Il y a 50 ans la Mauritanie abandonnait le Franc CFA: le ciel n’est pas tombé sur sa tête

Il y a 50 ans, mai et juin 1973, la Mauritanie abandonnait le Franc CFA. Le ciel ne lui est pas tombé sur la tête loin de là !

Une des composantes essentielles des servitudes après-coloniales en partie volontaires, est le conditionnement mental dans lequel les élites sont entretenues, et qui concourent à reproduire un monde captif des desseins hégémoniques de toutes sortes. Les sociétés CFA en sont une illustration malheureusement trop éloquente.

Une technique couramment utilisée par les appareils de domination consiste à instiller des phobies et des verisimilitudes qui annihilent la marche émancipatrice indispensable des peuples et sociétés. Ainsi les laudateurs de institutions CFA et de leurs corrélats socio-politiques brandissent-ils des cas grossis à l’envie de faillites financières, de dépréciations monétaires, de défaillances dans la circulation des monnaies fiduciaires (espèces, billets), pour plaider de biais le statu quo colonial, les bienfaits de la perte de souveraineté politique sur la monnaie. Bien que toutes les monnaies « normales » soient appelées à épouser les chocs et cycles des économies dont elles sont issues, dollar, euro, wong, yen, renminbi, rouble, livre, etc. il n’y a qu’aux yeux des louangeurs du franc CFA que cette banalité internationale des volatilités des marchés est synonyme de terreur apocalyptique.

La Mauritanie a quitté la « zone franc » le 30 mai 1973, et l’ouguiya sa devise a été adoptée le 28 juin 1973 puis réformée en 2018 en gardant le même nom mais pas la même valeur internationale. Le gouverneur de la Banque centrale de Mauritanie, Abdel Aziz Ould Dahi déclarait dans un entretien accordé à la Tribune (publié en ligne le 09/07/2018) : « Nous n’avons pas la prétention de donner des leçons à qui que ce soit. Quitter le Franc CFA, c’est un choix que nous avons fait en 1973. C’est un choix qui se justifiait parce que la Mauritanie était un pays naissant qui avait l’ambition de prendre en main sa propre destinée c’est-à-dire de mener sa propre politique monétaire. C’est donc le choix d’un pays souverain dans ce domaine. D’un autre côté, on ne dit pas aux autres pays : « faites comme nous !». En tout cas, nous avons fait ce choix et nous ne le regrettons pas. »

En effet le ciel n’est pas tombé sur la tête des Mauritaniens pour avoir violé l’interdit monétaire divin, cependant le pays n’a pas non plus, de ce seul fait, connu une fulgurante ascension. En 2022, dans les conventions des économistes dominants, la Mauritanie a un cadre macroéconomique correct, croissance (+4%), inflation élevée mais mesurée (7%), déficit budgétaire contrôlé (-2%) et déficit des comptes courants relativement modéré (-11%), idem de l’endettement (moins de 50% du PIB). Sur un angle plus structurel, le pays n’a pas connu de transformation industrielle comme la majeure partie des PED d’Afrique, reposant sur quelques ressources naturelles et extractives telles que le fer, l’or, le cuivre, les ressources halieutiques, escomptant le développement de la filière gazière. Pourtant en termes de développement humain (IDH), suivant les conventions communément admises, le pays est moins bien placé que le Cameroun, mais mieux placé que la Côte d’Ivoire, le Sénégal ou le Togo par exemple, n’échappant cependant pas à une pauvreté importante de la population.

Il reste que l’adoption d’une monnaie dirigée par les autorités politiques mauritaniennes n’a pas effondré l’économie, et même si des transformations structurelles sont attendues -qui ne relèvent pas que de la monnaie-, au moins le pays aura développé ses propres apprentissages du pilotage d’une monnaie dans le contexte international marqué la volatilité, la mobilité des capitaux, la récurrence de crises monétaires et les chocs exogènes importants (Covid-19, guerre en Ukraine, …). La sortie du franc CFA a été un choix judicieux sur les arguments d’effets d’apprentissage et de souveraineté de décision indispensables à l’amélioration de l’efficacité des institutions, à la productivité globale. Jusqu’en 1972/73 la centralisation des réserves de change africaines au Trésor public français était totale (100%, puis 65% et 50%), en rapatriant ses réserves, le pays a retrouvé des marges de manœuvre dans le financement de ses importations, le soutien de sa monnaie, la lutte contre l’inflation (en appréciant la monnaie par exemple), le financement des projets de développement …

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Martial Ze Belinga est un économiste et sociologue camerounais. Son travail porte spécifiquement sur l’épistémologie de l’histoire africaine, les préjugés et les silences qui biaisent la compréhension du passé de l’Afrique et des diasporas africaines. L'art et la culture tiennent une place centrale dans son travail. À ce titre il est l'auteur de plusieurs ouvrages parmi lesquels: "Au-delà de l’inculturation. De la valeur propositionnelle des cultures africaines". Pour l'économie, ses travaux ont beaucoup porté sur la monnaie notamment le FCFA. il est l'auteur entre autres de: "Afrique et mondialisation prédatrice". Expert associé au comité scientifique international de l’UNESCO pour l’Histoire générale de l’Afrique, Belinga est éditorialiste et avait lancé le site Afrikara dédié à l'histoire, la culture et l'avenir du monde noir. Il a été par ailleurs sélectionné parmi les 20 « Experts » représentatifs de la diversité (Club XXIe siècle, France)

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