Ça sent le plagiat à mille lieues

Lorsque Sakho & Mangane est sortie en 2019, le grand public ne se doutait pas une seule seconde, que la série policière de Canal+ allait être attaquée pour plagiat. C’est ce qui est pourtant arrivé et le tribunal de commerce de Dakar a d’ailleurs examiné en avril dernier un référé en vue d’interdire la diffusion des épisodes. À l’origine de la procédure, le producteur sénégalais Mass Seck. Il accuse ni plus ni moins la chaîne cryptée d’avoir volé un de ses scénarios. Rendu le 02 septembre dernier, les juges ont considéré que Canal n’était que diffuseur alors que le générique fin de la série mentionne bien Canal comme co-producteur.

Ça sent le plagiat à mille lieues, Information Afrique Kirinapost

Le producteur Mass Seck © Page facebook

Dès la présentation du synopsis: un duo de policiers qui enquêtent avec en toile de fond mystique et paranormal, Mass Seck soupçonne un plagiat. Soupçon confirmé à la sortie du film. Tout dans la production signée Canal, renvoie à son projet Division X Dakar, une série policière d’enquêtes criminelles et mystiques qu’il a protégée en 2011 au Bureau Sénégalais des Droits d’Auteurs (BSDA) devenu entre-temps SODAV.

En 2013, Mass Seck propose à Canal+ le scénario de « Division X Dakar ». En 2014, les premiers échanges de mails commencent entre le porteur du projet et Canal. Ils portent essentiellement sur le synopsis, la bible des personnages (récit décrivant les différents personnages avec leurs particularités et leurs traits de caractère). Mais voilà, Canal+ n’ira pas jusqu’au bout de la démarche. Pire, la chaine française se basera sur la charpente du travail abattu par Mass Seck pour réaliser Sakho & Mangane.

« Canal plus international ayant entendu parler du projet me contacte par téléphone à travers Francois Deplank leur Directeur des programmes en 2013. Il vient au Sénégal pour voir le pilote avec Damiano Malchiodi l’actuel directeur de A plus Afrique. Très satisfaits de ce qu’ils ont vu, ils manifestent le désir de produire exclusivement la série » explique Mass Seck.

L’abondance de la correspondance entre Canal+ et le producteur sénégalais est parlant. Outre le synopsis et la bible, ils échangent sur tous les détails de la série et même les changements internes n’affectent pas le projet.

« De 2013 à 2015 on s’échange un nombre de mails conséquents concernant la production. Je leur envoie l’épisode pilote par DVD par Dhl, le scénario, l’arche de la série, le budget et le plan de financement. En juin 2015 Cécile Gerardin, directrice fiction de Canal Overseas me contacte par téléphone pour me dire qu’elle remplace Deplank sur le développement de ma série. Elle confirme ses dires par un mail et me demande de lui renvoyer les documents. Je lui envoie le scénario, la bible, l’arche, le pilote ainsi que 6 épisodes dialogués » informe un Mass Seck serein loin des attitudes de victimisation et qui souhaite juste que ses droits soient respectés.

En 2019, la promotion d’une série créée par Canal+ en collaboration avec Keewu production (une société de production audiovisuelle de Lagardère basée à Dakar) est lancée. La série nommée Sakho et Mangane est une enquête criminelle avec un twist mystique selon Canal.

« Après avoir vu leur bible la ressemblance avec la mienne est frappante. Dans les deux séries, les deux polices sont des brigades pilotes mise en place par le ministre de l’intérieur qui en fait une section secrète ne répondant que de lui. Dans les deux séries la chef de la police est une femme diplômée en criminologie. Il ya un policier ancien militaire spécialiste en arme, coureur de jupon et fana bagarres dans les deux séries. Il ya aussi un vieux médecin légiste alcoolique avec un humour noir ( leur médecin est blanc le mien est noir) dans les deux séries. Il y a aussi un policier avec des pouvoirs mystiques suivi par de vieux démons » renseigne le producteur sénégalais. Si ce ne sont que des coïncidences…

Mass Seck en est convaincu, Sakho & Magane est une pâle copie de son Division Dakar X, Les ressemblances sont plus que douteuses et il le fait savoir sur les réseaux sociaux en accusant Canal de plagiat. Une sortie qui sème la panique au sein du groupe français selon Seck puisque Jean Luc Herbulot qui est crédité créateur sur le générique de la série fit un post pour se dédouaner et met à nu sans le vouloir, les agissements de Canal en faux et usage de faux.

« Phillipe Niang qui est crédité à l’idée originale réclame la paternité comme il avait un contrat d’auteur avec Canal et dénonce Herbulot qui se présente comme créateur. Herbulot après avoir dénoncé le fait que Niang l’ait traité d’expatrié, lui reproche d’avoir retourné sa veste contre son équipe de scénaristes africains. En effet d’après leur dires, Canal avait recruté à travers un concours cinq scénaristes africains en 2016 pour développer des épisodes à partir d’une bible, un pilote et d’un scénario de 20 pages écrit sur commande par Phillipe Niang en 2014. Herbulot supprimera son poste sur sa page facebook, Lagardère supprimera la page internet de Keewu production »  informe Mass Seck.

Par ailleurs, rappelle le producteur sénégalais, sur la page de Canal plus Afrique le créateur de la série est Herbulot alors que sur Keewu le créateur de la série est Niang. À travers beaucoup de publications Canal a participé activement à la production, puisqu’il avançait le début qu’il n’est que Diffuseur et Keewu producteur. Canal n’a jusqu’à ce jour fourni les preuves de l’existence de ces 20 pages de scénario et du pilote écrit par Phillipe Niang.

 » Canal+ est incapable de fournir l’enregistrement à la SACD (société de droit d’auteur auquel Niang est affilié depuis 35 ans selon ses dires). Il n’a pas fourni le contrat d’auteur avec Niang et Herbulot puisqu’ils disposent de contrat d’auteur sans jamais avoir travaillé en même temps sur le projet. Effectivement Herbulot est arrivé sur le projet en 2017 (source: article enquête plus internet interview). Il le dit lui-même sur le plateau de Dj Boubs (khorom ci thinn) : « quand je suis arrivé sur le projet il était déjà en développement depuis trois à quatre ans » soutient-il.

« Quelqu’un qui crée a-t-il besoin de scénaristes africains pour développer son idée ? » demande Mass Seck. Pourquoi les Africains ont signé des contrats sur lesquels ils ne pouvaient réclamer aucune paternité sur les idées pendant les séances d’écriture ? Sont-ils utilisés comme boucliers, car tout le monde sait que ni Herbulot ( franco-congolais) ni Niang (Franco-sénégalais) qui ne résidaient pas au Sénégal ne pouvaient avoir créé une série basée sur le mysticisme africain et sénégalais en particulier. Comment ont-ils fait pour connaitre les « Ndeup », les saltigués, les rites et sacrifices lébou? Autant de questions dont les réponses peuvent être gênantes pour Canal.

Depuis 2019 le procès est ouvert au tribunal de grande instance de Dakar.  Ce qui est en jeu, c’est la paternité de la série Sakho &Magane mais aussi la défense des créateurs locaux face aux mastodontes de la production.

« J’ai obtenu le soutien de l’Association des Techniciens de l’Audiovisuel et de Cinéma au Sénégal (ATACS) qui m’a reçu et vu les preuves, des documents à l’appui. J’ai cherché le soutien des producteurs au Sénégal et j’ai appelé individuellement la plupart d’entre eux, malheureusement j’ai noté une réticence chez certains surtout ceux qui ont eu à travailler avec Canal ou A+.  J’ai également approché l’Association des Maisons de Production Audiovisuelle et de Cinéma et son président Oumar Sall Cinekap mais pour le moment je n’ai aucune réponse ou rendez-vous pour lui montrer les documents en ma possession » raconte le producteur.

Devant le tribunal, les juges ont trouvé que la demande Mass Seck était mal dirigée car considèrent-ils, Canal n’était que diffuseur et que c’est Keewu le producteur. Une décision peu compréhensible quand Canal est bien mentionné comme co-producteur. Suffisant pour amener Mass à faire appel a la décision des juges qui a ses yeux ne reposent pas sur la réalité des preuves.

« Comme tout les produits signés canal plus original Canal prefinance et a une main active dans la production. La SACD la structure de protection de droit d’auteur a répondu par un mail pour signifier que Sakho et Mangane était enregistré par Philippe Niang et que c’était en cours d’enregistrement le 30 aout. Paradoxal quand on découvre que Canal avait dit que Philippe Niang a écrit la série en 2014 » a soutenu Mass.

À en croire toujours Mass Seck, la SACD a aussi indiqué que Philippe Niang en tant qu’œuvre originale alors qu’il est mentionné à l’idée originale dans le générique début. À partir de là se pose une question: Herbulot a-t-il un contrat d’auteur sans avoir le droits de toucher des revenus de droits ?

 

Ça sent le plagiat à mille lieues, Information Afrique Kirinapost

« Loin de moi l’idée d’une victimisation. Je veux juste que les droits des créateurs soient respectés » Mass Seck © Page facebook

Pourquoi Canal+ a subitement arrêté sa correspondance avec Mass Seck ? Pourquoi  n’a- t-il pas voulu faire le film avec le producteur sénégalais ? La chaine française ne veut pas trop communiquer sur cette affaire. Ce qui est sûr, pour Mass Seck les négociations étaient parfois tendues à propos de certains personnages. Canal+ souhaitait par exemple introduire un personnage homosexuel dans le film ce que lui réfutait. Le tout-wolof aussi ne plaisait pas trop à Canal+ explique Mass. Beaucoup d’autres questions étaient en discussion lorsque Canal+ arrêta les échanges… on connait la suite !

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