Pourquoi la rue africaine soutient les putschistes ?

Les militaires reviennent au pouvoir en Afrique. Le constat est simple, partout où l’insécurité dite « jihadiste » ou « terroriste » s’installe les pouvoirs civils alliés aux forces occidentales paraissent rejetés. C’est le cas du Niger, pays réputé exemplaire dans sa lutte contre le terrorisme. Mercredi soir, des militaires putschistes pour la plupart inconnus avaient annoncé sur la télévision nationale avoir renversé le président démocratiquement élu Mohamed Bazoum, au pouvoir depuis 2021.

Des milliers de nigériens sont sortis manifester leur soutien aux putschistes. Devant l’ambassade de France dimanche à Niamey, des centaines de manifestants ont tenu a faire entendre leurs voix et leur soutien aux hommes du général Tchiani, (62 ans) qui viennent de prendre le pouvoir pour empêcher « la disparition progressive et inévitable » du pays. Suite aux manifestations devant son ambassade, la France a annoncé suspendre ses aides. Le nouveau pouvoir dit, de son coté, suspendre les livraisons d’uranium à la France avec « effet immédiat. »

Pourquoi la population nigérienne, comme l’avaient fait en son temps les maliens, soutient-elle des putschistes en lieu et place d’un gouvernement élu démocratiquement et bon élève de la communauté internationale ? Le fait est que le terrorisme ne semble plus être la préoccupation première des populations. Elles veulent plus de démocratie. Elles constatent que les régimes issus d’élections démocratiques dérivent en dictature vendent les ressources naturelles du pays aux puissances étrangères et tripatouillent leurs constitutions pour installer des présidences à vie.

Un président africain qui laisse l’or, le pétrole, le zircon, le fer, l’uranium ect de son pays aux multinationales, est souvent présenté en occident comme un démocrate. Leurs médias vont parler de lui en terme élogieux, on va louer son leadership, on va le convier au sommet du G7 au cours duquel il n’aura évidemment aucune influence mais servira plutôt de parfait nègre de service…au même moment, dans son pays, les zones rurales sont désertées à cause d’une agriculture agonisante, la santé, l’éducation laissées à elles-mêmes et les jeunes frappés par un chômage endémique vivent dans le désarroi. Toute velléité de contestation est réprimée avec violence. Pour aspirer à un mieux-être, il vaut mieux être du parti au pouvoir.

Lorsqu’un coup d’État survient, le peuple le voit comme une libération. Quant aux institutions qui le condamnent, elles sont vues comme faisant parties des forces qui freinent leur retour à l’émancipation, surtout quand souven, à leurs têtes se trouvent des Chefs d’États « tripatouilleurs » de constitution. Dès lors, leurs voix ne sont plus audibles. George Weah le président du Libéria avait averti « on ne peut pas condamner des coups d’État militaires lorsqu’on ne condamne pas ceux qui font des coups d’État institutionnels. » Autrement dit, tant que la CEDEAO tolérera les coups d’États institutionnels qui permettent les présidences à vie, il y aura des coups d’État militaires. Pour Mister Georges la CEDEAO « devrait travailler pour l’intérêt de nos peuples. »

Les peuples africains se réveillent. Ils savent que leur pauvreté n’en est pas une et qu’elle est entretenue. Si les richesses de leur sous-sol sont bien gérées, elles peuvent vivre dans le bonheur et leurs enfants tourner le dos aux océans pour rallier l’Europe. Les peuples ont soif de démocratie, convaincues que seule cette démocratie pourra assurer leur sécurité et leur mieux-être. La démocratie est fondamentale comme le souligne l’homme politique nigérien Tahirou Guimba.

« Au moins, rétablissons la démocratie au vrai sens du terme, parce qu’elle n’existe plus depuis 98 (1998), au Niger personne n’a la possibilité de marcher même à deux. Et c’est ça qu’on va appeler la démocratie ? Des élections truquées, des candidats qui ne répondaient pas aux exigences des lois et règlements de la république, et maintenant ils nous proclament chef d’état et font ce qu’ils veulent de nous. Non ! »,martèle-t-il.

Les peuples veulent retrouver leur souveraineté. Ils ont le sentiment que leurs gouvernements, engagés dans une supposée lutte contre le terrorisme, en profite pour restreindre leurs libertés. La rue africaine réclame plus de démocratique, plus de justice, plus de droit, plus de liberté, plus de concorde et plus de paix.

« Nous n’avons aucun scrupule sur la durée de leur transition ni sur quoi que ce soit d’autre. Il n’est jamais trop tard pour rectifier les choses, mais l’essentiel est que le Niger soit refondé, l’essentiel est que le Niger retrouve sa pleine souveraineté, l’essentiel est que nous soyons des hommes libres, l’essentiel est que les organisations sous-régionales dirigées par certaines puissances ne nous intéressent pas. Les Maliens ont pris leur destin en main, les Burkinabés l’ont fait, les Nigériens viennent de le faire », souligne encore Tahirou Guimba.

Le coup d’État au Niger est un coup dur pour les Occidentaux, et particulièrement la France, qui perdrait l’un de ses derniers alliés au Sahel, immense région minée par les attaques de groupes jhadistes liés aux organisations État islamique et Al-Qaïda, et ravagée par la pauvreté et l’instabilité.

600 Français qui ont exprimé clairement leur intention de quitter le Niger. Aujourd’hui, un avion a décollé de Niamey, ( mardi 1er août à 20 h 20) avec, à son bord, de premiers ressortissants français évacués, six jours après le coup d’Etat . L’avion, un Airbus A330 avec « 262 personnes à bord dont une douzaine de bébés » a  indiqué Catherine Colonna la chef de la diplomatie française.

Dans un sursaut d’orgueil, le président déchu, toujours séquestré avec sa famille dans sa résidence officielle à Niamey a rejeté le coup d’État. En attendant, la rue nigérienne a choisi son camp même si des partisans de Bazoum tentent de maintenir l’espoir de ne pas voir leur régime tombé. D’autant plus que les pays de la CEDEAO qui se sont réunis dimanche à Abuja en « sommet spécial » pour évaluer la situation au Niger, ont décidé d’un blocus, et donné une semaine aux putschistes pour libérer Mohamed Bazoum. La CEDEAO n’exclue pas une intervention armée. Sitôt évoqué, le sénat nigérian a voté contre une intervention militaire de Lagos au Niger.

Dans un communiqué commun publié lundi soir, le Burkina Faso et le Mali ont affirmé qu’une intervention militaire au Niger pour rétablir Mohamed Bazoum, serait considérée « comme une déclaration de guerre » à leurs deux pays. La Guinée a également « exprimé son désaccord concernant les sanctions préconisées par la CEDEAO, y compris une intervention militaire » et « a décidé de ne pas appliquer ces sanctions qu’il considère illégitimes et inhumaines». Conakry « enjoint la CEDEAO à reconsidérer sa position. »

En attendant, les manifestants aujourd’hui et hier à Niamey scandaient des slogans hostiles à la CEDEAO, l’organisation régionale ouest-africaine et aux puissances occidentales. Non sans brandir les drapeaux russes. Euphoriques, des manifestants ont donné déjà carte blanche aux putschistes.

Les putschistes semblent désormais porter l’espoir de la rue africaine. 60 ans après les indépendances, les africains courent encore derrière la stabilité et la démocratie. Les régimes qui se succédèrent à la tête des Etats africains, militaires ou civils, pour la plupart affidés à l’ex puissance coloniale, ne se sont jamais préoccupés des devenirs de leurs concitoyens. Aujourd’hui, nait sur le continent une nouvelle génération, connectée au monde, fière de ses racines, au faite des richesses incommensurables sur son sol, au courant des enjeux géostratégiques internationaux, mais qui est aussi consciente que le développement n’est nullement une fatalité. Et qui, même si elle rêve d’Europe, n’est attirée par le vieux continent que pour retrouver une vie meilleure. Le véritable rêve qu’elle nourrisse est de voir l’Afrique sortir de sa misère comme la Chine, l’Inde ou le Brésil. Si des militaires, de leur génération le leur offrent, elle applaudit des deux mains.

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