Franc CFA – Le compte des opérations OU LA TABLE D’OPÉRATIONS

Ekanga Ekanga Claude WilfriedImaginez que vous vendez des crèmes pour le Ndjansang à l’étranger, en raison de 100 FCFA la boîte. A l’issue de chaque vente, le voisin vous impose de lui verser la moitié de vos recettes (donc 50 FCFA par flacon), alors qu’il n’est pas actionnaire de votre business. Quelle serait votre réaction ? Même si le Ndjansang n’est pas conseillé, vous aurez envie de lui administrer une gifle républicaine, n’est-ce pas ? Or c’est exactement ce qui se passe avec le franc CFA.

Chaque année, les réserves de change, c’est-à-dire les réserves en devises (monnaies étrangères) présentes dans les banques centrales de la zone franc (la zone des pays utilisant le FCFA) sont versées à 50% (donc de moitié) auprès du Trésor Public (c’est-à-dire le compte officiel de l’Etat) français.

Quelqu’un a dit sorcellerie ?

Exemple : en 2020 vous avez vendu un total de 1000 flacons de crème Ndjansang et gagné 100 000 FCFA. Sauf que vos clients internationaux n’utilisent pas le CFA, mais l’euro. Alors ils vous ont payé l’équivalent de 100 000 FCFA en euros, soit 150 euros. C’est votre banque centrale (en l’occurrence la BEAC) qui a récupéré les 150 euros et vous a donné 100 000 FCFA pour que vous puissiez les utiliser à l’intérieur de votre pays. Les 150 euros détenus par la BEAC constituent alors sa réserve de change.

Elle permettra à votre pays de faire des achats à l’extérieur, puisqu’il dispose à présent de la monnaie de ces pays-là, grâce à l’exportation (vente à l’international) de produits locaux par ses citoyens que vous êtes.

Et puis patatras !!! 

Sauf que voici le voisin qui débarque de nulle part et ordonne à la banque centrale de lui verser la moitié (soit 75 euros), dans un espace qu’il a créé à l’intérieur de son trésor à lui, et qu’il va appeler  » compte des opérations « . Il n’a rien fait pour ça , il ne vous a pas aidé dans votre affaire, mais il en récolte tout de même les fruits. Et chaque année, votre pays ne dispose que d’une partie de ses ressources financières pour stimuler son activité économique.

Comme une balle dans le pied, c’est ainsi que fonctionnent la BCEAO en Afrique de l’Ouest et la BEAC en Afrique Centrale. Ces deux entités sont contraintes de déposer 1/2 de leurs avoirs auprès du Trésor public français, selon l’une des clauses du FCFA qu’on appelle la  » centralisation des réserves de change « .

La France (qui nous aime énormément) justifie cela par la nécessité de garantir la « stabilité » de la monnaie dans nos pays. Autrement dit, pour que le franc CFA conserve sa valeur relativement élevée, elle veut s’assurer que nous avons toujours une épargne en devises. Car puisque nous sommes de gros enfants incapables de gérer une monnaie, elle estime que si toutes les réserves de change restent dans nos banques centrales, nous allons tout dépenser, et bousiller ainsi notre balance des paiements

En gros, il ne sera par exemple plus possible pour un Allemand qui a gagné 1 million de FCFA dans la zone franc, et qui au moment de prendre l’avion du retour, souhaite récupérer l’équivalent en euros (1500 €) de les obtenir, puisque les banques auront épuisé leurs réserves en devises. Et donc la très bienveillante France veut nous éviter ça.

Car lorsque l’on dispose d’une bonne épargne en devises, sensiblement égale au montant de la monnaie CFA en circulation, on peut maintenir la parité fixe (1€=655 CFA) dont j’ai parlé dans le texte d’il y a deux jours, et qui pour la France et ses dociles valets africains est forcément une bonne chose (ce qui est faux!).

Le fait de « garder » la moitié de nos devises permet donc de prévenir la dévaluation, qui selon ces braves gens est aussi forcément une mauvaise chose (ce qui est faux !)

PS : Selon le professeur Kako Nubukpo, l’Afrique dispose actuellement de plus de 13 000 milliards de CFA (25 milliards de dollars) dans le compte des opérations à Paris depuis 1945, et ce n’est qu’une vague estimation

EN BREF :

Une autre fois nous parlerons d’autres termes compliqués (mais en fait simples) telles que le taux de couverture de l’émission monétaire, où la France promet d’assurer nos pays à 80% si jamais nous venions à manquer de devises, mais où en réalité elle n’assure rien du tout, et ordonne plutôt la dévaluation comme en 1994.

Avant cela, je vous laisse réfléchir à la question de savoir comment un pays qui ne dispose que de la moitié de ses réserves vous parle d’émergence 2035, alors que la clique de brigands en cravate qui le dirigent s’amusent encore à détourner salement la moitié restante. C’est le plus grand mystère de l’économie. On l’appelle le Paradoxe Crevettonien.

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