FELIPE P. ROQUE: « SANS CULTURE AUCUNE LIBERTE N’EST POSSIBLE »

 Discours prononcé par Felipe Pérez Roque, ministre des Relations extérieures de la République de Cuba (1999-2009) à la réunion ministérielle du Mouvement des pays non alignés sur les droits de l’homme et la diversité culturelle. Téhéran, le 3 septembre 2007. 

La culture est un composant essentiel de la souveraineté. Ainsi l’a-t-il dit, le président Fidel Castro, voici quelques années : « Qu’est-ce que la Patrie, si ce n’est que la culture à soi ? ».

Aujourd’hui, le patrimoine culturel de nos nations est en péril et nous nous devons de lutter, avec intelligence et ténacité, pour la défense du droit de nos peuples de préserver, pour les générations à venir, l’héritage de notre histoire et de notre culture.

L’application du principe selon lequel la meilleure façon de soumettre un peuple est la destruction de sa mémoire historique et culturelle et de ses symboles patrimoniaux, rentre dans la stratégie de domination et d’hégémonie qu’imposent les puissants à niveau international. Promouvoir le respect de la culture, de l’histoire, des diverses religions, et de l’idiosyncrasie de chaque nation est un droit fondamental de l’homme. Inculquer le respect de la diversité culturelle est notre devoir et notre droit.

Le néolibéralisme, dans une planète mondialisée, a imposé la marchandisation et la privatisation de la majorité de la production culturelle. L’art authentique, pour se faire une place, se bat contre l’irruption écrasante des multinationales et du marché. La culture devenue marchandise et l’avancée de la banalité enjôleuse versus l’art qui fait réfléchir ; la médiocrité homogénéisante versus la diversité culturelle. Voilà le résultat de l’action ravageuse du «puissant chevalier Sieur Argent».

Ce n’est pas le fruit du hasard, mais d’un plan. On prétend que la consommation privilégiée et parasite d’une élite est le synonyme du développement. Ils veulent nous faire avouer la faute de la pauvreté et du sous-développement qui tenaillent nos pays.

Ils cherchent à briser notre résistance devant un modèle de consommation qui rend impossible la survie de notre espèce, qui pollue, détériore et épuise les ressources naturelles afin qu’une minorité les gaspille au prix de la souffrance des quatre cinquièmes de la population mondiale.

L’hégémonie unipolaire qu’exerce la puissance la plus puissante et riche de l’histoire des relations économiques, politiques et militaires internationales, tente d’imposer une culture unique à l’échelle mondiale. On veut nous persuader de croire au mirage, d’accepter un modèle colonisateur, éblouissant et ravissant en toute intention, déguisé en culture mondiale. Devant cette préoccupante réalité, il est impératif de défendre les valeurs éthiques et esthétiques auxquelles s’oppose la médiocrité du marché; au profit du lien qui existe entre la culture et la sauvegarde de l’identité de chaque peuple et la préservation de l’espèce humaine.

Le rôle des Nations unies est crucial pour la protection et la promotion des différentes cultures et pour la coopération internationale dans ce domaine. Le total respect de la diversité politique, économique, culturelle, sociale et religieuse, conformément aux buts et principes de la Charte des Nations unies est décisif.

Nous pouvons et nous devons lutter !

Ce n’est pas une bataille perdue d’avance, et s’il nous en faut une preuve récente, voilà l’entrée en vigueur de la nouvelle Convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, adoptée par 148 pays, et à laquelle seuls les Etats-Unis et l’Israël se sont opposés. C’est un fait marquant de notre lutte commune pour préserver l’important droit humain à la diversité.

Mais ce n’est qu’un début. La Convention en a identifié les objectifs. À nous maintenant de la transformer en résultats concrets et d’éviter qu’elle ne devienne de la lettre morte. Nous devons être plus actifs au sein de l’UNESCO, où nous avons d’ailleurs relancé, en mars dernier, le travail du Mouvement.

Rappelons-nous qu’en 2005, grâce à notre lutte au sein de la Commission des droits de l’homme, et alors qu’atteinte par le discrédit et la politisation, elle s’est vue dans l’obligation de proclamer que les « droits culturels font partie intégrante des droits de l’homme, et qu’ils sont universels, indivisibles et interdépendants ».

Actuellement, nous sommes en pleine phase finale de construction institutionnelle du nouveau Conseil des Droits de l’homme. Jusqu’ici nous avons empêché les puissants de toujours d’arriver à leurs fins. Ils n’ont pas réussi à nous empêcher d’avancer dans la construction d’un Conseil où il n’y ait plus de place pour les pratiques corrompues et usées de l’ancienne Commission. Par contre, il est clair qu’ils préparent déjà la revanche, qu’ils donneront une nouvelle bourrade à l’Assemblée générale. Nous devons rester alertes.

Nous devons oeuvrer dès maintenant pour que le Conseil des droits de l’homme proclame la reconnaissance internationale du droit humain à la diversité culturelle. En notre faveur, nous avons, en plus, la résolution relative à cette question qui a été adoptée en décembre par l’Assemblée générale des nations unies, qui évoque « l’importance pour tous les peuples et nations de maintenir, développer, et préserver leur patrimoine culturel et leurs traditions ».

De Cuba, ma Patrie, qui est sous le blocus et l’agression depuis plus d’un demi siècle, je n’en dirai qu’elle a résisté et résiste et qu’elle vaincra, car elle a proclamé dans la voix de Fidel que «sans culture aucune liberté n’est possible » ; car la Révolution a dit au peuple : « nous ne te prions pas de croire, mais de lire ». Car nous avons compris que notre Patrie est l’Humanité ; et car nous avons défendu la nation dans un rapport étroit et indispensable avec l’universel.

Conjuguons nos efforts pour sauver la culture universelle qui est fondée sur l’authenticité et la diversité de l’expression la plus élevée de la création spirituelle et artistique de nos peuples. Défendons la mondialisation de la diversité. Réclamons le respect des droits des minorités, des exclus, des marginalisés.

Condamnons manifestement l’irrespect de la diversité culturelle et les conceptions racistes, discriminatoires et xénophobes portant sur la supériorité de races, cultures et nations, qui ont fait les causes essentielles de coûteux conflits tout au long de l’histoire, et dont la réapparition nous devons éviter.

Promouvons le dialogue des cultures et des civilisations, et opposons-nous énergiquement au prétexte du prétendu « choc des civilisations », auquel font appel ceux qui menacent la paix et la sécurité de nos peuples.

Travaillons en vue de mettre en oeuvre des politiques culturelles qui défendent nos identités nationales et qui protègent notre patrimoine.

Cuba comprend que le défi que nous avons devant nous est grand, et que des efforts et, notamment, de l’engagement politique seront nécessaires pour pouvoir mener à bout des actions concrètes qui apportent la teneur des dispositions que nous prendront à cette réunion Ministérielle. Mais nous sommes optimistes, et nous faisons confiance à la force de l’unité, à la richesse de notre diversité, et à la volonté commune de nous battre pour notre droit à un monde de paix et de justice pour tous.

Défendre aujourd’hui la diversité culturelle équivaut à défendre notre droit à assurer l’avenir de l’humanité. Dans cette lutte, comme dans bien d’autres qui poursuivent la revendication des aspirations des peuples du Sud, le Mouvement des pays non alignés peut compter sur Cuba.

©:openagenda

Archives Afrikara, 16/09/2007

Source : Cubarte, Fuente: http://america.cubaminrex.cu

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Martial Ze Belinga est un économiste et sociologue camerounais. Son travail porte spécifiquement sur l’épistémologie de l’histoire africaine, les préjugés et les silences qui biaisent la compréhension du passé de l’Afrique et des diasporas africaines. L'art et la culture tiennent une place centrale dans son travail. À ce titre il est l'auteur de plusieurs ouvrages parmi lesquels: "Au-delà de l’inculturation. De la valeur propositionnelle des cultures africaines". Pour l'économie, ses travaux ont beaucoup porté sur la monnaie notamment le FCFA. il est l'auteur entre autres de: "Afrique et mondialisation prédatrice". Expert associé au comité scientifique international de l’UNESCO pour l’Histoire générale de l’Afrique, Belinga est éditorialiste et avait lancé le site Afrikara dédié à l'histoire, la culture et l'avenir du monde noir. Il a été par ailleurs sélectionné parmi les 20 « Experts » représentatifs de la diversité (Club XXIe siècle, France)

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