ART DE VIVRE DÉCOMPLEXÉ ? MOBILIER, VÊTEMENTS, VOYAGES, LECTURES, CONSOMMATIONS AFRO EN HAUSSE !

Un article écrit en 2004 pour Afrikara.com, « Un Art de Vivre enfin Décomplexé : Mobilier, Vêtements, Voyages, Lectures afro en Hausse », publié le 09/10/2004, à relire avec de la distance, le temps ayant fait son œuvre.

Quelle époque, quelle époque épique dit la chroniqueuse. Tabourets ashantis, peintures vaudoues, bijoux touaregs, luminaires en pierres de M’bigou et tissus africains, vanneries déco, autant d’objets curieux qui détrônent les cossus mobiliers de marque, symboles d’antan de réussite sociale. A mesure que ces merveilles du monde entrent dans les foyers, quelques préjugés et complexes tarissent lentement.

On s’éloigne chaque jour un peu plus de cette époque glaciale où le modèle du consommateur bourgeois sûr de son christianisme, et de la toute-puissance de l’industrie s’imposait sans combattre dans les esprits de tous les consommateurs, dominants et dominés étant captés vers les mêmes références. Les marques, leur univers perçu de fiabilité, de qualité, de durabilité communiquaient sur un terrain fertile à souhait. Le modèle idéal du consommateur passif, fabriqué par la mode et les institutions ne souffrait d’aucune anicroche.

Les années 60-70 ont vu chavirer cet unilatéralisme du consumérisme emprisonné par les conventions verticales, à la faveur de la montée des mouvements écologistes, proches de la nature, d’un scepticisme accru à l’égard de l’omnipotence du machinisme et de la civilisation industrielle. Les consommateurs cherchant à exister par eux-mêmes, affranchis des normes socioculturelles étouffantes, et en contrepoids de la dictature des marques, des abus des publicités mensongères se sont structurés pour exiger à leur tour les services et promesses vantés à longueur de réclame.

Dans le même temps la décolonisation commençait à passer de la théorie, de l’institution formelle à l’aube de la pratique. Les jeunes ex-colonisés qui s’étaient opposés en vénérant la langue et les attributs de la culture du maître, se faisaient déborder par des nouvelles façons de faire, moins savantes, plus pragmatiques se manifestant dans l’acte d’achat.

Ainsi des objets auparavant réservés aux ethnologues, collectionneurs, spéculateurs ont fait progressivement leur entrée dans les appartements, ajoutant une touche de fantaisie, d’inattendu, d’authenticité dans le tout industriel, les productions de masse.

Une époque différente se faisait jour, et les africains-américains en avance sur les consommations afrocentriques retrouvaient une part de leurs racines africaines à travers les objets d’art et d’artisanat qu’ils achetaient dorénavant chez leurs détaillants.

Et chemin faisant, les voyages se multipliant vers des destinations compétitives et concurrentes, exotiques pour d’aucuns, un art de vivre se forgeait, cosmopolite, traduisant les grands flux de personnes et de marchandises du monde contemporain, et la volonté de l’individu atomisé de se singulariser au mitan du gigantisme de l’industrialisation. D’avoir, d’élaborer une image favorable de lui-même et de l’exprimer dans ses comportements d’achat.

Le «bourgeois» négro-africain, scotché sur les tendances ostentatoires du 19ème siècle aura résisté le plus longtemps à ces mutations car les objets importés représentaient le mode privilégié d’extériorisation de sa domination sociale. Mais la crise économique des ajustements dits structurels a réussi à en ramener un bon nombre chez l’artisan du coin, en définitive pas si mauvais que cela. Les produits d’artisanat, d’art et de décoration africains ont ainsi fait une entrée par la porte de la crise et du rationnement monétaire dans les villas cossues des notables africains… L’imitation a scellé le sort de la morgue des élites africaines ou afro-caribéennes, qui dans leur course effrénée et souvent inconsciente vers le «Blanc», deus ex-machina en personne, se sont surprises à acheter des objets afro, boubou ou Djembé, parce que les figures modèles européennes avaient dé-diabolisé ces produits des cultures lointaines ! Une gêne souvent en a poussé quelques-uns à se «rattraper», jugeant après coup un peu anormal leur retard dans la tendance des produits de la culture afro, tresses, musique, ou voyages, qui essaimaient auprès des consommateurs européens, américains.

Sur tous les continents de bonnes raisons structurelles ont fait s’introduire la diversité de consommation dans les ménages, qu’il s’agisse de cuisines ethniques, de vêtements indiens ou africains, et au-delà qu’il s’agisse de lectures à l’époque impensables pour le commun des mortels. Aujourd’hui les contes, les mythes des civilisations anciennes trouvent une fraîcheur inimaginable dans les librairies des grandes capitales occidentales, traduisant la quête d’un supplément d’âme, d’un ailleurs, d’autres choses que des routines d’un monde rationnel qui feint d’oublier sa dimension immatérielle.

Cet art de vivre progressivement décomplexé offre des opportunités aux producteurs, créateurs, artistes, artisans du monde entier, de se nouer avec les marchés mondiaux et trouver des sources de revenus légitimées par les besoins qu’ils comblent. Le «léger» problème réside dans le fait de l’anticipation par les mastodontes firmes globales de ces tendances, qui proposent des fausses alternatives en ré-industrialisant l’artisanat, le tourisme, l’ethnique, l’éthique économique, les voyages culturels, l’édition ethnologique d’ouvrages de découvertes de la diversité universelle.

Les consommateurs se voulant désormais consomacteurs, il est à espérer, tout en se félicitant des préjugés qui tombent à l’entrée de chaque peinture Ndebele dans un appartement bien tenu, que cet art de vivre ne sera pas victime de son succès, attirant à lui les mêmes prédateurs uniformisateurs que les commerces standards d’il y a 30 ans.

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Martial Ze Belinga est un économiste et sociologue camerounais. Son travail porte spécifiquement sur l’épistémologie de l’histoire africaine, les préjugés et les silences qui biaisent la compréhension du passé de l’Afrique et des diasporas africaines. L'art et la culture tiennent une place centrale dans son travail. À ce titre il est l'auteur de plusieurs ouvrages parmi lesquels: "Au-delà de l’inculturation. De la valeur propositionnelle des cultures africaines". Pour l'économie, ses travaux ont beaucoup porté sur la monnaie notamment le FCFA. il est l'auteur entre autres de: "Afrique et mondialisation prédatrice". Expert associé au comité scientifique international de l’UNESCO pour l’Histoire générale de l’Afrique, Belinga est éditorialiste et avait lancé le site Afrikara dédié à l'histoire, la culture et l'avenir du monde noir. Il a été par ailleurs sélectionné parmi les 20 « Experts » représentatifs de la diversité (Club XXIe siècle, France)

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