Les États du Sud refusent que les crimes de guerre d’Israël restent impunis

Au cours de sa campagne génocidaire à Gaza, Israël a bafoué à plusieurs reprises les décisions des tribunaux internationaux. Alors que les États occidentaux cautionnent l’impunité israélienne, une coalition d’États est le fer de lance d’une action visant à obliger Israël à rendre des comptes. Source : Jacobin, Harrison Stetler, Les-Crises 

Les États du Sud refusent que les crimes de guerre d’Israël restent impunis, Information Afrique Kirinapost

Les représentants des principales nations du Sud ont tenu une conférence de presse à La Haye vendredi dernier (28/01) pour annoncer une action coordonnée de plusieurs États à l’encontre d’Israël pour ses violations du droit international. (Pierre Crom / Getty Images)

Les représentants des principales nations du Sud ont tenu une conférence de presse à La Haye vendredi dernier (28/01) pour annoncer une action coordonnée de plusieurs États à l’encontre d’Israël pour ses violations du droit international. (Pierre Crom / Getty Images)

Les membres fondateurs du groupe de La Haye sont les gouvernements du Belize, de la Bolivie, de la Colombie, de Cuba, du Honduras, de la Malaisie, de la Namibie, du Sénégal et de l’Afrique du Sud. Leur démarche vise à établir une plateforme commune pour appliquer des « mesures judiciaires et diplomatiques concertées », parmi lesquelles des sanctions, en représailles à l’invasion de Gaza par l’État israélien, qui dure depuis quinze mois, à son occupation de la Cisjordanie, qui dure depuis des décennies, et à son obstruction à la création d’un État palestinien.

Il s’agit d’un rassemblement en faveur d’une action collective. Action collective au niveau national, action collective au niveau international et action collective au niveau multilatéral », a déclaré, lors de l’événement de lancement du 31 janvier, Varsha Gandikota-Nellutla, de Progressive International [organisation politique internationale qui rassemble et mobilise les activistes et les groupes progressistes de gauche, NdT], qui a collaboré à l’organisation de la coalition. « Le groupe de La Haye entend construire un rempart pour défendre le droit international. »

Le groupe nourrit l’espoir que d’autres États puissent se joindre à son initiative, qui vise à défendre et à appliquer les décisions prises à l’encontre d’Israël et de ses autorités politiques par la Cour Pénale Internationale (CPI) et la Cour Internationale de Justice (CIJ), basées à La Haye. Ils espèrent pouvoir s’imposer dans la grande majorité des pays du Sud qui ont voté en faveur des résolutions de l’Assemblée générale des Nations unies condamnant l’occupation par Israël des terres palestiniennes en Cisjordanie et la récente guerre à Gaza. Des personnalités des partis de gauche en Europe, tels que la France Insoumise, le Sinn Féin irlandais et le Parti des travailleurs de Belgique, étaient également présents au lancement.

Deux semaines après le cessez-le-feu du 19 janvier dans la bande de Gaza, l’objectif immédiat du groupe de La Haye est de faire respecter les récentes décisions des tribunaux internationaux à l’encontre de l’État israélien, alors même que les puissances occidentales sapent cette structure judiciaire dans l’espoir de revenir au statu quo d’avant-guerre en Israël-Palestine. Leur déclaration commune préconise également l’application de sanctions économiques à l’encontre d’Israël, tout d’abord par le biais d’un embargo sur les exportations militaires et le non-accès à leurs ports des navires transportant du matériel militaire à destination d’Israël. Ces mesures pourraient servir de socle pour d’autres formes de coercition économique, ont déclaré des personnes bien informées de l’initiative, même si l’un des objectifs initiaux est la création d’un cadre beaucoup plus global.

Les États fondateurs du groupe de La Haye figurent déjà parmi les principaux acteurs de la scène internationale qui prennent des mesures directes contre Israël. En juin dernier, la Colombie a décrété un embargo sur toutes les exportations de charbon à destination d’Israël, un commerce qui a représenté plus de 300 millions de dollars en 2023. L’Afrique du Sud était également le principal plaignant dans la plainte déposée en décembre 2023 auprès de la CIJ concernant le comportement de l’armée israélienne dans la guerre qui durait alors depuis deux mois. De nombreux membres du groupe de La Haye, tels que le Belize, la Colombie, le Honduras et la Bolivie, ont suspendu leurs relations diplomatiques avec les dirigeants israéliens suite à la récente invasion de Gaza.

« Crédibilité mondiale »

Israël doit faire face à un nombre croissant d’ordonnances et d’actes d’accusation graves émanant de tribunaux internationaux. Dans un avis préliminaire de janvier 2024 sur la plainte de l’Afrique du Sud, la CIJ, organe des Nations unies chargé de résoudre les conflits entre États et d’émettre des avis consultatifs concernant les violations du droit international, a mis en garde contre le risque « plausible » de génocide à Gaza, exigeant en mai 2024 qu’Israël mette un terme à son offensive contre la ville de Rafah. L’avis de janvier 2024 a été rendu à un moment où l’on estimait que l’invasion israélienne avait tué vingt-six mille habitants de Gaza ; à la fin du mois de janvier 2025 les autorités sanitaires de l’enclave côtière affirment que plus de quarante-sept mille personnes ont été tuées suite à l’invasion et au blocus. Ce chiffre augmente rapidement à mesure que les Palestiniens déplacés retournent dans leurs maisons et communautés d’avant-guerre.

Dans un avis consultatif rendu en juillet 2024, la CIJ a également rappelé l’illégalité de l’occupation de la Cisjordanie par Israël. La Cour a également estimé que les États tiers avaient comme obligation légale de ne pas « prêter aide et assistance au maintien de la situation » en Cisjordanie occupée.

En novembre dernier, la CPI – juridiction créée à la fin des années 1990 pour juger les particuliers accusés de génocide et de crimes de guerre – a autorisé l’émission de mandats d’arrêt contre le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et l’ancien ministre de la défense Yoav Gallant. La CPI a également délivré un mandat d’arrêt à l’encontre de Mohammad Deif, le commandant militaire du Hamas qui a organisé l’attaque du 7 octobre 2023 contre le sud d’Israël, ce qui a déclenché la nouvelle guerre. La semaine dernière, le Hamas a confirmé la mort de Deif lors d’une frappe aérienne israélienne en juillet 2024.

Les puissances occidentales d’Europe et d’Amérique du Nord ont pour la plupart refusé de se conformer aux décisions des tribunaux de La Haye et, dans certains cas, s’emploient à les saper directement.

« Ce qui est crucial ici, c’est que les États du Sud se réapproprient des instruments internationaux conçus à l’origine par l’Occident », explique à Jacobin Rima Hassan, juriste franco-palestinienne et membre du Parlement européen. « Personne ne devrait être au-dessus des lois. Il faut qu’il en soit ainsi même dans le cas d’Israël, allié et protégé de l’Occident. »

Parmi les principales puissances de l’Union européenne, l’Allemagne, la France et l’Italie ont toutes annoncé qu’elles n’appliqueraient pas les mandats d’arrêt de la CPI à l’encontre de Netanyahou et de Gallant. Paris a déclaré que le statut d’Israël en tant que non-signataire du Statut de Rome fondateur de la CPI signifiait que ses dirigeants bénéficiaient d’une immunité. La rapporteure spéciale de l’ONU pour la Palestine, Francesca Albanese, a catégoriquement rejeté cet artifice, affirmant qu’il n’avait aucune validité juridique et rappelant que le fait d’empêcher l’exécution d’un mandat délivré par le tribunal violait l’article 70 du traité fondateur de la Cour et pouvait constituer « un délit pénal en soi ».

La CPI affirme sa compétence précisément parce que les crimes dont Netanyahou et Gallant sont accusés ont été commis sur un territoire internationalement reconnu, la Palestine. Celle-ci a adhéré au Statut de Rome en 2015. La position d’Israël vis-à-vis de la Cour n’a donc aucune incidence sur la validité de l’affaire. D’ailleurs, le gouvernement français lui-même n’a pas suivi cette logique lorsqu’il a soutenu les mandats d’arrêt de la CPI contre Vladimir Poutine concernant l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022.

L’année dernière, la Pologne avait initialement exprimé sa volonté d’exécuter les mandats d’arrêt de la CPI à l’encontre de Netanyahou. En janvier, cependant, le gouvernement polonais a fait marche arrière, promettant de protéger le premier ministre israélien dans le cas où il choisirait d’assister à la cérémonie commémorative du 80e anniversaire de la libération du camp de concentration d’Auschwitz, qui s’est tenue lundi dernier. Netanyahou a finalement choisi de ne pas s’y rendre.

Les vingt-sept États membres de l’UE sont tous signataires du Statut de Rome, qui les oblige à exécuter les mandats d’arrêt délivrés par le tribunal. Mais seule une poignée d’États, comme l’Espagne, l’Irlande, la Belgique et la Norvège – qui n’est pas membre de l’UE – ont déclaré qu’ils exécuteraient les mandats d’arrêt de la CPI. Madrid, Oslo et Dublin font également partie des capitales européennes qui ont reconnu que la Palestine était un État au printemps dernier.

Alors que les grandes puissances européennes refusent de faire respecter le droit international qu’elles ont contribué à établir, les États-Unis – qui ne sont pas signataires de la CPI – cherchent activement à saper et à contrecarrer toute poursuite pénale visant des responsables de l’État israélien. « La CPI a considérablement porté atteinte à sa crédibilité dans le monde », a déclaré le secrétaire d’État de Donald Trump, Marco Rubio, lors de son audition de confirmation le mois dernier. « Il s’agit d’un galop d’essai pour voir si on peut poursuivre le chef d’État d’une nation qui n’est pas membre. Si on arrive à coincer Israël, alors, à un moment ou à un autre, les États-Unis seront également visés. »

Les États-Unis pourraient bientôt être amenés à entraver directement la Cour de La Haye et les acteurs chargés de l’application de ses décisions. Bien qu’au Sénat, les Démocrates aient fait obstruction au récent Illegitimate Court Counteraction Act, le projet de loi visant à imposer des sanctions contre la CPI a été approuvé le 9 janvier dernier par la Chambre des représentants, contrôlée par les Républicains, avec le soutien de quarante-cinq représentants démocrates. La Maison Blanche de Trump pourrait également envisager prochainement une action exécutive visant la CPI, ayant rétabli une politique de 2020 autorisant des mesures punitives à l’encontre de la Cour.

Le soutien inconditionnel des États-Unis à l’impunité israélienne n’a rien de nouveau. L’incapacité de l’Europe à se démarquer de Washington sur cette question rappelle une fois de plus son manque de leadership international. Face aux États voyous, le groupe de La Haye a au moins le mérite d’avoir pour principe une obligation pour les États de répondre de leurs actes..

 

 

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