Les dirigeants de Tel-Aviv prétendent que l’élimination du Hamas mettra fin à leurs problèmes de sécurité. Les faits démontrent l’exact opposé.
« La leçon à en tirer n’est certainement pas que l’on pourrait gagner une guerre en milieu urbain tout en protégeant les civils. La leçon est qu’il n’est possible de gagner une guerre en milieu urbain que si on protège les civils », tel est le message d’avertissement du secrétaire à la Défense Lloyd Austin qui a récemment fait la Une des journaux.
« Vous voyez, dans ce genre de combat, le centre de gravité est la population civile, a-t-il déclaré. Et si vous les jetez dans les bras de l’ennemi, vous remplacez une victoire tactique par une défaite stratégique. »
Les remarques d’Austin, formulées lors du Forum national de défense Reagan en décembre, devraient donner à réfléchir au grand nombre de responsables et de commentateurs israéliens et occidentaux qui insistent sur le fait qu’une « réponse militaire » au Hamas est la seule voie permettant à Israël d’assurer sa sécurité à long terme. Si le nombre effroyable de victimes civiles de la campagne militaire israélienne est bien entendu inacceptable, selon ce raisonnement, la menace que représente le Hamas signifie qu’Israël n’a pas d’autre choix que de poursuivre la guerre jusqu’à l’élimination totale de cette organisation, aussi longtemps qu’il le faudra et quel qu’en soit le coût.
Si on lui permet de survivre, il choisira simplement un autre moment pour attaquer, et les citoyens israéliens ne connaîtront jamais la paix.
Ces derniers mois, Austin est cependant la seule voix éminente, à avoir souligné la faille de cette logique et rappelé au monde que lorsqu’un État qui lutte contre le terrorisme laisse dans son sillage un carnage humain, la rage, l’amertume et le désespoir qui en résultent alimentent le problème même qu’il combat, bien au delà de ce qu’on peut imaginer.
Lorsqu’on a demandé au général Charles Q. Brown Jr., responsable en chef de l’état-major interarmées, si le grand nombre de victimes civiles risquait de créer de futurs membres du Hamas, il a répondu : « Oui, tout à fait. » L’ancien chef du Shin Bet, Ya’akov Peri, a déclaré au New York Times : « Nous nous battrons contre leurs fils dans quatre ou cinq ans. »
« Israël est en train de préparer la prochaine génération à la haine contre elle-même », titrait récemment Gideon Levy, du Haaretz, mettant en garde les lecteurs contre « la haine semée dans le cœur de presque tous les Israéliens à la suite d’une unique attaque barbare » et les incitant à réfléchir à ce qu’un massacre prolongé, encore plus grave, pourrait entraîner pour la population palestinienne. « Ces enfants ne pardonneront jamais aux soldats. Vous êtes en train d’élever une nouvelle génération de résistants » a déclaré à Levy un père palestinien dont le jeune fils a été tué par des soldats israéliens.
L’ancien ministre britannique de la Défense, Ben Wallace, a récemment rappelé, en référence au Conflit Nord Irlandais : « La radicalisation suit l’oppression, et une réponse disproportionnée de l’État peut être le meilleur agent recruteur d’une organisation terroriste. »
Les services de sécurité des États-Unis et du monde entier se sont associés à ces alertes. Le mois dernier, le directeur du FBI, Chris Wray, a averti que le soutien des États-Unis à la guerre d’Israël avait conduit de nombreuses organisations terroristes à appeler à des attaques contre les Américains et l’Occident, et avait considérablement « augmenté la menace d’une attaque » sur le sol des États-Unis.
Cela s’ajoute aux avis et conclusions des services de renseignement de diverses agences gouvernementales américaines qui ont mis en garde contre des menaces crédibles en provenance de groupes tels qu’Al-Qaïda et le Hezbollah à la suite du soutien des États-Unis à la guerre. Tant les agences d’espionnage allemande que britannique ont tiré la sonnette d’alarme sur le fait que la guerre pourrait alimenter une radicalisation chez les militants, mentionnant des menaces spécifiques formulées par des groupes djihadistes et ceux qui leur sont favorables.
Il y a de bonnes raisons de les croire. Au début du mois, un Français de 26 ans a tué un homme et en a blessé deux autres lors d’une attaque au couteau et au marteau dans le centre de Paris, avant de déclarer à la police qu’il était furieux que « tant de musulmans meurent en Afghanistan et en Palestine » et qu’il estimait que la France était complice de ce qui se passait à Gaza. Le lendemain de l’appel du Hezbollah à un « jour de colère » en représailles à l’explosion survenue le 17 octobre à l’hôpital Al-Ahli, deux personnes ont lancé des cocktails molotov contre une synagogue de Berlin. Pas plus tard que la semaine dernière, les autorités allemandes ont arrêté des membres présumés du Hamas qui auraient été chargés de se servir d’un dépôt d’armes secret en Europe en vue d’attaques contre des sites juifs sur le continent.
Si l’on considère la Tunisie comme un indicateur pour le reste de la région, une série d’enquêtes du Baromètre arabe a révélé que la proportion de Tunisiens favorables à la résistance armée à l’occupation israélienne avait augmenté de façon considérable au cours des trois semaines qui ont suivi l’attaque du Hamas du 7 octobre et le début de l’offensive militaire d’Israël. Les troupes américaines en Irak et en Syrie ont déjà été attaquées 97 fois depuis le 7 octobre, tandis que les rebelles houthis, qui contrôlent la majeure partie du Yémen, ont lancé une série d’attaques couronnées de succès contre des navires commerciaux en mer Rouge, ce qui pourrait inciter les États-Unis à riposter par des frappes militaires.
Dans le même temps, la guerre a été une aubaine pour le Hamas, malgré – ou plutôt grâce à – la catastrophe humaine causée par la guerre et déclenchée par les atrocités commises par cette organisation au mois d’octobre. Les sondages montrent que la popularité du Hamas a augmenté à la fois à Gaza et, surtout, en Cisjordanie, territoire plus vaste, où sa position s’est retrouvée renforcée par les événements de ces derniers mois et où le soutien populaire en sa faveur a augmenté de plus de 30 points. Par ailleurs, la popularité des forces plus modérées s’est affaiblie, une majorité écrasante de Palestiniens étant favorable à la démission du président Mahmoud Abbas et une majorité plus faible, proche des deux tiers, souhaitant même la dissolution de l’Autorité palestinienne qu’il gouverne. Lire La Suite ICI
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