Aggravation notoire de la situation sécuritaire dans la région du Sahel

Fatou Fall est analyste en Défense, Sécurité et Paix. Elle nous livre son regard d’experte sur la situation au Sahel en cette période de Covid-19.

Fatou Fall • Entre les présomptions de surfacturation concernant les contrats d’armement au Mali, les attaques répétées de postes isolés, les conflits communautaires plus accentués au Burkina Faso et la progression de la pandémie de coronavirus, la situation sécuritaire dans cette partie du Sahel ne se présente guère sous de meilleures auspices.

Alors que la pandémie a débuté vers la fin du mois de mars au Mali, les attaques à Gao se multiplient. En effet, l’attaque du poste militaire de Bamba au début du mois d’avril vient s’ajouter à celui du poste de Tarkint, dans le cercle d’Almoustarat en mars, occasionnant la mort de plusieurs soldats dans les rangs de l’armée malienne. L’on ne peut évoquer Tarkint sans penser au Mujao et à l’acheminement de la cocaïne dans cette commune isolée. Pourtant l’attaque du 19 mars a été revendiquée par le Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM). Ce même poste avait fait l’objet d’une attaque en fin janvier 2020 et en février 2019. Dès lors, l’on pourrait s’interroger sur les motifs réels de cette fréquentation plus élevée de la zone par les groupes armés.

En effet, en dehors du trafic de drogue, se pose la question de l’exploitation des phosphates. L’importance stratégique de cette zone est fortement rattachée à son potentiel élevé en phosphates, utilisés pour une agriculture durable. Toutefois, le potentiel économique ne se limite pas à l’activité de fertilisation des sols. Les résultats des études sur la faisabilité du projet de la Vallée Tilemsi en disaient déjà long sur les teneurs depuis 2011 ainsi que sur l’importance des formations de phosphates dans le Tarkint Est. En sus de cela, il faudrait considérer le contexte historique de cette vallée, notamment la présence d’un demi-graben regorgeant de sédiments marins et continentaux datant du Crétacé et du Tertiaire ainsi que la présence de la monazite en nodules. Ainsi, il faudrait relever que selon la morphologie des nodules, les propriétés de celles-ci diffèrent et présentent ainsi des proportions plus ou moins abondantes de thorium, d’uranium et hypothétiquement d’europium.

Paradoxalement après qu’une trentaine de soldats aient trouvé la mort dans cette attaque meurtrière à Tarkint le 19 mars, un mois après, une société canadienne s’activant dans l’exploitation de ressources minières dans cette zone annonce « un renouvellement avec succès de deux permis d’exploitation clés » avec la possibilité de poursuivre l’exploration et le développement d’activités sur le site pour une période pouvant aller jusqu’à sept ans. En outre, les retombées économiques de l’exploitation minière dans cette partie au nord du Mali ne semblent guère améliorer de manière significative les conditions de vie des populations, confrontées à une faible pluviométrie et à des prévisions de famine les guettant sérieusement depuis 2017. A ce titre, ressort la question suivante : Devrait-on vraiment parler de faiblesse de l’Etat ou de désorganisation organisée selon les contrées et leurs potentialités ?

Connaissant le mode opératoire du GSIM qui englobe les attaques contre les symboles de l’Etat et la pose d’IED, l’on serait tenté de penser à une orchestration silencieuse où parties légitimes et illégitimes collaborent. Quel intérêt un Etat aurait-il à désorganiser volontairement une partie de son territoire ? Quel intérêt présente une attaque dirigée contre un poste de l’armée en lieu et place d’unités d’exploitation de minerais à fort potentiel économique ?

Ce contexte se présente au moment où la MINUSMA dénonce des exécutions extrajudiciaires sur le territoire malien par les armées malienne et nigérienne. Eu égard à ce qui précède, il ressort que la fragilisation du tissu social risque d’être plus prononcée face à l’absence d’une justice pour trancher des crimes d’improbité envers l’Etat commis par les hommes publics pour paraphraser Simone Weil.

Par ailleurs, la politique sécuritaire au Sahel visant à assurer la cohésion communautaire s’éloigne d’une réponse globalisée et uniforme en ce sens que la légalisation des milices d’auto-défense au Burkina Faso dessine un environnement sécuritaire plus complexe. Ainsi, à l’instar du Mali, le tissu social gangrené par de profondes fissures, se fragilise davantage avec l’intensification des conflits communautaires au Burkina Faso. Les ethnies présentes au nord de ce pays se déchirent et subissent la pression des groupes armés.

Ainsi, au moment où les efforts dans les Etats du Sahel sont mobilisés dans la lutte contre la pandémie de coronavirus, les milices se multiplient, les communautés désorientées se rangent derrière les groupes armés en vue de ne point subir de représailles et les puissances étrangères continuent de s’installer confortablement. En effet, les activités minières à Boungou ont repris après une attaque meurtrière quelques mois auparavant. Il est évident que l’exploitation de cet important gisement n’aurait pas continué si les mesures de sécurité idoines n’étaient pas réunies. Sachant que le monopole de l’exploitation des ressources aurifères est détenu par les sociétés étrangères et considérant les impacts désastreux des activités des groupes armés sur les populations, les méthodes de sécurisation des sites d’exploitation minière suscitent moult questionnements.

Si les visioconférences se multiplient afin de cogiter sur des moyens de renforcement du dispositif judiciaire, il demeure que les groupes armés gagnent en effectif et en occupation territoriale. Un réaménagement des forces et un renforcement de la volonté politique s’imposent en vue de multiplier les offensives contre les groupes armés, de trouver des solutions immédiates aux préoccupations sécuritaire, sanitaire, sociale et alimentaire des milliers de déplacés et réfugiés.

Face au retrait hypothétique des américains dans la guerre au Sahel, les mécanismes de financement des forces de lutte devraient faire l’objet de sérieuses réflexions dans le dessein de consolider les efforts de lutte en cours et ce dans un contexte d’examen du renouvellement du mandat de la Force conjointe du G5 Sahel.

En outre, la résilience communautaire est plus que déterminante sachant que les facteurs d’extrémisme violent seront plus prononcés en raison des impacts divers de la pandémie de coronavirus. A ce titre, les organisations de la société civile sont plus qu’attendues à travers une collaboration étroite avec les autorités politiques et administratives de sorte à veiller à l’adaptation des mécanismes de sensibilisation à la réalité du terrain. Cette situation sécuritaire n’exclut guère le Sénégal où les efforts sont concentrés dans la gestion de la pandémie.

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