Reliées les unes aux autres par des liens millénaires, quelques fois invisibles parce que terriblement présents sur des supports «impensés», à l’instar des mille évocations de l’eau prodigieuse, maléfique, divinité, mets et rites de pluie …, les matérialisations culturelles du continuum négro-africain n’en finissent pourtant pas de répéter leurs théories et métalangues communes.
L’idée d’une eau originelle, à la base de toute création
L’historien Aboubacry Moussa Lam, égyptologue à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar s’est intéressé aux rapprochements et correspondances dans la terminologie et dans le sens accordé aux noms d’eaux, de crues, d’écoulements, de divinités aquatiques. La prise ne fut pas ingrate et il l’a synthétise dans son ouvrage «La vallée du Nil berceau de l’unité culturelle d’Afrique noire» (Khepera / Presses universitaires de Dakar, 2006). L’idée d’une eau originelle, à la base de toute création est en effet répandue dans les cultures africaines, depuis le Noun égyptien, Amma le dieu d’eau ou le Nommo génie primordial fait d’eau chez les Dogon. Les Sereer présentent des cosmogonies similaires. Le lait considéré comme eau éternelle chez les Peuls s’inscrit dans cette acception de l’éternité, de l’originaire. Quant aux Fang d’Afrique centrale, ils mettent au centre de l’édifice de leurs puissantes cosmogonies Eyo, eau primordiale, incréées et comme le Noun, sans commencement ni fin.
Théophile Obenga dans son (le) classique «Philosophie africaine de la période pharaonique» (L’Harmattan, 1990) rappelle que dans l’ère dite bantu, la conception des eaux créatrices, fertilisantes, de leur force cosmique est présente. Les Venda rétro projettent la première création comme un trou d’eau tourbillonnante. Chez les Bambara ce sont les sources centrales du ciel qui irriguèrent la terre aux origines. Tano lui trône en dieu créateur chez les Akan.
L’eau est et fait être
Le linguiste et égyptologue en chef de l’école diopienne, tire la substantifique de cette conception particulière de l’originaire. «L’eau est et fait être». Revitalisante, généreuse aux très anciennes sociétés agraires négro-africaines, elle est «une structure», «un progrès» qui donne consistance au monde des dieux premiers.
De cette conception de l’avant-monde découle de nombreux avatars et divinités liées à l’eau, y compris dans les croyances populaires et superstitions. Khnoum le gardien des sources du Nil, dieu d’eau lui aussi a comme avatar le bélier. Le même bélier se trouve associé à plusieurs divinités de l’eau en Afrique contemporaine, Pieléka au Togo figure la pluie «mâle», Shango dieu Yoruba du tonnerre et de l’orage est symbolisé par un masque de bélier, tout comme Saga Djigi dieu de l’orage chez les Mandingue qui se promène sur les nuages.
Les cultures africaines se rejoignent de plusieurs façons dans cette conception d’un avant-monde dominé et structuré par les eaux originelles. Une conception qui témoigne d’une unité culturelle exprimée selon différents environnements, selon des expériences historiques spécifiques et différenciées. La profusion des approches particulières au sein du grand patrimoine africain devrait faire l’objet d’un investissement intellectuel de premier ordre afin d’extraire de cette saisie des origines, totalement différente des acceptions judéo-chrétiennes, les compréhensions africaines du monde, du vivant, de l’être, des genres, de la vie, de la mort.
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