Mame Less Camara, un des derniers grands et vrais journalistes

Le journaliste Mame Less Camara vient de nous quitter. C’est une immense perte pour la presse sénégalaise. Il faisait partie de la caste des seigneurs du métier. Brillant, cultivé, libre, curieux, digne et pudique Mame Less Camara a marqué l’histoire du journalisme au Sénégal. 

La disparition de Mame Less Camara est tout un symbole. L’homme à la plume exquise et à la voix radio délicieuse a écris une page ineffaçable du journalisme. Il part dans une période où la presse sénégalaise vit des moments troubles. Tout un symbole !

Professionnalisme chevillé au corps, Mame Less Camara a incarné toute sa vie la noblesse du métier. En tant que reporter mais aussi en tant que formateur, il était en parfaite harmonie avec la pensée de Pulitzer :

« Le journalisme, loin d’être un métier parmi tant d’autres, est le plus noble d’entre tous. C’est quelqu’un tenu par un esprit de corps défendant, cet idéal ferait en sorte qu’aucun membre de cette profession qui se serait abaissé, devenant l’affidé d’un roi de la finance, n’oserait se montrer devant ses collègues. »

Au moment où la presse se meurt avec des journalistes arrêtés, des journaux muselés, des patrons de presse achetés, cette disparition d’un des derniers journalistes libres sonne comme une allégorie d’une agonie programmée. Il vient, cette disparition donner une douloureuse gifle aux hommes et femmes du secteur. Pour leur dire: ressaisissez-vous ! Révoltez-vous !

J’ai rencontre le doyen Mame Less a plusieurs reprises, au gré des séminaires, colloques mais une seule fois, on a pu échanger longuement. C’était lors de la campagne électorale de 2012. On s’est retrouvé cote à cote à un meeting du M23 à la place de l’Obélisque. Debout du coté du siège du PDS, pendant presque 3 heures, on a pu parler et discuter sur la politique, la démocratie, le troisième mandant et la dévolution monarchique. J’étais en face d’un homme hors du commun. Intelligent, mais surtout d’une humilité désarçonnante. Et même lorsque je le taquinais sur le fait que les monuments de la presse comme lui ne devaient pas se limiter à alerter mais plutôt aider le citoyen à choisir le bon candidat, il me répondit avec classe : « c’est une excellente suggestion pour les monuments dont je ne suis pas. J’en suis bien loin ».

De la RTS à la BBC, en passant par Walf, GFM et autres, Mame Less a laissé partout une trace indélébile. Il a fait montre de compétence, de probité et de dignité, malgré toutes les tentations. Même au cours de cette maladie qui l’emporta, il resta digne jusqu’au bout en refusant certains soutiens. Un bon musulman qui confia sa vie à Dieu ! Sa vie, ses leçons de vie doivent être entendues. La dignité n’est pas un vice.

Dans un entretien avec l’éditorialiste Mame Gor Ngom, à la question de savoir quelles étaient ses références dans le métier, il cita sans hésiter Mame Less Camara parmi celles-ci.

 » Je pense à la légende vivante Mame Less Camara. Qu’il vive encore pour longtemps ! J’ai la forte conviction qu’on n’a pas donné à ce géant de la presse, ce digne Sénégalais la place qu’il mérite. Au-delà même du monde des médias, Less, est un exemple d’élégance comportementale, d’humilité. À la veille de la présidentielle 2019, je l’ai côtoyé un long week-end durant à Touba où nous animions avec mon grand Ibrahima Bakhoum, une formation pour des journalistes locaux. Trente minutes avec Mame Less, c’est le résumé de l’histoire politique, sociale culturelle avec des anecdotes croustillantes, des faits précis, un vécu extraordinaire. Rédacteur en Chef de la Tribune, il lui arrivait de m’envoyer ses textes tout en insistant pour que je relise » … (trémolo dans la voix). Ce doute intelligent propre aux grands esprits alors que moi j’étais intimidé par sa pertinence, ses tournures simples et percutantes… (Mame Gor marque un temps d’arrêt, essuie une larme avant de poursuivre) …Mame Less mérite la reconnaissance de la nation »  avait conclu Mame Gor. Un vibrant hommage de son vivant !

Dimanche, Mame Less Camara repose au cimetière de Yoff. Que Dieu l’accueille et lui pardonne ses fautes.Cette reconnaissance dont parle Mame Gor Ngom, il l’avait de ses pairs et de ses nombreux lecteurs, mais aujourd’hui, c’est à la nation d’honorer sa mémoire. Le chef de l’État Macky Sall a été bien inspiré lundi en décidant de donner le nom de Mame Less Camara au Centre d’Études des Sciences et Techniques de l’Information (CESTI), l’école de journalisme de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Il le mérite amplement et toute la profession doit aujourd’hui perpétuer son legs. Son départ pour le grand voyage doit sonner la remobilisation pour une presse libre, juste et digne comme l’a toujours incarné l’illustre disparu ! C’est la meilleure prière qu’on puisse lui envoyer.

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