En plus d’un demi-siècle de fouilles, le royaume de Kerma (2500 à 1500 avant J.C.), au nord du Soudan, n’a pas encore livré tous ses secrets. L’hiver dernier, les archéologues suisses y ont mis au jour la tombe du premier souverain qui fit trembler l’Egypte des pharaons. Un article du journaliste de Radio Suisse Internationale et de swissinfo.ch Marc-André Miserez. Source: https://www.swissinfo.ch/fre
Le site de Kerma est mentionné dans des récits de voyages dès 1820. L’Américain Georges Reisner est le premier à le fouiller entre 1913 et 1916. Il se concentre surtout sur la nécropole, située à 4 kilomètres de la ville et surmontée elle aussi d’une deffufa, un peu moins imposante que l’autre, mais qui culmine tout de même à 12 mètres de hauteur.
Reisner fouille tout le sud de la nécropole, près de 1000 tombes, sur les 30’000 que compte ce cimetière plus grand que la ville elle-même. Les objets sont rares, les tombes ont presque toutes été pillées, souvent dès l’Antiquité. L’archéologue n’en livre pas moins la première description de la nécropole de Kerma. Et il en conclut que la ville est une colonie égyptienne.
Aveuglés par la splendeur de l’Egypte
Grossière erreur? Aujourd’hui, Mathieu Honegger a beaucoup de respect pour le précurseur qu’est Reisner et comprend bien ce qui a pu l’amener à cette fausse interprétation. «C’est le grand-père de l’archéologie nubienne, un des premiers à insister sur le fait qu’il faut tout documenter. Il fait des dessins de toutes les tombes qu’il fouille, avec la localisation des trouvailles. A l’époque, la méthode de datation par le carbone 14 est encore inconnue, mais Reisner a quand même compris que la nécropole est organisée selon un axe chronologique».
Sauf qu’en réalité, elle s’est développée du nord au sud et non du sud au nord, comme le croit Reisner. Pour l’Américain, les tombes les plus grandes sont les plus anciennes. Il y trouve quelques statues égyptiennes, dont il ne peut pas imaginer qu’elles sont le produit de razzias nubiennes chez les voisins. Il pense que la ville a connu un âge d’or égyptien, puis elle a décliné. «Il oublie que les Egyptiens ne se font généralement pas enterrer ailleurs qu’en terre d’Egypte et autrement que selon les rites égyptiens», précise Mathieu Honegger.
Et quand il voit les deffufas, il se dit que jamais des Nubiens n’auraient pu construire ça. C’est que Reisner, pour génial qu’il soit, n’en est pas moins empreint des préjugés de son temps. «On considérait qu’à l’époque, il y avait une grande civilisation en Afrique, et c’était l’Egypte, explique l’archéologue neuchâtelois. L’Afrique subsaharienne – qui a connu la colonisation et la traite des esclaves – était vue comme un continent qui ne pouvait pas générer par lui-même une véritable civilisation. Dans une vision diffusionniste, toute trace de société élaborée ne pouvait découler que d’une influence venant de la Méditerranée ou de l’Egypte».
Naissance d’un royaume
Aujourd’hui, on sait que tout cela est faux. Sur la base des travaux de la mission suisse, mais aussi de ceux de tous les archéologues qui fouillent en Nubie depuis des décennies, on a une image assez précise de l’émergence d’une civilisation, depuis l’époque où les premiers chasseurs-cueilleurs décident de s’installer sur les rives du Nil à celle où leurs descendants se lancent à la conquête de la puissante Egypte.
Et pas mal des pièces qui constituent ce puzzle ont été trouvées au royaume des morts, dans les nombreux cimetières fouillés le long du Nil. «Vers 2500 avant J.C., les premières tombes de la nécropole montrent que la société est relativement égalitaire, explique Mathieu Honegger. Il y a probablement des chefs de lignage, mais à cette époque, leurs tombes ne se distinguent pas vraiment des celles des autres membres de la société. Et tout d’un coup, vers 2500-2300 avant J.C., les tombes deviennent plus grandes, l’armement apparaît, les importations depuis l’Egypte deviennent plus nombreuses, tout le monde a un miroir en bronze, objet de grand luxe, il y a de l’or, des animaux sacrifiés, des morts d’accompagnement, et une vaisselle d’une richesse extraordinaire, avec des motifs très fins». À suivre…
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