IL FAUT ÊTRE ILLUSTRE COMME UN GRIOT POUR MÉRITER LE BAOBAB SACRÉ

Avant, dans beaucoup de nos contrées, les griots étaient considérés comme les maîtres de la parole. Ils en connaissaient tous les secrets. Ils étaient la mémoire de la société. « Sans nous, dit Mamadou Kouyaté, les noms des rois tomberaient dans l’oubli… l’Histoire n’a pas de mystère pour nous… C’est nous qui détenons les clefs des douze portes du Manding ».

Les griots pouvaient provoquer des conflits ou apporter la paix. Leur parole pouvait être faste ou néfaste. Ils pouvaient donc magnifier ou détruire.

Ils inspiraient du respect pour cela. De la crainte aussi. Car quiconque est maître de la parole détient une puissance créatrice exceptionnelle. Le détenteur d’une telle force mérite un sépulcre digne de son rang et de sa puissance.

Dans de nombreux contes et légendes africains, le baobab est l’arbre qui parle. Il est l’arbre de Vie, sous lequel la palabre s’effectue. C’est sous son ombre que se réunissaient les jeunes pour la circoncision. Cet arbre imposant offrait sa pénombre aux rois pour les cérémonies d’intronisation.

Le baobab est l’arbre de la sagesse. « Je suis un diplômé de la grande université de la Parole enseignée à l’ombre des baobabs », disait Amadou Hampathé Ba. Cet arbre majestueux est craint même par les autres arbres. « Si un petit arbre, écrivait Ahmadou Kourouma, est sorti de terre sous un baobab, il meurt ».

« Guy Texe » (lire « Gouye Tékhé », Baobab de la félicité) est un lieu de recueillement et d’absolution des péchés pour les disciples mourides à Touba. À Madagascar, on recommande de tourner sept fois autour du grand baobab Mahanjara si l’on est un hôte de passage et si l’on veut s’attirer les grâces des esprits de cet arbre.

L’emblème du baobab brille par ailleurs sur tous les actes officiels émis par l’État du Sénégal, et en Afrique du Sud, The Order of the Baobab (L’ordre du Baobab) est remis à ceux qui ont rendu des services méritoires dans les domaines de la médecine, de l’économie et de l’innovation technologique.

Le baobab a donc une grande valeur symbolique

Le corps d’un griot, détenteur de la Parole-Vie, ne peut être placé qu’à l’intérieur d’un réceptacle qui peut contenir sa force : un baobab sacré, après évidemment des funérailles grandioses. Sa puissance devait être canalisée par les esprits du baobab. Autrement, ses effets pouvaient déborder, empêcher la pluie de tomber et entraîner sécheresse et désolation.

En effet, le baobab-sépulcre étant à la fois « fosse commune » et « tabernacle du Logos », écrivait Henri Gravrand, le griot « même mort, sa parole peut s’échapper et devenir un fait en vertu de son dynamisme, et abîmer un champ cultivable par une puissance trop grande ».

Ainsi est né le fameux rite de fertilité qui veut qu’on dépose (pas enterrer, comme on le soutient faussement) le corps du griot dans le creux immense du baobab pour que son « double », craint, se calme au contact des esprits.

Dans les années 1930, le père Pierre Moullin, des Pères du Saint-Esprit, envoyé à Diohine, en pays seereer, s’opposa à la pratique de l’enterrement d’un griot chrétien. Il créa un immense désarroi dans le village. Les pluies ne tombèrent pas comme à l’accoutumée et la semence fut maigre.

Ce qui s’est passé à Pout Dagné – qu’il faut considérer comme une simple poche de résistance de pratiques culturelles tenaces – est un résidu dévoyé de cette coutume ancestrale. Elle avait une signification jadis, elle est vidée de son sens à notre époque. Ses usagers, comme les résistants de la coutume de l’excision, guidés par l’habitude, ne conservent plus que des vestiges asséchés de rites du passé.

On ne peut toutefois résoudre un problème de ce genre si l’on n’en connaît pas les circonstances historiques et les fondements. Connaître le pourquoi des choses est nécessaire si l’on veut réussir une révolution sociale.

Mais, comme pour toute pratique culturelle ancrée, la répression s’avère inefficace. Lorsque des populations, guidées par la coutume, ne vivant pas leurs actes comme délictueux, sont incriminées, elles se braquent et ne comprennent pas qu’on s’en prenne à elles pour avoir simplement respecté une tradition.

Pour expliquer le non-sens actuel de ces actes et leur déformation pernicieuse pour la cohésion sociale, seule une méthode participative menée par de véritables acteurs, basée sur le respect et le dialogue et mettant à contribution les populations elles-mêmes, peut aboutir à des résultats probants et durables.

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Khadim Ndiaye est philosophe, historien et éditeur sénégalais. Membre du Collectif contre la célébration de Faidherbe, il travaille beaucoup sur les questions de mémoires et celles qui touchent au fait coloniale. Grand militant des langues nationales, Khadim est auteur de: "Le français, la francophonie et nous". Les analyses de ce disciple de Cheikh Anta Diop, élève de Boris Diop et de Souleymane Bachir Diagne sont sur Kirinapost.

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