Glenn Greenwald : « Des journalistes sont devenus les porte-voix des fake news de la CIA »

L’alliance la plus importante de l’ère Trump est celle unissant les entreprises et les agences de sécurité nationales, qui diffuse sans se poser de questions des affirmations sans preuves solides. Source : Glenn Greenwald/ Les Crises.

La Russie a mis des « primes » sur la tête des soldats américains en Afghanistan, voilà l’un des reportages les plus discutés de 2020. Mais il s’avère que c’était également l’un des plus dénués de tout fondement – comme le reconnaissent dorénavant les agences de renseignement l’ayant diffusé par l’intermédiaire de leur porte-parole, en grande partie car l’histoire a rempli sa mission et ne sert plus son objectif.

La saga débute le 26 juin 2020, lorsque le New York Times déclare que des « responsables du renseignement américain » anonymes sont arrivés à la conclusion « qu’une unité du renseignement militaire russe propose secrètement des primes aux militants liés aux talibans afin de tuer des soldats des forces de la coalition en Afghanistan– y compris en ciblant les troupes américaines. » L’article l’a qualifié « d’escalade importante et provocatrice » de la Russie. Bien qu’aucune preuve n’ait jamais été fournie afin d’étayer les affirmations de la CIA, ni dans ce premier reportage ni dans aucun autre depuis, la plupart des organes d’information américains les ont aveuglément crues pendant des semaines, si ce n’est plus, traitées comme une vérité prouvée et d’une grande importance. De même des responsables politiques de premier plan des deux partis se sont servis de cette émouvante histoire pour avancer leurs arguments.

L’histoire survenait – par hasard ou pas – quelques semaines après l’annonce par le président Trump du retrait des troupes d’Afghanistan d’ici la fin 2020. Des membres du Congrès des deux partis favorables à la guerre et des libéraux forcenés dans les médias dominants ont passé des semaines à affûter cette histoire afin d’accuser Trump de tranquiliser Poutine en quittant l’Afghanistan et d’être trop terrorisé pour punir le Kremlin. Les chaînes câblées et les éditoriaux du New York Times et du Washington Post discutent sans fin des graves implications de cette traîtrise russe et débatent des représailles nécessaires. « C’est très grave » indiquait Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants. Joe Biden qui était alors candidat affirmait que le refus de Trump de punir la Russie et sa mise en doute de la véracité des faits étaient des preuves plus que satisfaisantes du fait que « toute la présidence (de Trump) avait été une bénédiction pour Poutine. » En même temps, le sénateur républicain du Nebraska, Ben Sasse, exigeait qu’en retour les Etats-Unis mettent les Russes et les Afghans dans des « sacs mortuaires. »

Ce qui faisait défaut dans cette orgie médiatique d’indignation et d’exigences militaristes de représailles, c’était une once de questionnement sur le fait de savoir si l’histoire était en fait vraie. Tout ce dont ils disposaient, c’était d’une fuite anonyme de « responsables du renseignement » – dont le New York Times a reconnu jeudi qu’elle provenait de la CIA – mais c’est tout ce dont ils avaient besoin. Car la grande majorité du secteur dominant de la presse vit sous une règle suprême:
Lorsque la CIA ou l’une des agences liées à la sécurité nationale disent aux journalistes de croire quelque chose, nous obéissons aveuglément. Le résultat en est que quelles que soient les assertions diffusées par ces agences, peu importe si elles sont sans preuves ou protégées par un anonymat sans responsabilité, elles deviennent, dans ce contexte d’adoration du gouvernement, un fait établi – parole d’Évangile – à ne jamais remettre en question mais à affirmer, à répéter et à diffuser aussi loin et largement que possible.
Dans l’ère Trump.

Alors que la CIA est devenue l’une des principales factions de la #Résistance anti-Trump – un acteur clé de la politique intérieure pour subvertir la présidence du 45e président considéré par les figures médiatiques comme une menace de type hitlérien – le lien entre la presse dominante et la communauté du renseignement s’est approfondi plus que jamais. Il n’est pas exagéré de parler de fusion : à tel point qu’un défilé d’anciens responsables du domaine de la sécurité, de la CIA, de la NSA, du FBI, du DHS et d’autres organismes a été embauché par ces organes de presse pour diffuser les informations. Le partenariat n’est plus clandestin mais officiel, ouvert et fier.

Le premier objectif de cette histoire était de l’utiliser comme une arme dans la bataille menée par les Démocrates pro-guerre de la Chambre des représentants et leurs alliés néoconservateurs du GOP pour arrêter le plan de retrait de Trump d’Afghanistan. Comment, ont-ils demandé dès la publication de l’article de la CIA/NYT, pouvons-nous quitter l’Afghanistan alors que les Russes essaient de tuer nos troupes ? Ne s’agirait-il pas d’une renonciation imprudente et en faveur du Kremlin à ce pays qui nous appartient, et le retrait ne serait-il pas une récompense pour Poutine après que nous ayons appris qu’il était engagé dans un complot aussi ignoble pour tuer nos fils et nos filles ?

À la fin du mois de juin, cette alliance de Démocrates pro-guerre de la Chambre des représentants – financée en grande majorité par des industriels militaires – et l’aile néocon dirigée par Liz-Cheney ont annoncé des amendements au processus d’autorisation du budget militaire qui défendraient les efforts de Trump pour retirer les troupes d’Afghanistan ou d’Allemagne (où elles étaient stationnées depuis des décennies pour défendre l’Europe occidentale contre un pays, l’Union soviétique, qui a cessé d’exister depuis des décennies). Ils ont instantanément fait de l’histoire du NYT/CIA leur principal argument.

Le budget militaire record de 740 milliards de dollars devait être approuvé par la commission des services armés de la Chambre des représentants début juillet. Dans une déclaration commune avec le représentant Mac Thornberry (Républicain du Texas) le 29 juin – le jour de la parution de l’article du NYT – Liz Cheney a proclamé que « nous restons préoccupés par l’activité des Russes en Afghanistan, y compris par les rapports selon lesquels ils auraient pris pour cible les forces américaines. » L’un des députés démocrates les plus favorables à la guerre, le représentant Ruben Gallego (Démocrate de l’Arizona), a annoncé le 1er juillet (trois jours après la parution de l’article du NYT) son propre amendement visant à bloquer tout retrait de troupes d’Allemagne, en invoquant « l’agression russe croissante. »

Les 1er et 2 juillet, la commission des services armés de la Chambre des représentants a tenu ses audiences et ses votes – j’ai suivi les quatorze heures et en ai rendu compte dans une série d’articles et un reportage vidéo de 90 minutes – et elle a non seulement approuvé ce budget militaire massif, mais aussi les deux amendements visant à empêcher le retrait des troupes. À maintes reprises, l’union des Démocrates favorables à la guerre et des Républicains néoconservateurs dirigés par Cheney a écrasé la faction anti-guerre des opposants de gauche et de droite (menée par les membres du Congrès Ro Khanna (Démocrate de Californie), Tulsi Gabbard (Démocrate de Hawaï) et Matt Gaetz (Républicain de Floride)), et a utilisé à plusieurs reprises l’histoire de la prime russe pour justifier la poursuite de la plus longue guerre de l’histoire des États-Unis. Ce petit discours du représentant Seth Moulton (Démocrate du Massachusetts) illustre bien la façon dont cette histoire de la CIA a été utilisée toute la journée :

Les médias américains étaient en quelque sorte plus militaristes et d’une confiance aveugle dans cette histoire de la CIA que ce syndicat de législateurs pro-guerre. Que la déclaration de la CIA au New York Times soit remise en question – étant donné qu’elle a été divulguée de manière anonyme et qu’elle n’était accompagnée d’aucune preuve – n’est pas une chose qui a effleuré leur esprit journalistique. La Suite Ici: https://www.les-crises.fr/

 

 

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