Le recours aux barricades ou l’invention d’une stratégie du vide

La mobilisation sans commune mesure des FDS par l’État pour contenir les mouvements sur le terrain de l’opposant Sonko avec ses déferlements de foules a prouvé à suffisance que le pouvoir de la rue peut être ascendant sur la vie des institutions. L’irruption de la foule accorde un statut d’acteur collectif majeur à la rue, confirmant une fonction que la naissance de la République et l’affirmation de ses principes constitutionnels n’étaient pas parvenues à cantonner au rang de recours révolutionnaire contre l’arbitraire.

Qu’est ce qui pouvait justifier que Sonko soit appréhendé manu militari pour couper court à sa caravane de la liberté initiée dans le cadre de sa campagne de désobéissance civique et bunkerisé chez lui pendant 55 jours d’affilée ?

Le pouvoir, dépassé par les réponses de la foule portant aux nues leur nouveau prophète semblait vouloir étouffer dans l’œuf la popularité toujours grandissante d’un opposant contre lequel aucun moyen n’a été épargné pour le réduire au silence complet. Le pouvoir s’est organisé autour de quatre impératifs complémentaires.

Un impératif de préservation

Il fallait éloigner temporairement les FDS d’éventuels lieux d’affrontements avec les foules acquises à la cause de Sonko ; éviter de prolonger plus longtemps les patrouilles pénibles et inefficaces et au contraire ordonner aux soldats de retourner se reposer dans leurs quartiers respectifs, dans l’attente de l’affrontement décisif.

Un impératif de lisibilité

Il importait de dégager définitivement la rue de tous ses éléments indésirables. Il s’agissait d’écarter prioritairement la foule complice et remuante, qui entravait l’action des forces de l’ordre et troublait l’intelligibilité des interventions. Depuis le début de l’insurrection des 2 et 3 juin, plusieurs signes avaient déjà dévoilé le souci récurrent des autorités de mettre un terme aux attroupements, aux regroupements et à toute manifestation de la société civile et des mouvements citoyens, arguant la possibilité de troubles à l’ordre public.

Un impératif de fixation

Il fallait laisser la rue vide en quasi état de siège, pour leur permettre d’édifier un réseau de barricades ou barrières suffisamment résistantes pour qu’aucun élément intrépide n’envisagea de le faire sauter. Effectivement si émeute, il devait y avoir,  barricader la cité Keur Gorgui obligeait l’insurrection à s’établir enfin dans un espace étroitement délimité et fermement circonscrit et à se déployer selon les logiques traditionnelles faisant de Sonko un bouclier de guerre. Ce plan, en rendant enfin sensibles les frontières entre les deux camps, permettait d’isoler définitivement le mal insurrectionnel, qui menaçait alors de contaminer les foules. De plus, la barricade, redevenue paradoxalement au théâtre privilégié des insurgés de Ziguinchor le moyen des forces de répression d’agir efficacement contre les téméraires qui nourrissaient l’envie de fouler le périmètre circonscrit, on comprend alors mieux pourquoi aux barricades des insurgés de Ziguinchor, l’État a érigé  les barrières de CKG. Une politesse rendue à la foule, un échange de bon procédé de lutte.

Un impératif d’unité d’action

Une fois l’ennemi enfin localisé, circonscrit et maté, il était indispensable d’agir massivement et brutalement en brisant toute velléité de résistance de ses troupes, afin d’éradiquer définitivement le péril insurrectionnel et avoir toute la latitude de transformer en actes les conclusions controversées du dialogue politique, autre instrument de neutralisation de Sonko, potentiel candidat aux élections présidentielles de février 2024 et donné largement favori à la course au suffrages. La pratique politique d’un autre âge semble encore être un logiciel en vigueur, témoignant à sa manière d’une forme de fébrilité par rapport aux enjeux électoraux futurs.

Il semble toutefois que toutes ces stratégies n’aient pas donné le résultat escompté. Replacés dans ce contexte, les événements récents, des 2 et 3 juin 2023 suite à la condamnation d’Ousmane Sonko à deux ans de prison pour corruption de la jeunesse et induisant son inéligibilité et qui ont fait plus d’une vingtaine de morts, ne sont donc pas inédits en soi.

L’ironie de l’histoire, c’est que le président Sall s’est lui-même largement mis dans cette nasse, expliquant son abandon de briguer un troisième mandat. Son retrait des futures joutes électorales est venu fausser tous les pronostics et semer la confusion dans tous les rangs des acteurs politiques. Le dégel s’impose de lui-même car il ne sert à rien de maintenir un climat d’hostilité ouverte quand Sonko, en personne montre des gages d’ouverture au dialogue avec le pouvoir et d’apaisement social. Au bout de 55 jours de séquestration arbitraire, les barricades de CKG ont été levées au grand soulagement de ses riverains, augurant de nouveaux développements dans la saga judiciaire de l’opposant radical.

Et qu’en est-il du séquestré, comment a t’il vécu son enfermement ?

Subir l’épreuve de l’enfermement et maîtriser la douleur en soi est contraindre l’insaisissable, plier à sa volonté propre ce qui submerge l’homme ordinaire et le laisse sans autre voix que le cri. En contrôlant cette violence, en la ciselant avec dévotion au cœur de soi,  Sonko s’est subordonné sa condition plutôt que de lui être soumis.

Nulle épreuve n’est plus significative pour attester de sa détermination aux yeux des autres, et surtout par rapport à ses convictions propres. C’est un Ousmane Sonko, transfiguré, plus résilient que jamais et doté d’une intelligence politique plus affutée et d’une stratégie de déploiement médiatique plus percutante qui s’est offert à notre entendement.

L’humilité et l’empathie sont les traits distinctifs qu’il a affichés tout au long de sa réclusion forcée. Ses différentes sorties médiatiques ont été empreintes d’une posture à la fois responsable et responsabilisante.

  Son leadership est également porteur de sens et de valeurs, capable de s’adapter de manière permanente et être lui-même acteur du changement, capable aussi de mobiliser les énergies même à distance.

Son discours a été d’une efficacité sociale redoutable, qui se distingue dans sa capacité à court-circuiter la vigilance consciente des récepteurs pour pénétrer habilement leur « inconscient ». Une authenticité naturelle de la parole politique dont les effets sociaux se posent d’abord en terme d’efficacité avant de devenir presque une prophétie auto-créatrice, lorsque ses cibles de communication, elles-mêmes prédisposées pour des raisons évidentes à croire au poids des mots, lui offrent la possibilité de démultiplier à l’infini son audience en reprenant ses propos le temps d’une citation, d’un commentaire… Son discours  se défait alors de sa volatilité première pour acquérir, en politique au moins, l’épaisseur d’un référent « dur ».

Ousmane Sonko développe une approche subtile et pédagogique de l’action politique.

Sa parole est séduisante et convaincante. Difficile d’y rester indifférent de quelque bord que l’on est. Il construit d’abord un vigoureux contre-discours face à de très puissantes forces conservatrices pour proposer ensuite une parole réformatrice, non pas punitive et sacrificielle, mais positive et prometteuse, fondée sur les valeurs consensuelles de cohésion sociale, de liberté et d’équité.

Il produit une rhétorique fédératrice en nous engageant à être les gardiens du Temple, les gardiens d’un certain idéal qui doit perdurer et rassembler, qui doit être solidaire. Nous sommes désormais condamnés à refuser la régression sociale et à être acteur de notre devenir.

Un discours inclusif empreint de conviction et de convivialité qui humanise la politique tout en privilégiant la fermeté dans la résistance et qui marque l’esprit et touche le cœur…

En définitive, Ousmane Sonko sort politiquement renforcé de ces événements et de sa séquestration, même si son image personnelle sort affaiblie par cette affaire de sweet beauté qui, quel qu’en soit l’épilogue judiciaire, laissera des traces. D’autant plus qu’il avait joué du registre de la vertu et de l’irréprochabilité en politique dans la construction de son récit politique. Il reste qu’il a su poser les termes du rapport de force et du « narratif » en sa faveur : quoi que le pouvoir entreprenne désormais contre lui risque de renforcer encore plus sa stature.

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Khady Gadiaga est une communicante de profession. Elle a capitalisé 25 ans d'expérience professionnelle dans différentes entreprises où elle a respectivement occupé les postes de Product Manager, Directrice Commerciale et Marketing, notamment dans les secteurs de l'industrie médicale et textile en Europe et en Afrique. Ancienne directrice du marketing du Festival Mondial des Arts Nègres (FESMAN) de 2005 à 2010, elle a coordonné et orchestré le volet communication et marketing de ce grand rendez-vous culturel. Khady est passionnée de culture, des grandes idées et des mots, elle met sa plume au service des causes justes, parmi lesquelles, la paix et la concorde et la liberté. À ce titre, elle a été directrice de la rédaction, à Debbo Sénégal. Cette ancienne étudiante en Langues étrangères Appliquées à l'économie et au droit à University of Nice Sophia Antipolis, est aujourd'hui Directrice générale à Osmose (Agence de communication Globale) et depuis 2011, met en pratique sa riche expérience en qualité de Consultant expert Sénior en accompagnant les organisations du secteur privé, public et institutionnel en terme de conseils, de coaching et de suivi-évaluation de projets et programmes. Les chroniques de cette dame de aux centres d'intérêts éclectiques, sont désormais sur Kirinapost.

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