Xavier Marcel Venn. L’événement tragique passe quasiment inaperçu, dans l’indifférence. Il est pleuré par sa famille et ses proches presque dans l’indifférence générale, surtout celle du monde de la musique qui lui devait tant, car Adama Faye, n’ayons pas peur des mots, est le Père de la musique moderne sénégalaise.
Il est né le 30 Avril 1952. Il est le fils aîné de Ibou Faye, instituteur rigoureux et musicien amateur à ses heures perdues. Mais ce n’est pas pour autant qu’il rêvait de transmettre le virus de la musique à ses enfants ; bien au contraire, il évitait même de gratter quelques notes d’une des guitares acoustiques qu’il possédait, de peur de susciter quelque vocation.
Avouons, quand on connait la famille Faye aujourd’hui, cela à de quoi faire sourire. Adama grandit donc dans un cadre strict, qui le voit obtenir un CAP pour devenir enseignant avant son 20ème anniversaire. Parallèlement à cela et au grand dam du paternel, il apprend à jouer de la guitare en cachette, empruntant l’instrument lorsque le Père Faye est absent.
Il est tellement mordu, qu’il confectionne une maquette de piano rien que pour s’exercer, sans son ni rien d’autre, et il est très bon.Son petit frère, Boubacar, plus connu sous le nom de Vieux Mac, raconte qu’il s’est rendu compte très tôt que la musique était naturellement en Adama. Et non seulement c’est un autodidacte très doué, mais qu’il savait transmettre.
Outre ses jeunes frères, son premier élève deviendra un illustre guitariste qui n’est autre que Jacob Devarieux de Kassav, à la fin des années 60. « j’ai commencé la musique par hasard. Je voulais un vélo mais ma Mère disait que c’était trop dangereux et m’avait acheté une guitare. Je n’en voulais pas et quand nous sommes venus à Dakar, je l’avais rangée dans un placard. Il se trouve qu’en face de chez nous (il fallait juste traverser la rue) vivait une famille de musiciens ; en fait c’était le frère aîné, Adama Faye qui était guitariste. Ayant vu ma guitare, il me l’empruntait souvent. Quand je me suis rendu compte qu’il apprenait à chacun de ses petits frères un morceau, je lui demandé d’en faire autant pour moi puisqu’il jouissait de ma guitare…j’avais 10 ans’‘ raconte le légendaire guitariste de Kassav aujourd’hui disparu.
Bien qu’il soit guitariste, les deux idoles d’Adama Faye étaient Herbie Hancock et Chic Corea , grands pianistes de jazz.Il devient naturellement membre d’un orchestre, le Systéme de Rufisque (Moustapha Dieng , lead vocal – Adama Faye, guitare solo – Medoune « Jean » Mbaye, basse- Bello Dieng , guitare accompagnement- Bout d’homme, drums- Nicolas Ngome, Lamine Dieng , Georges Prince , chant).
Puis il intègre le CAD Orchestra et c’est quand cette formation fusionne avec le Tropical jazz de Mady Konaté pour donner le Super Diamono, Adama Faye fait partie de ceux qui fondent l’orchestre ; il joue de la guitare solo et de l’orgue et surtout, il impose ses compositions. En plus, ce qui est très important, d’être le mentor et le professeur d’Oumar Pene.
« Je ne regrette pas le fait d’avoir été avec un musicien du nom d’Adama Faye c’est lui qui m’a enseigné. Je peux dire que si je suis devenu aujourd’hui chanteur, c’est grâce à lui. Il me disait qu’il ne faisait pas des choses faciles, il est allé jusqu’à me dire « si j’avais une belle voix, tu serais devenu vendeur de charbon », il me réveillait à 2 heures du matin pour me dire « petit vient chanter, j’ai une nouvelle composition », alors je lui rétorquais, comment je pouvais chanter à 2 heures du matin ? et ça l’énervait. C’est pour dire que si je me mets, aujourd’hui, à me remémorer tout ce que j’ai vécu avec lui, je ne peux que le remercier. Je sais que je n’ai pas été le seul à bénéficier de son savoir. Il est passé par beaucoup de groupes et beaucoup de musiciens l’ont voulu à leur côté » se souvient le leader du Diamono.
Parce que DIEU lui a fait ce don, il est un très grand musicien. À l’instar du Super Eagles de Banjul, il oriente la musique du Diamono vers des normes plus jazzies et plus funkies. Son style est particulier et remarquable dés les premières productions, notamment «bita-ban ».
Hélas, sa situation au sein du groupe se dégrade petit à petit et il finit par s’écarter définitivement du Diamono. mais il y aura laissé des chefs d’œuvres. En 1983, il collabore avec Thione Seck une première fois. Thione qui s’était replié vers la musique traditionnelle lorsqu’il avait quitté le Baobab, confie la direction de son nouvel album à Adama Faye qui lui délivre un chef d’œuvre nommé «Yow».
C’est alors qu’un événement va conduire Youssou Ndour à s’attacher ses services : nous sommes en 1984 et le Super Etoile est invité à se produire en avant-première du concert des Touré Kunda au stade Demba Diop, un immense concert. Il y a une autre formation qui est invitée à se produire dans le même soir, le Super Diamono : ce dernier sort une prestation extraordinaire et est acclamé par le public exigent de Demba Diop ; c’est tout le contraire pour le Super Etoile de Youssou Ndour dont la musique est qualifiée de ringarde. L’indifférence de certains, le poussera à apporter de profonds changements dans sa musique. Youssou n’a qu’un nom en tète…Adama Faye.
Après moult palabres, il parvient à susciter l’intérêt de Adama, lui donnant carte blanche. Adama redéfinit alors les standards du Super Etoile, dessinant une musique tintées de blues, laissant les instruments s’exprimer dans un style qu’on ne connaissait pas au Super Etoile. Les inconditionnels du groupe sont déboussolés.
Kabou Gueye, ancien bassiste du groupe, raconte une anecdote : « lors de la première sortie du Super Etoile, après l’arrivée d’Adama, c’était à SORANO, la décision avait été prise de tester certains nouveaux sons à paraitre dans le volume 9, dont le titre est Africa, plus connu sous le titre Demb. Après avoir interprété le morceau, le publique était partagé entre déception et circonspection. Pour de nombreux observateurs, Youssou ne savait plus où aller.
Heureusement dés la parution de ce volume, les gens virent à quel point Adama avait fait évoluer les choses dans le bon sens car outre Africa, il y avait dans cet opus, l’extraordinaire Awa GUEYE où on peut entendre des nappes de synthé distillées par le génial claviériste sur un rythme ternaire. Ainsi entre 1984 et 1985, ce qui est extrêmement court, Adama Faye a su donner à Youssou Ndour , la touche qu’il fallait pour entrer dans une autre dimension, celle d’une musique plus moderne.
Il l’avait convaincu de créer un second orchestre, le Super Etoile 2, sorte de pépinière qui lui servirait aussi de laboratoire musical ; et c’est dans cet orchestre que furent ébauchés certains chef d’œuvres avec la présence notamment de Ibou Cissé à la guitare et Moustapha Gaye à la batterie et outre le volume 9 Africa, Adama composera des morceaux phares du volume 10 dont le fameux « Ndobine ».
Vieux Mac Faye: « en fait l’histoire du Marimba est ceci, Adama, sur un piano ordinaire, il faisait du mbalax déjà, il le faisait déjà à la guitare. Ensuite il a transposé ça sur le piano. Maintenant, chaque fois qu’on jouait, c’était sa manière de jouer, avant que le son du Marimba n’arrive. En fait, il y a le jour où Touré Kunda est venu jouer au stade Demba Diop, avec Youssou Ndour et il y avait Loy qui avait le clavier du Touré Kunda, qui avait amené un DX 7 one, le son du marimba est celui de balafon, donc c’était nouveau pour nous. Et comme par hasard, et quand Adama jouait avec moi, il reproduisait ces sons là. C’est comme ça qu’est né le Marimba au Sénégal. Et comme il n’y avait pas de nom pour le style, et comme sur l’instrument c’était écrit Marimba (qui est un instrument de musique brésilien). Alors je disais fait moi le son marimba, c’est comme ça que le nom a été adopté. »
Après l’épisode Super Etoile, Adama retrouve une vieille connaissance, Ismael Lô ( les deux avaient partagé un chemin au sein du Super Diamono) et là au sein d’un orchestre qui en était à son balbutiement, il parvient à hisser le niveau de l’ensemble avec forces compositions, notamment dans le volume Xiif ; paru en 1985. Adama Faye collaborera encore une fois avec Thione Seck , un autre chef d’œuvre, le pouvoir d’un cœur pur. Cet album est encore plus étoffé que l’autre, les morceaux qui le composent sont extraordinaires.
Adama Faye rejoint ensuite son frère Vieux Mac Faye avec qui il n’a en réalité jamais cessé de collaborer. Adama est un musicien libre qui ne peut pas avoir d’attaches. Il promène son génie en bandoulière et n’accorde aucune importance aux ragots qui le décrivent comme un marginal. Il brule la vie par les deux bouts. Mais il répond aux sollicitations qui se font de plus en plus rares. Adama Faye va aussi collaboré avec Kiné Lam dans le très bon borom Taif, il dirige la production. A la fin des années 90, Demba Dia fera appel à Adama Faye pour la production de l’album Rock Mbalax 3.
Adama Faye s’effacera petit à petit. Il n’aura pas la chance de réaliser son réve ultime, la création d’une académie musicale sénégalaise. Mais quelque part il aura réussi quelque chose de plus fort, marquer de son empreinte la musique des plus grands groupes sénégalais et permettre à notre musique ded trouver une identité propre. Adama aimait transmettre et avait cette capacité à rendre les autres meilleurs. Tous les grands ont progressé à son contact. Il a été professeur particulier pour de nombreux instrumentistes en commençant par se frères. Adama Faye décède le 13 Novembre 2005.
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