Alassane Samba Diop : « L’intervieweur n’est pas un juge »

Depuis 2018,  un nouveau groupe de presse est arrivé sur l’espace médiatique. C’est le groupe Emedia avec sa télé itv et sa radio iradio. Il se démène tant bien que mal dans un environnement pas évident avec une loi obsolète sur la publicité. La semaine dernière s’est ajouté Bés-Bi (le jour) le quotidien. À la baguette de ce groupe, l’animateur Dj Boub’s et les journalistes Mamoudou Ibra Kane et Alassane Samba Diop.  Alassane Samba Diop, transfuge de GFM de Youssou Ndour comme ses deux compères d’ailleurs, a interviewé pendant de nombreuses années des personnalités dans son émission Remue-ménages. Penseurs et analystes, philosophes, sociologues, historiens, journalistes ou politiques se sont succédés autour de son micro pour décortiquer l’actualité. De ces centaines d’heures d’interviews, que le journaliste prenait le soin d’enregistrer, il a puisé des extraits pour publier « La vie est un temps de parole » aux Éditions Feu de Brousse. Un ouvrage en hommage au philosophe Hamidou Dia, au directeur du Laboratoire de l’imaginaire de l’Institut Fondamental d’Afrique Noire (IFAN), Ibrahima Sow et au coordonnateur du Forum civil, Mouhamadou Mbodj tous aujourd’hui décédés. Juste avant la cérémonie de dédicace prévue vendredi, Kirinapost a rencontré l’auteur. Discussion autour du livre, du métier de journaliste et aussi d’intervieweur.

 

Kirinapost: Alassane Samba Diop, c’est quoi un bon article de presse pour toi ?

Alassane Samba Diop: Le bon article pour moi, en dehors des différentes technique et règles à respecterest celui qui s’intéresse aux vrais enjeux. On doit sortir du tout politique. Un article qui pose les vrais problèmes auxquels les populations sont confrontées. La presse ne parle pas assez des questions de santé, des problèmes liés à l’eau ou à l’éducation. Pourquoi il n’y a pas d’écoles dans telle localité par exemple c’est un bon papier. Un journaliste doit mettre l’Etat face à ses responsabilités.

Tu interviewes depuis 18 ans des personnalités, penseurs, universitaires, hommes politiques. Qu’est-ce-qui fait que ce genre d’émission marche ? Ou plus simplement c’est quoi une bonne interview ?

 Alassane Samba Diop: Pour une bonne interview, il faut peut-être avoir le bon client pour commencer. De son côté, le journaliste doit au moins savoir de quoi on parle. C’est la moindre des choses. Il s’agit donc de bien préparer ses thèmes et questions pour ne pas que l’invité raconte des balivernes ou nous mène en bateau. Ensuite, il faut beaucoup d’humilité. Un intervieweur pose des questions, il n’est pas un juge. Seul le public juge. Enfin, il faut éviter la discussion «  grand place ». On n’est pas à la borne fontaine et il est important que l’invité puisse s’exprimer et développer sa pensée.

Tu as puisé dans ces interviews, pour écrire un livre. Pourquoi les décliner à l’écrit ?

Alassane Samba Diop: Pendant pratiquement 18 ans, comme tu l’as dit tantôt, j’ai eu à faire une émission « Remue-ménages ». Je recevais beaucoup d’intellectuels et penseurs. À un moment donné, je me suis rendu compte qu’ils partaient un à un. Chaque fois que la mort prenait une de ces sommités intellectuelles, je m’écriai « quelle perte énorme pour le Sénégal ». C’est là que je me suis dit la pensée de tels personnages ne doit pas disparaitre. Comme je prenais le soin d’enregistrer les émissions, j’ai pensé leur rendre hommage dans un livre. D’autant plus que nous avons du mal à garder les archives sonores dans le long terme. Et pendant 5 ans, j’ai fait le travail de recherches, d’écoute et de transcription.

Kirinapost: Pourquoi un focus sur le philosophe Hamidou Dia, l’historien Ibrahima Sow et le droit de l’hommiste Mouhamadou Mbodj ?

Alassane Samba Diop: Un choix est toujours difficile, subjectif je l’avoue. mais j’ai souhaité mettre en avant « mes » invités disparus et dont les idées étaient d’une grande actualité. Mouhamadou Mbodj chantre de la lutte contre la corruption avec tout ce débat autour de la bonne gouvernance, j’ai pensé que sa réflexion méritait d’être convoquée à nouveau. Hamidou Dia philosophe fécond qui a fait une thèse sur le chanteur et poète, Ndiaga Mbaye et sur la cantatrice Soda Mama Fall, au moment où l’on parle de redonner une place importante à notre imaginaire, relire sa pensée me paraissait une idée pertinente. L’Afrique ne s’en sortira pas si elle ne se réapproprie pas son propre  imaginaire. C’était aussi le combat de Ibrahima Sow. Dans ce contexte marqué par d’interminables débats sur les productions audiovisuelles, les séries et téléfilms par exemple, j’ai voulu lui redonner la parole pour qu’il nous parle de notre imaginaire.

Kirinapost: Tu parles beaucoup d’imaginaire. De retour aux valeurs. C’est si fondamental ?

Alassane Samba Diop: Le retour aux valeurs africaines est fondamental. L’Afrique ne se développera pas avec l’imaginaire d’un autre continent. Le culturel, en est, et, en sera, le point central. Nous devons nous adosser à notre culture avant de penser à nous ouvrir. Cela dit en passant, sous ce rapport Cheikh Anta Diop a eu raison sur Senghor. Et dans ce processus, l’éducation devra y jouer un rôle central. Nous sommes trop tournés vers l’extérieur. Nous devons renforcer l’enseignement de l’histoire de Serigne Touba, d’El Hadj Oumar Foutiyou, de Thierno Souleymane Baal, entre autres, à nos enfants. Leurs philosophies, leurs démarches et leurs oeuvres doivent avoir une place importante dans notre système éducatif. C’est comme cela que l’on pourra avoir une jeunesse fière et des dirigeants capables de gérer les ressources de nos pays.

Kirinapost: La plupart de tes interviews ont eu lieu à la radio. Quel rôle pour la radio avec ce que tu viens de dire ?

Alassane Samba Diop: La radio a un rôle crucial. RFI l’a compris avant tout le monde. Elle s’est même mise au Fulbé. Nous avons encore une chance au Sénégal avec le Wolof qui domine l’espace médiatique. La radio est le medium qui va dans toutes les contrées. La clé c’est l’éducation et la valorisation des langues nationales comme le préconisaient les travaux du professeur Abdou Salam Sall.

Kirinapost: Dans un espace francophone, les langues nationales dont tu parles ont-elles leur place ?

Alassane Samba Diop: La francophonie doit aider justement au développement de nos langues nationales. Elles enrichissent le français. Partout en Afrique francophone, RFI est la première radio en terme de part sauf au Sénégal. J’insiste beaucoup sur la culture car elle est la base.

Kirinapost: Revenons au métier de journaliste. Quelles sont les personnalités qui  t’ont marqué au cours de tes nombreuses interviews ?

Alassane Samba Diop: Humm… je dirai l’historien Yoro Fall pour son érudition, le journaliste Tamsir Jupiter Ndiaye pour sa culture. Ces deux-là, seront d’ailleurs au cœur de mon prochain ouvrage. Ceux qui m’ont marqué vraiment, je dirai Albert Bourgi pour sa grande maitrise des enjeux géostratégiques. Idrissa Seck pour l’art oratoire, même si tu n’es pas d’accord avec lui, il peut être captivant. Enfin Amath Dansokho. Lui, il m’a fait pleurer. Lors d’une interview, j’ai senti une telle sincérité et une telle authenticité dans ses propos que cela m’avait touché.

Kirinapost: À force de les interviewer ne devient-on pas trop proche, jusqu’à oublier le métier ?

Alassane Samba Diop: Je crois qu’avec les invités, nous avons d’abord une relation professionnelle. J’interviewe et ils viennent défendre leurs idées. Après, c’est aussi une aventure humaine. Certains deviennent des amis. Il faut juste éviter d’en faire des proches de tous les jours. Mais comment ne pas admirer Souleymane Bachir Diagne ou Matar Diouf par exemple.

Kirinapost: Quelle personnalité aurais-tu envie d’interviewer si on t’en donne l’occasion ?

Alassane Samba Diop: Sans hésitions aucune, le président français Emmanuel Macron (l’interview a lieu le 8 octobre en plein sommet Afrique-France de Montpellier).

Kirinapost:Et pourquoi ?

Alassane Samba Diop: J’aurai aimé être à Montpellier pour lui poser des questions sur le Mali, le FCFA, l’uranium du Niger. Pourquoi la France met-elle sous perfusion l’Afrique ? Comment la France est-elle devenue une puissance pétrolière alors qu’elle n’a pas de puits ?

Kirinapost: Quel est le sujet sur lequel tu aimerais investiguer aujourd’hui ?

Alassane Samba Diop: Je ne dirai pas non à une enquête sur les ressources minières, le gaz, le pétrole, le fer, l’or et leurs exploitations. Interroger les entreprises et experts concernés sur des choses concrètes. Pouvoir comparer les chiffres. Malheureusement, la loi sur le recel de document administratif empêche aujourd’hui au journaliste de faire son travail correctement.

Kirinapost: Si un jeune qui veut faire journalisme te demande des conseils…

Alassane Samba Diop:  Je lui dirai que le journalisme n’est pas un métier pour devenir milliardaire si c’est cela qu’il cherche. Puis, il faut vraiment aimer le métier. Pour prendre mon cas, depuis 20 ans je n’ai plus de dimanche. Je suis à la radio. Être prêt à faire des sacrifices. Ce n’est pas propre au journalisme d’ailleurs, il faut savoir faire des sacrifices. Ensuite, il doit aller se former. Pas forcément dans une école mais même dans une rédaction on peut côtoyer et écouter les anciens, suivre leurs conseils et progresser dans le tas. S’il se forme à l’école de journalisme tant mieux mais ce n’est pas une obligation. Beaucoup d’excellents confrères sont autodidactes. Ils y sont arrivés par le travail et surtout l’humilité. Être humble est capital dans ce métier. Et je lui conseillerai de beaucoup lire, de ne jamais arrêter de lire. Pour finir, je l’inviterai à continuellement se remettre en question car comme disait Mame Less Camara : « le meilleur article, c’est celui que tu feras demain. »

©: Vito Coolman

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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