L’histoire d’une chanson: « Chimes of Freedom » version Youssou Ndour

Retour sur la naissance de l’une des plus belles adaptations musicales africaines de Bob Dylan. J’adore le morceau « Chimes of Freedom » de Bob Dylan et en plus c’est l’une de mes chansons préférées de Dylan. De ce fait j’aime presque toutes les versions de cet hymne à la liberté. Mais mes préférées sont, après l’originale, celles de Bruce Springsteen, des Byrds, et bien sûr, celle de Youssou Ndour dont il est question ici.

La version de Youssou est l’une de mes chansons préférées de ce dernier. C’est l’une de mes chansons préférées que je pourrais avec très grand plaisir écouter en boucle. Je ne m’en lasse pas. Ce chef-d’œuvre ne m’a jamais quitté. S’il me fallait partir sur une île déserte avec 3 titres de Youssou, « Chimes of Freedom » en ferait partie. Voilà, cela étant dit : maintenant, un peu d’histoire.

« Chimes of Freedom » (les carillons de la liberté)

« Chimes of Freedom »  est une chanson de Bob Dylan parue en 1964 sur l’album Another Side of Bob Dylan . Elle a été reprise par de nombreux artistes, parmi lesquels: Joan Baez, The Byrds, Bruce Springsteen et Youssou N’Dour.

Dans « Chimes of Freedom », Dylan se solidarise avec tous les opprimés. C’est une chanson qui fait « office » d’hymne des droits de l’homme.

Pour la petite histoire, en 2012, un quadruple-album de charité, composé de reprises de Bob Dylan par près de 80 grands artistes. Ce quadruple album s’appelle: Chimes of Freedom: Songs of Bob Dylan Honoring 50 Years of Amnesty International. Les bénéfices de cet album ont été reversés à l’organisation Amnesty International, dont l’album fêtait le cinquantième anniversaire.

Human Rights Now !

Nous sommes en 1988 et l’association Amnesty International doit célébrer les 40 ans de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Pour ce faire une tournée de 6 semaines sera initiée par Amnesty International avec une partie de la fine fleur du rock, Bruce Springsteen, Sting, Peter Gabriel, Tracy, Chapman et une légende africaine, Youssou Ndour. Ainsi le 2 septembre 1988 est lancée au stade Wembley, à Londres, la tournée « Human Rights Now ! Tour ». Cette tournée mondiale de 19 concerts se tiendra sur les 5 continents et se terminera à Buenos Aires. Ainsi pendant presque toute la tournée, Youssou Ndour et son groupe le Super Étoile de Dakar seront les premiers à monter sur scène pour donner le ton. Mais à la fin de chaque concert tous les artistes de la tournée se réunissent sur scène pour chanter ensemble.

Ce moment final est l’instant le plus émouvant et le plus magique des concerts car ils chantent toujours une magnifique version de « Chimes of Freedom » de Bob Dylan qui est d’ailleurs l’une des chansons fétiches de Bruce Springsteen, pour enchaîner sur le slogan « Get Up, Stand Up », « levez-vous et battez-vous pour vos droits » afin de rendre hommage à Bob Marley. C’est juste pour ainsi dire que c’est dans ce contexte que Youssou Ndour va véritablement découvrir et se familiariser avec la mythique et célèbre chanson « Chimes of Freedom » de Bob Dylan qui est un hymne à la liberté. Par conséquent la chanson ne le quittera plus. Il lui restera pour toujours dans la tête car elle a marqué quelques grands moments de sa carrière.

Jololi Liberté

Ainsi comme l’a bien dit Haruki Murakami dans son ouvrage Kafka sur le rivage: « Certains souvenirs se refusent à sombrer dans l’oubli, quels que soient le temps écoulé ou le sort que la vie nous ait réservé. Des souvenirs qui gardent toute leur intensité et restent en nous comme la clé de voûte de notre temple intérieur ». Surtout si ces souvenirs concernent des moments sublimes et magiques de notre vie. Il aura fallu en tout et pour tout 6 ans à Youssou pour se décider, en 1994, à concocter sa version de « Chimes of Freedom ». Mais reprendre « Chimes of Freedom » est une chose et réussir la reprise pour en faire une merveille en est une autre, vu que cette chanson a été reprise par beaucoup d’interprètes.

Des artistes tels que le Boss, Bruce Springsteen et le groupe The Byrds et Joan Baez ont réussi quand même à sortir du lot en produisant des versions-chefs-d’œuvre. Youssou sait bien que pour réussir sa reprise il doit produire quelque chose d’original pour se distinguer et faire la différence. De ce fait il doit d’abord résoudre un problème très sérieux pour réussir la chanson parce que s’aventurer dans les méandres et les subtilités des textes de Bob Dylan pour les traduire en Wolof est une autre histoire qui est très compliquée. Il faut noter que sur le papier les paroles de Dylan deviennent de vrais objets d’étude. La traduction de ses paroles n’est pas chose facile du fait que leur force littéraire est très enracinée dans la langue anglaise.

C’est dans ce sens que Robert Shelton dira ceci: « Chimes of Freedom » est l’un des plus beaux poèmes de Dylan. C’est une chanson d’amour, de politique, de compassion, et surtout de liberté. Un triomphe de la couleur des mots et métaphores, un des textes les plus rimbaldiens sur la douleur, les exclus, accusés, méprisés, épuisés, condamnés, etc. Mais en bon professionnel aguerri, Youssou Ndour, le griot urbain va relever ce grand défi en mettant de son côté toutes les ressources nécessaires qui lui permettront de mener à bien son projet et de le réussir. Ainsi comme pour réussir la traduction d’une langue, le mieux serait de l’interpréter, l’équipe de Youssou préférera l’adaptation créative à la traduction littérale afin de mieux respecter le thème de la chanson originale pour faire vivre aussi la beauté de ses paroles. Pour la musique il va faire très simple mais original tout en gardant sa fibre africaine et sénégalaise.

Sing-Sing rythmes

Et c’est là aussi que réside le charme de sa version. Il va faire appel au groupe Sing-Sing rythmes, le groupe de batteurs de tam-tams (sabar) de son percussionniste attitré Mbaye Dièye Faye pour apporter de la profondeur et de l’authenticité à la chanson. Son ami de longue date et l’un de ses arrangeurs et instrumentistes préférés (claviers), en l’occurrence le musicien-virtuose Jean-Philippe Rykiel, celui que je surnomme « le plus africain des artistes français », apportera quant à lui, un vent d’ouverture et de modernité à cette version. avec un superbe son d’accordéon, pour donner plus d’élégance et de groove à la musique.

« Ibou Cissé fait l’intro au clavier. Moi on m’entend surtout après les refrain avec un son d’accordéon et j’avais aussi suggéré à Habib Faye de faire saturer sa basse pour qu’elle ait un son énorme. C’est aussi un de mes grand souvenir d’avoir enregistré cette magnifique adaptation avec le groupe Singsing. J’ai voulu les laisser libre dans leur tempo, et à dessin, j’ai demandé à Philippe Brun de couper le métronome après l’intro une fois que le tempo était donné. Du coup, ils se sont senti beaucoup plus à l’aise et détendus, je crois que ça s’entend. Enfin, je crois aussi que c’est Pape Oumar Ngom qui a eu l’idée originale de cet arrangement à la sauce Sabar, et c’est vraiment une réussite. » raconte le génial claviériste Rykiel.

Les magnifiques chœurs seront assurés par le chanteur congolais Lokua Kanza et Viviane Chedid et l’enregistrement ainsi que le mixage par l’excellent ingénieur du son Philippe Brun. Cette version de « Chimes of Freedom » en Wolof est l’une des meilleures adaptations de la chanson de Bob Dylan. D’ailleurs, à la fin de l’enregistrement, Youssou envoie le son à Dylan et ce dernier, ébahi, lui dit qu’il n’ose même pas y poser son harmonica tant le résultat est magnifique.. Elle est tellement réussie et aboutie, à telle enseigne qu’elle est toujours nommée quand il s’agit des meilleures reprises de « Chimes of Freedom » .

Elle a été acclamée partout où Youssou et son groupe l’ont jouée lors de la tournée de promotion de l’album  The Guide. Son interprétation lors du grand concert « African Prom » à Londres en 1995 est un moment émouvant et magique. De ce fait, on peut dire que Youssou a réussi son défi en s’attaquant à ce chef-d’œuvre de Dylan qui l’a beaucoup marqué pour en sortir son propre chef-d’œuvre et se l’approprier à son tour en traitant cet hymne à la liberté comme un hymne aussi pour les nombreuses personnes, en Afrique, qui luttent pour survivre. En même temps, même si les paroles sont de Dylan, il faut reconnaître que l’excellente adaptation créative en Wolof fait de cette version, l’une des chansons les plus métaphoriques, engagées, émouvantes et profondes de Youssou et de la musique sénégalaise. Un chef-d’œuvre purement et simplement !

Vidéo: Le clip de « Chimes of Freedom » (Clip remasterisé)

Titre: Chimes of Freedom

Album: The Guide (certifié Disque d’or)

Année: 1994

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Mamadou Sekk est un passionné de culture et de musique africaine. Il est l'initiateur du Berger Des Arts (Gaynaako Ñeeñal) The Shepherd Of Arts et Festival Blues D'Afrique / Assoc. Le Berger Des Arts est dédié à la collecte, la conservation, la mise en valeur et l'interprétation des musiques du monde, sous-estimées ou en péril, qui ont contribué à la naissance du Blues afin d'éviter leur disparition.

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