Entre opération « Mode avion » et renaissance africaine

Le mouvement de boycott citoyen contre une augmentation exponentielle des forfaits de téléphonie mobile en Afrique subsaharienne, fait ces temps la une de Jeune Afrique et d’autres médias internationaux. 

À la fin des années ‘90, le slogan de la conscience mondialisante était que la renaissance africaine passe par les télécoms, constaté par l’UIT lors de Telecom Africa 2001. C’est dire que, dans le contexte de l’avènement de la téléphonie mobile, la libéralisation de contrats d’exploitation, mirobolants en premier lieu pour les investisseurs, la guerre des télécoms en Afrique ne date pas d’hier.

Aujourd’hui, le citoyen africain est en droit d’interpeller la volatilité du concept de « renaissance africaine ». En effet, en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso, en République centrafricaine et au Cameroun, les utilisateurs de téléphonie mobile se mobilisent depuis près de trois semaines contre un renchérissement exponentiel des forfaits télécoms de téléphonie et d’internet.

En effet, dès le 8 avril dernier en Côte d’Ivoire, un élu indépendant a lancé le boycott de tout service de téléphonie mobile de 12h à 14h pendant trois jours, en blâmant entre autres les opérateurs télécoms « pour leur cupidité et pour l’ensemble de leurs œuvres contre les Ivoiriens, depuis des décennies ». (Le Monde, 12 avril 2023)

Au Burkina Faso, c’est par une heure d’action « Mode avion » le mardi 18 avril que les utilisateurs de téléphonie mobile se sont exprimés contre le renchérissement de la connexion internet, selon Jeune Afrique.

En Centrafrique, la mobilisation de l’association de la société civile pour la défense des droits numériques a obtenu des autorités et des opérateurs télécom, une entrée en matière dans un espace de dialogue pour que les revendications pour la baisse des coûts télécom se traduisent par des actes concrets. De plus, une requête de transparence vis-à-vis des utilisateurs en matière de transactions et services rendus par les opérateurs, par notamment la révision de leur cahier des charges, fait montre de proactivité dans le traitement en amont de la question. En attendant l’issue des négociations, le boycott citoyen devrait se poursuivre, complété par des manifestations de conscientisation dans l’espace public.

Au Cameroun en revanche, un article publié par Digital Business Africa, opérateur économique dans le domaine des TIC basé à Yaoundé, donne la priorité à la recherche de l’identité du lanceur de l’opération « Mode avion », et de la déstabilisation du mouvement. Pour que l’essentiel soit que les opérateurs MTN Cameroon et Orange Cameroun ne se soient pas inquiétés, en dit long sur la gêne que le mouvement suscite auprès des plus affairistes des autorités camerounaises.

Jusqu’à ce jour, la mobilisation des utilisateurs de télécoms a porté ses fruits de manière contrastée dans les quatre pays mentionnés. Le 22 avril dernier MTN et Orange en Côte d’Ivoire ont annoncé un retour aux anciens tarifs (Jeune Afrique, 24 avril 2023). La mobilisation citoyenne des utilisateurs de téléphonie mobile semble donc avoir fait mouche dans ce pays. L’avenir nous en dira davantage.

En même temps, et au-delà d’un esprit complotiste, ce qui pourrait ressembler à une stratégie étrangement synchronisée, dans un contexte d’enjeux macroéconomiques majeurs pour les grands appétits prédateurs – en perdition chez eux parfois, peut laisser songeur.

D’abord une vaste campagne de lutte contre la désinformation, dont notamment Amnesty International interpelle les fondements de l’utilité, dans un contexte de positionnements divers. En effet, la littérature sur le sujet se fond dans les sables mouvants entre défense de la démocratie et censure.

Ensuite, l’entrave communicationnelle explicite pour tous les utilisateurs, touche d’autant plus les professionnels des médias, dont les défis d’ordre économique pèsent déjà sur le quotidien professionnel. Par extension, et dans un contexte d’insécurité chronique pour les journalistes, comme en République centrafricaine notamment, une hausse des coûts de téléphonie et d’internet mobile ne semble guère compatible avec une pratique professionnelle de plus en plus exigeante en matière de vérification des actualités et de lutte intense contre la désinformation.

En conclusion, l’intérêt de la réflexion réside dans le fait que seul le problème commun, soit une explosion des coûts des forfaits télécoms, exposant les utilisateurs à de graves difficultés communicationnelles malgré le vœu pieux d’une renaissance africaine déclarée, est qualifiable de panafricain. Malgré l’accord tacite sur la nécessité d’un boycott citoyen comme moyen d’action et de pression pacifique, les différents rôles varient ensuite.

Au Cameroun, à ces utilisateurs télécom du pays de « l’Afrique en miniature », il est répondu à des revendications pourtant qualifiables de panafricaines, par l’intimidation, voire une menace de répression à peine voilée qui se mesure à l’expérience du citoyen ordinaire depuis plusieurs décennies. La suite ne présage rien de particulièrement positif.

En RCA, pour ceux de l’ « Etat-fantôme » et du « pays-qui-n’existait-pas » (dixit respectivement Crisis Group et Jean-Pierre Tuquoi) d’il y a quelques années, l’atmosphère autour de la question qui prévaut, qualifiable de mature avec une ferme volonté de prendre en main le destin commun en agissant sur les leviers de négociation à disposition, reste une sortie de crise possible.

Consciente de la simplification apparente d’une telle conclusion, cette réflexion cherche aussi à prendre un certain recul. Un choix qui permet aussi de mesurer les distances entre différents types d’évolution, dont la diversité participe à une reconstruction plus ou moins longue du lien entre gouvernants et gouvernés. Ce rapport qui reste aujourd’hui si maltraité, voire matraqué, dans un climat troublé de recherche de soi, des siens et de délivrance de chaînes qui étouffent.

Entre une renaissance africaine qui détruit et celle qui représente l’espoir pour une vie meilleure, il est un monde de mythes et d’invention.

Share

D’origine britannique, Rebecca Tickle est d’abord une passionnée de l’histoire et du destin de l’Afrique. Elle baigne dans l’esprit du continent dès sa petite enfance à travers son père journaliste, qui sillonne le continent africain durant les années de la Guerre froide. Après une carrière d'infirmière diplômée bien remplie et l’achèvement d’une licence en sciences sociale et politiques reconnue par l’Université de Lausanne, Rebecca Tickle a travaillé dans le domaine de la résolution de conflit, de la gestion de projet de médiation humanitaire et de la communication. Elle s’engage comme chargée de communication puis comme secrétaire générale dès 2009 à la Fondation Moumié basée à Genève, organisation œuvrant pour la réhabilitation de la mémoire coloniale et postcoloniale des héros nationalistes camerounais. S'intéressant également à l’histoire mouvementée de la République Centrafricaine depuis 1960, ainsi que globalement à l’Afrique centrale, elle se penche sur les dénominateurs communs qui caractérisent le continent africain. Portant une attention particulière au renforcement des capacités de la société civile et aux rapports de pouvoir dans les médias face aux actualités du macrocosme africain, Rebecca Tickle se plonge volontiers dès qu’elle en a l’occasion dans cet univers qui lui tient tant à coeur, à travers la littérature, les cinémas d’Afrique et ses voyages. Un Master d’études africaines en cours de finalisation à l’Université de Genève, sa curiosité insatiable et sa veille attentive des nouvelles de l’Afrique dans le monde, lui permet de faire des analyses fortes et de participer à bon nombre d’activités et de débats dans les différentes perspectives de ses domaines d’intérêt. Rebecca Tickle collabore avec la rédaction de Kirinapost depuis son lancement en 2016.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *