Quand les États veulent contrôler la pluie

Ensemencer les nuages pour faire tomber la pluie ou la neige. L’idée paraît inconcevable, mais cette technologie existe depuis des décennies. Utilisée par de nombreux États, son efficacité fait pourtant débat. Source: reporterre.net

En 1946, des scientifiques étatsuniens ont mené les premières expériences d’ensemencement des nuages. Ils ont fait tomber la neige dans un frigo puis sont passés aux tests grandeur nature. Avec un avion, ils ont dispersé de l’iodure d’argent dans la vapeur d’eau d’un nuage. L’iodure d’argent agglomère les gouttelettes, formant des gouttes ou des flocons, selon la température. Entre 1947 et 1952, l’armée des États-Unis a financé pas moins de 255 vols expérimentaux : c’est le projet Cirrus.

L’armée a poursuivi ses recherches et a lancé l’opération Popeye en 1966. Des avions ont alors disséminé des tonnes d’iodure d’argent au-dessus de la piste Hô Chi Minh — un ensemble de routes utilisées pendant les guerres d’Indochine et du Vietnam par le Viêt Minh pour acheminer le matériel du nord au sud —, pour intensifier la mousson et ralentir l’ennemi. L’opération a été rendue publique en 1971 et est mal passée. Une convention de l’Organisation des Nations unies (ONU) interdisant la modification du climat à des fins militaires, surnommée Convention ENMOD, est entrée en vigueur en 1978.

Semer la pluie, de Pékin à Addis-Abeba

Cette convention n’a pas interdit l’utilisation du contrôle du climat à des fins civiles. La Chine est aujourd’hui le leader mondial dans ce domaine. En 2008, le pays a tout mis en œuvre pour que la météo soit clémente pendant les Jeux olympiques. Une centaine de militaires et deux avions ont été mobilisés. Cette opération d’ensemencement a coûté un demi-million de dollars.

En 2016, la Chine a envisagé un gigantesque programme de modification du climat. Le pays voulait dévier la vapeur d’eau depuis le sud, humide, vers le nord, aride. Quatre ans plus tard, Pékin a promis la construction de centaines de turbines sur le plateau tibétain pour augmenter la quantité de neige. Le mégasystème devrait être opérationnel en 2025. Difficile d’obtenir des informations plus détaillées. Mais l’annonce a suffi à provoquer l’inquiétude de pays voisins, dont l’Inde. Dix fleuves asiatiques majeurs prennent leur source sur les hauteurs himalayennes.

Depuis les années 2000, les programmes d’ensemencement des nuages se multiplient. Émirats arabes unis, Inde, Maroc, Australie, Éthiopie… une cinquantaine de pays utilisent cette technologie. En Europe, elle est employée pour lutter contre la grêle. Une vingtaine de départements français disposent de générateurs déployés en cas d’alerte météo. Ces plus de 1 000 générateurs envoient de l’iodure d’argent à haute altitude pour réduire la taille des grêlons qui frappent les exploitations agricoles. Le 13 avril dernier, ils ont fonctionné dans douze départements. C’est une association, l’Anelfa, qui encadre ces opérations. Sa direction souligne qu’elles permettent aux bénéficiaires de réduire le coût de leur assurance contre la grêle. Les assureurs considèrent que cette mesure préventive justifie une addition moins salée.

Le doute scientifique

Malgré leur succès auprès des gouvernements et des assureurs, les programmes d’ensemencement des nuages laissent la communauté scientifique dubitative. S’ils peuvent fonctionner en laboratoire ou à des occasions ponctuelles, difficile d’estimer leur efficacité, surtout s’ils sont déployés à grande échelle.

Israël a ensemencé des nuages dans le nord du pays pendant six décennies. Chercheur à l’université de Tel-Aviv, Pinhas Alpert a comparé les niveaux de précipitations entre les zones ensemencées et des zones sans intervention humaine de 1969 à 2007. Son but : comprendre si le programme a augmenté la quantité de pluie de façon statistiquement significative. Son étude a dérangé les défenseurs de l’ensemencement et ses résultats ont contribué à l’arrêt total de l’utilisation de cette technologie en Israël en 2021, faute de retour sur investissement.

Le chercheur israélien explique qu’il est extrêmement compliqué de prédire le comportement de la pluie. Les phénomènes à l’œuvre sont trop vastes. « Nous n’avons pas encore de modèle pour décrire les interactions entre les aérosols et les nuages à grande échelle, à l’échelle synoptique. » Même son de cloche côté étatsunien. « L’augmentation des précipitations est faible, dire si la pluie ou la neige sont tombées naturellement ou si elles ont été déclenchées par l’ensemencement reste difficile »écrivait, en mars 2022, William R. Cotton, professeur de météorologie à l’université du Colorado. La Suite ICI: https://reporterre.net/Quand-les

Share

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *