L’Académie Goncourt a attribué son prix à La plus secrète mémoire des hommes (Philippe Rey- Jimsaan) de Mohamed Mbougar Sarr. Cent ans après le sacre de Batouala (Albin Michel) de René Maran, de quoi le Goncourt de Sarr est-il le nom?
Le plus littéraire roman de la rentrée, en France il faut préciser ont commenté des observateurs et critiques…français. Ç’est magnifique qu’un auteur africain-Quand est-ce qu’il est africain, sénégalais et immigré ou QUELCONQUE ?- reçoive ce prestigieux prix du monde francophone. Cela dit en passant cette Francophonie qui ne prend pas en charge nos capacités éditrices et notre français, traitant de nos propres questions dans une langue partagée. Ce qui les intéressent c’est notre maîtrise de Moliere, et aussi pouvoir raconter notre monde dans leur temps de conjugaison ?? Sankara avait dit qu’il y avait deux français, celui de France et celui des autres continents. Il avait raison. Ils doivent primer un Livre Localement écrit et localement édité. Le Goncourt doit devenir Francophone et non un Francenaabe, un bon Modou-Modou. En attendant, c’est une immense joie qu’un concitoyen décroche le Goncourt réagissent pas peu fiers les Sénégalais. Sans même avoir encore lu le livre, les félicitations fusent de partout.
Sitôt félicité, sitôt vilipendé ! Le livre ferait l’apologie de l’homosexualité. Ceux qui avaient félicité retirent leur mot bienveillant. Et pourtant, ce n’est point La plus secrète mémoire des hommes qui traite du thème de l’homosexualité, mais plutôt de Purs hommes, livre paru en 2018. À l’époque, il est passé presque inaperçu, comme pour ne pas anticiper la polémique à venir ?
Il est évident que beaucoup de sénégalais, rhéteurs dans l’âme, lisent de moins en moins. Mais il faut aussi admettre, voire l’avouer que, c’est quand un succès arrive que le grand public va fouiller dans le passé proche ou lointain de « l’élu » pour en savoir davantage sur sa personnalité. Cette attitude peut paraître paradoxale, mais en y jetant un œil plus vif, on peut surprendre une démarche, qui ressemble à un processus de maîtrise de quelques facettes de l’individu ainsi consacré, afin de se l’approprier dans sa totalité. Pour dire simple, le « modéliser », pour que son « exception » fonde « l’exemple » qu’il semble désormais incarner, jusqu’au-delà de sa simple personne.
Exemple : Lorsque Youssou Ndour reçut son premier disque d’or, beaucoup d’occidentaux qui le découvraient grâce à Seven Seconds s’étaient évertués à remonter le fil de son histoire, pour découvrir la richesse des textes de sa discographie : Immigrés, Nelson Mandela, Africa Remembers, The Lion…
Ainsi, c’est avec le Goncourt que de nombreux sénégalais entendent parler de Mbougar Sarr pour la première fois. Quoi de plus naturel que de vouloir mieux connaitre un jeune concitoyen plébiscité en France, par une prestigieuse institution littéraire, et de surcroît présenté comme un modèle à suivre pour la jeunesse, sénégalaise, africaine et immigrée ?
J’ai lu La plus secrète mémoire des hommes
Est-il normal que La plus secrète mémoire des hommes reçoive le Goncourt ? Oui ! Le livre de Mbougar Sarr mérite son prix ! Si on ne s’arrête qu’à la qualité de l’écriture, oui le prix est mérité.Si on considère le pays dans lequel le livre est publié, sa géopolitique, son idéologie, il mérite un prix. Personne ne peut évacuer cet aspect, même si certains tentent d’insister sur le fait que seul UN LIVRE est primé. Le prix du roman gay a fini par mettre tout le monde d’accord quant aux réelles intentions.
Au Sénégal, le livre de Mbougar n’aurait reçu aucun prix ! Culturellement, philosophiquement il ne répond en rien à ce que nous appelons « valeurs du pays ».
Parler de ce livre est une obligation, car je l’ai reçu de l’auteur, et je l’ai lu.Quelques semaines avant sa sortie officielle, je reçois La plus secrète mémoire des hommes dédicacé ; envoyé par l’auteur lui-même. Un auteur que je ne connaissais pas personnellement. Il me met sur la liste de ses lecteurs et commentateurs, par le truchement d’une amie commune. Il n’y a pas plus gratifiant. Je lui en suis reconnaissant.
Je ne connaissais pas ses livres non plus. L’une des raisons principale se trouve être, que depuis un certain temps je me consacre à la lecture de la littérature d’Afrique anglophone, comme Nguigi Wa Thiongo, le vieux Wole Sonyinka, ou encore Chimamanda Ngozi Adichie initiatrice du projet « WSear Nigerian » sur Instagram, pour inciter les Nigérians à porter des vêtements produits localement.
Mon principal centre d’intérêt est la lecture des essais, biographies qui participent au développement de l’Afrique, en encourageant les jeunes de mon pays à s’inspirer de livres de cette catégorie comme «Doyen» Amady Aly Dieng le transmetteur intégral (1932-2015)- (Harmattan) d’Abdarahmane Ngaidé avec une sublime préface de l’immense penseur (premier sociologue sénégalais et un des premiers en Afrique), Boubacar Ly, Afrotopia (Philippe Rey) de Felwine Sarr (l’invitation faite à l’Afrique de ne pas s’inscrire uniquement dans une volonté de rattraper les autres continents est puissante), La cuisine françafricaine (Harmattan) d’Almamy Wane (succulente poésie-politique) ou encore l’autobiographie de Nelson Mandela Un Long chemin vers la liberté. (Fayard)
Je dois apprendre à lire comme le suggère Mbougar Sarr. Je ne sais pas lire certainement, car je ne sais pas prendre de recul par rapport à mon identité, ma culture et ma religion.
Par exemple, le passage du livre où le jeune héros rencontre, dans un café parisien, une écrivaine d’un certain âge et qu’il finit de suivre jusque dans sa chambre d’hôtel, ne me parle nullement pas. Les échanges entre les deux « penseurs », sensuels, érotiques, me choquent. Nous ne parlons pas ainsi à une dame en Afrique, surtout quand elle a frôle l’âge de notre propre mère. Oui, oui, j’entends les : « C’est juste un roman…il faut savoir lire entre lignes et aller chercher le sens caché de ce chapitre. » Je n’arrive pas à filtrer pour comprendre, ni accepter. Je n’en ai même pas envie !)
Je rappelle, qu’au moment de recevoir le livre de Mbougar Sarr, j’étais déjà plongé dans la lecture de Dernières nouvelles du mensonge de la journaliste Anne-Cécile Robert, La fiscalité dans tous ses états de Hamid Fall et les Disparus du Joola du journaliste Adrien Absolu. Ce dernier livre mérite une lecture parce que l’auteur nous met en face à nos urgences et à notre propre laxisme.
Quelle attitude adopter, lorsqu’un si brillant auteur, vous choisit parmi ses premiers lecteurs ? Je décide donc de lire. Après plusieurs pages, ma conviction est faite que cet écrivain éblouissant, par sa plume, ne me parle pas. Je ne suis pas son audience. Peut-être qu’il faut être nietzschéen africain pour le lire. En tout cas, son monde n’est pas le mien, ses aspirations ne sont pas les miennes, et j’ai du mal à en déceler la perspective, l’intérêt pour l’Afrique. Mais encore une fois, l’auteur, peut-être, ne cherche pas à apporter quelque chose d’intéressant aux Africains et que son public se trouve dans un certain ailleurs…
Après sa sortie officielle, deux amis proches attirèrent mon attention sur certains passages. C’est ainsi que j’ai repris ma lecture. Je dois avouer d’emblée, que ce fut une torture.
Je dois apprendre à lire ! Il est vrai que Mohamed Mbougar Sarr nous dit « le roman n’est pas un espace idéologique mais un espace de fiction » et « employer la forme romanesque pour parler d’un sujet même tabou à l’intérieur d’une société ne signifie pas le promouvoir ou le défendre ou l’encourager mais l’interroger, en questionner les implications politiques, philosophiques et existentielles pour la fiction. »
Cela peut-il signifier que les prix que l’on obtient sont neutres ? Comment vouloir questionner la société tout en l’apostrophant ? « Circulez, il n’y a rien à voir. Nous sommes dans la fiction… » Cey, maako def, waaye dooko fi waxèe…ammul fénn !
La grandeur de son livre, serait alors d’inventer une autre programmation, moins convenue, à la littérature d’Afrique et du monde comme le souligne le critique Arnaut Viviant. Malheureusement, c’est encore une fois un point de vue occidental. La question qui importe pour nous en lisant le livre de Mbougar est de savoir si la perspective universaliste de la littérature tient la route pour l’Afrique ? Comment être un écrivain africain, sans être un écrivain africain ? Lui, en partie, a résolu la dualité en déclarant que son pays c’est la littérature. Subtile pirouette pour éviter les questions relevant de la culture, de la transmission et des valeurs africaines, musulmanes ou chrétiennes.
Évidemment, le jeune écrivain sénégalais, Diégane Latyr Faye, qui fait ses études à Paris n’a rien à voir avec Samba Diallo de L’Aventure Ambiguë. On me dira que les époques ne sont pas les mêmes. Soit ! Mais si chez Samba Diallo le bouleversement identitaire et l’hybridité sont au cœur du dilemme, chez Diégane Latyr Faye, on a le sentiment d’être en face du reniement d’une culture et l’adoption d’une autre qui sied à sa condition de « déterritorialisé ». Il n’y a aucune forme d’hybridité chez Mbougar. Ah si, il va à Paris, Amsterdam, arrive à Fatick, en passant par Mbour, avec la mélodie de l’inénarrable Oumar Pène…et oui Diegane finit aussi par revenir au lieu-dit : chez lui. Bu dox, jeexul waaxusil du jeex.
Éloge de la différence
Ce qui semble se jouer, c’est bien cette guerre entre ceux qui pensent que l’Afrique a des valeurs à conserver et ceux qui sont pour une assimilation douce, totale et maîtrisée. Autrement dit, l’universalisme débridé et la digestion du Tout qui l’accompagne sont-ils l’avenir de l’Afrique ? La majorité des Africains souhaitent vivre simplement en tant qu’africain, comme le préconisait Thomas Sankara. Sans vivre en autarcie, sans demeurer statiques, les Africains souhaitent garder ce qui semble fonder leurs valeurs. Souhaitent-ils vivre dans le globalisme uniformisant, ou dans ce processus qui lui est interne – avec sa propre motricité – et que Édouard Glissant qualifie de créolisation ; le « tout-monde ».
Il n’existe aucune recette préétablie pour habiter son monde, et vivre les chroniques de son temps. Si habiter le monde c’est voyager de lieu en lieu, des milliards d’individus vont être éjectés, car n’ayant jamais obtenu de passeport dans leur vie, et n’envisageant quitter leur « coin de terre ». Cela ne signifiant point une volonté de se couper du reste du monde, mais détermine une aspiration de vivre selon ses propres critères, ses propres imaginaires, ses propres fantasmes et leurs subjectivités créatrices. Les tentatives d’uniformisation des « sensibilités » a forcément des conséquences sur les luttes pour la préservation des valeurs les plus fondamentales dans nos sociétés.
Combien d’Etat dans le monde souhaitent inscrire une portion de leur territoire, leur genre musicale et leurs mets comme patrimoine mondial ? Comme s’il fallait les sauvegarder d’une prochaine disparition. Aucun ne soutiendra ceux qui tentent de limiter l’inventivité. Les ressources de la fiction ne semblent prendre leur vrai sens que quand elles viennent – sans le vouloir – épouser les formes d’une allégorie de mauvais goût. Allégorie qui heurte les consciences, car décrite dans son cru.
Enfin, habiter le monde ne s’apprend pas. Surtout dans le cadre d’une culture qui souffle dans l’oreille du nouveau-né : « gané në aduna » et le mort : « guennë në aduna »… nous n’avons personne à rattraper…ni personne à imiter. Qui imite, ne finira jamais de singer. Car, il n’est ni parti, ni arrivé dans l’autre et même pas à mi-chemin.
Non, ils ne veulent pas vivre dans une mondialisation aseptisée où chaque différence est vue comme un obstacle, une opposition, un empêchement. « Qui prône une humanité universelle oeuvre inconsciemment pour la destruction de sa diversité » avertit le graphiste et directeur artistique Jerome Aubry. S’inscrire dans cette dynamique conduit inéluctablement au reniement de soi. C’est pourquoi Mbougar Sarr peut pénétrer un habitant de la Loire et pas un habitant de Keur Makala pourtant féru de poésie et de culture
Écrire, c’est être soi, lire en est la confirmation…
Ecrire est un don de soi. Un texte raconte profondément ce que tu es, ton histoire, ton rapport ou non au monde. On lit le monde avec les lentilles que ce même monde offre.
Je n’attends pas qu’un auteur turc écrive comme un auteur malien. Chacun dans son espace, dans son fouillis ou son grand labour doit trouver les thèmes, les mots, le ton pour s’exprimer, interroger son monde, tout en n’oubliant pas de s’interroger soi-même. Faut-il toujours attendre d’être oint depuis l’extérieur, et selon les critères de : « Lui, son discours est différent… pas comme les autres Africains. »
Toni Morrison ne se défend pas. Elle déclare, sans fiction : « J’écris pour les Noirs. De la même manière que Tolstoï n’a jamais écrit pour moi. Je n’ai pas à présenter d’excuses ou me considérer comme limitée parce que je n’écris pas pour les blancs, ce qui n’est pas tout à fait vrai ; il y a beaucoup de personnages blancs dans mes livres. J’ai eu des critiques dans le passé, où l’on me reprochait de ne pas écrire sur les blancs. Comme si notre vie n’avait ni sens ni profondeur, sans le regard de l’homme blanc. J’ai passé ma vie entière d’écrivain à essayer de faire en sorte que ce regard blanc ne soit dominant dans aucun de mes livres. »
Aminata Sow Fall ne dit pas autre chose dans « son » Entretien avec Sada Kane : « Quand j’ai écrit La Grève des Bàttu, des critiques sénégalais on dit c’est trop local, ça n’ira nulle part, et j’ai dit à mon éditeur, si j’enlève « Bàttu », mendiants en français, tout le symbole de ce que je raconte s’effondre. J’avais juste une conviction : l’écrivain est seul face à son texte mais il est au centre des questionnements de tout humain. Je ne m’attendais à une aucune consécration internationale mais je n’étais pas surprise quand elle est arrivée, car j’étais persuadée que partout où il y a des humains, mon texte pourrait être entendu. »
Pour blasphémer, on ne peut pas faire mieux
Revenons au livre La plus secrète mémoire des hommes justement. Dans la partie intitulé solitude de Madag, le jeune écrivain, qui voyage entre Mbour et Fatick reçoit un email. Le récit du email de Musimbwa est d’une impudeur sans nom. Morceaux choisis du dialogue entre la mort et une famille dont l’enfant est caché dans un trou…
« Tu vis seul dit la mort je me bouchai plus fort encore les oreilles. Je n’entendis pas ce que dit mon père. Peut-être qu’il n’avait pas répondu. S’il y a quelqu’un d’autre, dit la mort, si tu as une femme, par exemple, qu’elle sorte. On fouillera de toutes les manières. Et on le trouvera, même si elle s’est réfugiée dans son propre c… » Le reste relève du blasphème littéral.
Un croyant n’oserait prendre le risque de heurter les croyances de milliards d’individus. La démonstration fictive hurle sciemment sa haine, sa rancœur sa frustration et que sais-je, encore … Ah j’oubliais … le pays fatal, c’est la littérature, la patrie où l’on peut tout déverser.
La littérature c’est la marge, c’est l’écart… tous les écrivains sortent de leur zone de confort, pour pouvoir interroger la société. Mais, dans ce cas précis, cela frise un complexe inavoué, voire un déni de soi. De ce qu’on prétendait être.
Ai-je le droit de dire que ma foi est attaquée ? Imrou’l Qays est violent. Lui, de l’époque préislamique, Mbougar Sarr le double en insolence. Ce passage avoisine, en le dépassant, celui de Charlie. Si bien que quand on me dit : « ce n’est que de la littérature, de la fiction » ; je ne peux m’empêcher d’ajouter : une fiction imbibée d’une forte dose d’idéologie nauséabonde, qui heurte nos consciences. Voilà, la raison pour laquelle, elle est célébrée ailleurs. « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà » avait prévenu Pascal.
Bouclons sur ses paroles de Serigne Cheikh Tidiane Sy Al Maktum : « Jang piir dafa wara jur yaru ak kersa. Wayé jangum tubab késé késé bu moké rek jur yaradiku piir. »
Excellent texte, Mbougar représente désormais la face immergée de l’assimilation qu’on a toujours combattus en Afrique