Ababacar Gueye aime sa ville de Saint-Louis et aime la culture. Il y a un an, il devenait le président du festival Métissons. Après deux éditions sous sa direction, il était intéressant de le rencontrer afin de dresser un bilan sur ses premiers pas à la tête du dit festival.
Depuis ses débuts en 2010, le festival Métissons est un des évènements phares de l’agenda culturel et musical saint-louisien. Il est à sa douzième édition. C’est conscient de cela qu’Ababacar Gueye veut le hisser à son véritable niveau et lui donner toute sa place dans la promotion du métissage et de la diversité culturelle.
« Nous avons trouvé des difficultés en arrivant, mais petit à petit, nous remettons tout à plat et engageons une nouvelle étape, en nous appuyant sur les succès du passé et en apportant des innovations en adéquation avec notre temps, sans toucher bien évidemment à l’originalité du festival » nous dit d’emblée Ababacar Gueye quand on lui demande de parler de son action depuis qu’il est aux responsabilités.
Toujours souriant, l’embonpoint toujours de rigueur (il promet d’aller faire du sport), Ababacar Gueye se dit confiant et motivé. Le Festival 2022 à peine terminé, il se projette sur celui de 2023.
« Michael Soumah, directeur de la programmation du festival, nous a concocté une édition exceptionnelle cette année. C’est l’occasion de lui rendre hommage, car nous sommes en train vraiment d’améliorer les choses sur le plan artistique en s’inscrivant davantage dans l’esprit Métissons, c’est-à-dire, être un pont inter-culturel » soutient le directeur du festival.
En 2022, le Festival Métissons a accueilli sur la scène de l’Institut Français, entre autres, le Naya Band, des sénégalais basés en Espagne, Modou Touré établit en Angleterre et fils de la légende Ousmane Touré des Touré Kunda, Sym Sam du Benin, et des groupes bien Saint-louisiens parmi lesquels Ñuul Kukk, Guneyi, Mama Sadio. La musique a envahi salles de spectacles et cafés comme le Ndar Ndar Music & Café. On le voit bien, des groupes venant d’horizons différents pour célébrer en musique le métissage. En plus du légendaire Fanale qui a eu à sillonner toute la ville réveillant de très bons souvenirs, la vieille cité a vibré « Métissons ».
L’esprit Métissons, selon Ababacar, est de donner à la cité du fleuve un contenu alléchant, représentatif de la culture du pays, ouvert sur le monde et sur l’espace CEDEAO en vue de favoriser l’intégration régionale et la diversité. Par ailleurs, le festival entend donner la chance aux nouveaux talents et promouvoir les artistes locaux.
« Il est inconcevable de jouer le Festival Métissons, sans ouvrir une fenêtre sur les artistes de la ville et que les populations locales ne se sentent pas concernées. Faire en sorte qu’elles adhèrent à nos propositions est un défi constant. Le rayonnement de la cité est à ce prix » argumente notre hôte.
À propos de rayonnement, le Festival Métissons se veut aussi un moment de rencontres autour de panels susceptibles d’apporter une contribution au débat sur l’évolution et le rôle les industries créatives et culturelles. Des moments de débat qu’accompagne l’université Gaston Berger et le CRAC.
« Le panel de cette année a été extrêmement fructueux en terme de contributions. Les industries créatives et culturelles & migrations étaient au cœur des débats. Les acteurs culturels qui tirent le diable par la queue ont été invités à devenir des entrepreneurs culturels. C’est, je pense, une voie à creuser » invite l’acteur culturel, par ailleurs président du collectif des artiste et operateurs culturels de Saint-Louis.
Terre de migration, Saint-Louis voit ses enfants tenter l’aventure vers l’Espagne via les pirogues et les océans. Un fléau que l’industrie culturelle, bien organisée, peut aider à juguler.
» Il y a quelques mois, je me suis rendu en Espagne et j’ai rencontré fortuitement un jeune artiste saint-Louisien qui a quitté son travail pour s’établir à Las Palmas. Alors qu’il était menuisier métallique prospère à Saint-Louis, il gagne moins bien sa vie aujourd’hui et regrette son choix. On n’est pas là pour juger, mais si nous pouvons aider ces jeunes à rester ici et vivre de leur art, nous devons le faire. Cette jeunesse créative a beaucoup à apporter au pays » plaide un Gueye sérieux.
Toutefois, déplore-t-il, le Festival Métissons et toute la culture saint-louisienne ont besoin du soutien des autorités municipales et étatiques. Sans le soutien des ambassades européennes et l’engagement des hôteliers, son festival serait mal en point estime t-il, même s’il trouve que le nouveau ministre de la culture semble être dans de bonnes dispositions pour travailler.
« La culture est un vivifier d’emplois, d’activités et de richesses incalculables. La municipalité doit faire un effort pour la soutenir surtout que la culture est désormais une compétence transférée mais comment comprendre qu’il n’ait pas d’espace culturel digne de ce nom à Saint-Louis ? Pas de centre culturel et juste un bureau ? Ses responsables sont d’ailleurs braves mais sont sans moyens » regrette-il.
Que dire du gain immatériel qui est incommensurable. Saint-Louis ville ancienne, remplie d’histoires a besoin d’être préserver pour les générations futures. Sa culture et son art de vivre sont des témoins pour demain et il nous appartient de les conserver en les célébrant.
« La sauvegarde du patrimoine historique n’a pas de prix. Les acteurs culturels doivent être au devant de ce combat mais faudrait-il que l’autorité publique comprenne véritablement les enjeux. Lorsqu’on a un budget prévisionnel de plus de 20 millions FCFA et que l’on reçoit de petites sommes, cela n’aide pas assez. Nous les invitons à entendre nos plaidoiries pour le bien de notre chère cité » plaide notre interlocuteur.
Comment financer toutes ces activités culturelles dans un pays sous-développé ? Ababacar Gueye pense que l’Etat doit voir au niveau des grandes entreprises et les inciter à financer la culture.
« D’abord, il ne faut pas politiser la culture. Ensuite, une des solutions serait de pousser les grandes sociétés à travers leur RSE, à mettre la main à la poche pour accompagner la culture. Les solutions existent. Le président Senghor, quoi qu’on puisse lui reprocher, avait une haute idée de la culture, connaissait son importance et la hissait au plus haut » répond-il.
Métissons, c’est l’engagement citoyen, c’est aussi la concorde nationale, c’est pourquoi Ababacar Gueye est satisfait de la participation, cette année, de l’armée aux festivités.
« Lorsque j’ai rencontre le commandant de la zone Nord, il m’a dit que l’on parlait avant d’armée-nation, mais qu’aujourd’hui il est plus question de l’armée au service de la nation. Au Festival Métissons, ce message nous parle et nous étions enthousiastes de voir l’armée prendre part au spectacle » révèle Ababacar Gueye.
Après donc une première année d’entrée en matière, le Festival Métissons veut atteindre sa vitesse de croisière. En tout cas, son président a beaucoup d’ambition. Depuis la fin de l’édition 2022, il voyage, participe à des salons de musique, fréquente d’autres festivals, apprend, compare les expériences et réfléchi, avec son équipe, à comment exploiter au mieux le potentiel de Saint-Louis.
« Saint-Louis est un carrefour culturel. Il y a énormément de potentiel. Cette année par exemple, le Festival Métissons a voulu fêter les 50 ans de l’UNESCO et nous ne sommes pas allés loin. Nous avons convié les communautés bambara et maure de la ville à célébrer ensemble l’éducation et la culture » s’est réjoui Ababacar Gueye globalement satisfait.
Ababacar Gueye ne fait plus que prendre ses marques, il a les mains dans le cambouis et veut, à travers le Festival Métissons, faire bouger les choses dans sa ville. Toujours le sourire aux lèvres et l’œil qui pétille, Ababacar lève son verre à l’édition 2023 !
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