saint-Martin de France, le jeune homme proche du Parti républicain de François Léotard se retrouve en Angola. Avec pour mission d’entrer en contact avec le principal opposant, Jonas Savimbi, que le parti de droite entend soutenir dans sa lutte contre le communisme sur place.

La relation de confiance qui finira par s’établir entre Philippe Bohn et le « Jaguar noir » convaincra le groupe Elf de l’engager pour défendre ses intérêts dans le pays centrafricain en cas de changement politique. Mission qui le conduira à organiser une rencontre secrète entre le rebelle et Loïk Le Floch-Prigent, alors patron du groupe pétrolier, dans un hôtel de Bruxelles. Sa notoriété grandit au même rythme que son réseau. Au point d’être bientôt de toutes les délégations gouvernementales du continent. La commande de 42 avions à EADS (devenu Airbus), sous la barbe de Boeing, par South African Airways grâce à son intermédiaire suffira à faire de lui le « Monsieur Afrique » de l’avionneur.

Une entreprise au service de laquelle il profitera de sa proximité avec le fils de Mouammar Kadhafi, Saif al-Islam, qu’il accompagne au Grand Prix de Singapour ou sur son yacht au large de Saint-Tropez. Comme son lien avec Paul Kagame, le président du Rwanda, qu’il convaincra de recevoir Nicolas Sarkozy, à Kigali en 2010, pour sceller la réconciliation entre les deux pays. En guise de remerciement, le président français avancera l’idée d’en faire son « Mister Afrique ». Avant que le secrétaire général de l’Élysée, Claude Guéant, ne s’y oppose. « Entre eux, c’était je t’aime aussi. Philippe Bohn occupe beaucoup d’espace. Claude Guéant n’était pas forcément prêt à le lui laisser, confie un pétrolier gouvernemental de l’époque. Et puis il avait cette image ambivalente. Le genre de gars courageux, sympathique, capable du meilleur mais dont on craint le pire. Cette occasion manquée aura au moins évité à Bohn d’être impliqué dans ce qu’il appelle désormais « la plus grave erreur de la France en Afrique » : l’intervention militaire en Libye en 2011.

Philippe Bohn a beau nous assurer qu’ »il y a plutôt moins de corruption en Afrique qu’en France aujourd’hui », ses relations avec les services de renseignement, les affaires nébuleuses auxquelles il a pris part sur le continent africain ont peut-être effrayé davantage un homme politique. François Bayrou en tête. Dans le cadre de sa campagne présidentielle en 2007, Philippe Bohn sera progressivement rejeté par les Béarnais. « Il a toujours eu des idées très carrées et très à droite », confie un lieutenant du patron du MoDem qui n’est qu’à moitié surpris par le soutien de Philippe Bohn à Marine Le Pen. Avant de se demander : « La question est : qu’en pensent ceux qui sont, ou ont été, ses parrains ? » L’intéressé balaie : « Je suis un homme libre. Pour preuve, il précise qu’il a payé de ses propres deniers sa chambre d’hôtel ainsi que son billet d’avion pour Dakar pour participer au voyage du leader du RN.

Même s’il le nie, la proposition phare de Marine Le Pen pour l’Afrique, octroyant au Sénégal un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU, porte sa marque. A l’image de la récente tribune du député RN parue dans le quotidien Avis en faveur d’un nouveau « co-développement euro-africain ». Dans son autobiographie publiée chez Plon en 2018 (Profession : influenceur), Philippe Bohn a écrit : « Une bonne idée ne vous appartient jamais. Pour le voir se réaliser, il faut qu’il devienne celui du leader. Vous devez impérativement transférer la propriété intellectuelle au décideur. « Après avoir beaucoup changé, reste à savoir si Philippe Bohn a enfin trouvé le bon « leader » pour voir ses idées se concrétiser.

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