Dictature sans sang et larmes (Maître Ciré Clédor Ly)

Maître Ciré Clédor Ly est avocat, membre du Collectif de la défense d’Ousmane SonkoLa loi sénégalaise assimilée à un manteau d’arlequin avec des tailleurs professionnels narquois est devenue une mutante qui menace la sécurité juridique et la sûreté des personnes. Sonko est devenu officiellement un détenu politique de l’Etat du Sénégal

Le lundi 31 juillet 2023, la démocratie sénégalaise a encore reçu dans ses entrailles, un coup de poignard très profond qui participe de la violence d’Etat et du reniement d’une option sacrée.

Ousmane Sonko a été inculpé par le doyen des juges d’instruction sur la demande du Procureur de la République de Dakar, d’une kyrielle d’infractions qui font sourire ceux qui en ont encore l’envie et révolter l’esprit de ceux qui ne peuvent digérer que leur intelligence soit titillée et insultée.

A en couper le souffle, Ousmane Sonko – qui a été enlevé devant sa famille sous le prétexte d’avoir volé un portable avec violence par commission d’un délit dit flagrant au préjudice d’une femme gendarme de son Etat – a été conduit manu militari dans l’enceinte électrifiée du Tribunal de Dakar où les policiers ont bouclé précipitamment l’enquête, pour transmettre le dossier au Procureur de la République aux aguets, sous les préventions non plus de vol avec violence, mais – retenez vos souffles – de vol commis en réunion avec violence (1), association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste (2), diffusion de fausses nouvelles (3), mise en danger de la vie d’autrui (4), financement du terrorisme (5), provocation directe à un attroupement armé (6), provocation directe à un attroupement non armé par discours proférés publiquement-soit par écrits où imprimés-affiches où distribués (7), complicité d’homicide volontaire par instigation et provocation ( actes de nature à compromettre la sécurité publique et à occasionner des troubles politiques graves (9), blanchiment de capitaux et financement du terrorisme (9), attentat dont le but aura été soit de détruire ou changer le régime constitutionnel – soit de troubler par des moyens illégaux le fonctionnement régulier des autorités établies par la constitution-soit d’obtenir par des moyens illégaux le changement des dites autorités – soit d’exciter les citoyens où habitants à s’armer contre l’autorité de l’Etat – soit à porter atteinte à l’intégrité du territoire national (punis de la réclusion criminelle à perpétuité, article 72 du du code pénal) (10) et commission d’actes terroristes (article 279-1 du code pénal punis de la réclusion criminelle à perpétuité) (11), homicide ou blessures involontaires sous le visa de l’article 307 du code pénal (12).

L’opinion publique nationale et internationale ainsi que les institutions et organisations internationales sont informées pour qu’elles soient à même de comprendre que le système à atteint ses limites.

La loi sénégalaise assimilée à un manteau d’arlequin avec des tailleurs professionnels narquois est devenue une mutante qui menace la sécurité juridique et la sûreté des personnes.

Ainsi, de mon avis souverain, l’opposant politique le plus persécuté et brimé dans l’histoire politique du Sénégal – Ousmane Sonko – est devenu officiellement un détenu politique de l’Etat du Sénégal et c’est le choix d’un réquisitoire, l’index des infractions choisies et la dissolution de son parti politique qui lui offrent ce statut.

Notre police – qui est la meilleure en Afrique et la plus douée en qualifications juridiques des faits – était de mon avis, si pressée, qu’elle a commis plusieurs erreurs de procédure et mis à rude épreuve les droits de la défense et le droit à un procès équitable.

Le réquisitoire implacable du Procureur n’avait aucune raison de retarder la transmission du dossier à un juge qui décerna un mandat de dépôt.

Le corps d’Ousmane Sonko a été emprisonné, mais son esprit et son âme féconds et virils, demeurent libres et continuent de cristalliser des aspirations.

Dans les démocraties, le pouvoir peut et doit arrêter le pouvoir déviant ; et c’est parce que chaque pouvoir assume pleinement ses responsabilités et son indépendance qu’il se crée un équilibre permettant de bâtir un État de Droit qui garantit et protège la sûreté des personnes ainsi que les droits humains dans tous ses éclats, la soumission de l’autorité et de l’État au Droit.

La fracture est très profonde et l’escalade politique avec la dissolution d’un parti au Sénégal, l’emprisonnement des élites de ce parti et la traque des hommes ainsi que de toute voix dissidente, 66 ans après les indépendances, ferme une page d’Histoire et en ouvre une nouvelle.

La déception est certes très amère, mais l’Histoire qui marquera les esprits sera pour le pays – celle qui sera contée à partir du 31 juillet – premier jour de l’an et le début d’un crépuscule non pas d’un bagnard, mais de ceux qui font claquer les chaînes et pensent posséder le pouvoir divin.

Une dictature non sanglante et sans larmes est inconnue des livres d’Histoire et de géographie. Mais des livres d’Histoire et de géographie rappellent à l’humanité la décadence des dictatures. Il me semble que la sagesse ait déserté la République, où elle est devenue aphone et orpheline.

L’abrogation du décret dont l’exécution a précédé la naissance est une mesure de salubrité publique inconditionnelle pour que le citoyen puisse revendiquer son appartenance à une société démocratique et à un État de droit.

Le kairos est toujours à portée de mains et il n’est pas encore trop tard de le convoquer car c’est en lui que se trouve la solution, la sagesse.

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