Après un siècle et demi de cacao-culture, sur le modèle colonial des exportations de matières premières très peu transformées, il est question que les leaders de la production mondiale, la Côte d’Ivoire et le Ghana, s’associent pour obliger les acheteurs à garantir des revenus décents aux cultivateurs africains ! Cette trouvaille en réalité très ancienne rappelle l’ensemble des dispositifs de prix planchers, de garantis des prix aux planteurs connus depuis les années 1960. Il y a peu de raisons objectives pour que les engagements des acheteurs pris solennellement en juillets 2022 à Accra soient plus crédibles que ceux pris en 2019 allant dans la même direction que nombre de précédents plusieurs décennies auparavant.
Ici les servitudes intellectuelles rejoignent et accentuent les servitudes des petits paysans africains. L’histoire économique récente a montré la nécessité d’investir dans la transformation économique, de monter dans les chaînes de valeur artisanales, industrielles et de service. Paradoxalement si les initiatives de « cacao durable » avaient quelques succès ponctuels, ce serait très probablement au détriment de la transformation, toutes choses égales par ailleurs car les incitations seraient plus fortes de poursuivre dans le modèle de l’exportation de matières premières non transformées.
Les incapacités et/ou l’absence de volontarisme à élaborer des modèles ambitieux de « sortie » de l’économie ruineuse des matières premières, enferme les trajectoires des secteurs de produits de base dans les caprices des conditions économiques, politiques, culturelles des pays acheteurs, de leurs industries et de leurs consommateurs. Or le cacao est de plus en plus substitué par les industriels qui recherchent des alternatives moins coûteuses et offrant plus de possibilités d’innovations. Faute de penser en profondeur les processus de sortie du paradigme ancien par lequel l’Afrique fournit un sous-sol, un sol et des servitudes à l’économie mondiale, avec due rémunération des classes facilitatrices endogènes (politiques, gestionnaires, économistes standards, intellectuels, …), le continent paupérisé compte hébété la liste des pays nouvellement industrialisés.
Améliorer les rémunérations des planteurs africains est essentiel dans un processus global de création de chaines de valeurs industrielles vouées à la production de biens et services consommés par les Africains en toute priorité. Attendre que les industriels occidentaux mettent fin à l’esclavage productif en Afrique, payent de bon gré des sommes mêmes modiques aux planteurs africains sous prétexte de durabilité, est d’autant plus naïf qu’il n’est pas établi que les Africains eux-mêmes se soient empressés de respecter leurs engagements vis-à-vis des petits paysans pas nécessairement toujours bien traités par les élites …
Les industries coloniales ont la culture de l’exploitation, de l’extraction et de la prédation. Rémunérer les Africains leur paraît toujours un coût exorbitant même modique dans la répartition de leur valeur ajoutée. D’un autre côté les Etats et administrations dépendent souvent des taxes prélevées sur les exportations de matières premières. Une rémunération inégale qui n’entamerait pas les rentes des puissants (industriels occidentaux et classes rentières africaines) risquerait d’être un « équilibre prédateur » dans lequel les espoirs des petits paysans d’accéder à des revenus décents auront peu de chances de se réaliser pleinement. Cacao durable ?
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