Toumani Diabaté, ce passeur de mémoire

Le roi de la Kora, Toumani Diabaté décédé vendredi dernier à l’âge de 58, représentait la 71 génération de la dynastie fondatrice de l’Empire du Mali qui s’étendait dans toute l’Afrique de l’Ouest. Toumani Diabaté appartient à la lignée de « djélis » (griots), gardiens de la tradition et passeurs de mémoire. Non seulement, Toumani a joué sa partition en préservant ce legs ancestral et le faisant écouter au monde entier, mais il a merveilleusement préparé la relève avec ses fils Sidiki et Balla qui incarnent la 72e génération. Un virtuose et un transmetteur hors-pair qui nous a laissé aussi des paroles sages qui vous saisissent telles les cordes de sa kora. Toumani Diabaté en dix phrases.

« Le London Symphony Orchestra a été réalisée en 2008 ! On avait juste fait quelques heures de répétitions avant le premier concert à guichets fermés, c’était extraordinaire et très inattendu parce qu’en musique classique, il y a rarement de place pour l’improvisation et l’oralité. Certains musiciens anglais n’avaient même jamais vu de kora de leur vie avant ce concert ! Pourtant, j’ai ressenti une liberté extraordinaire en jouant avec eux. C’était une rencontre historique. »

« La kora a beaucoup voyagé depuis, elle s’est frottée à plein de domaines musicaux, même au hip-hop ou au zouglou ivoirien. Je suis passionné par les collaborations et j’ai essayé d’emmener ma kora vers le blues avec Taj Mahal, le flamenco avec Ketama, les musiques électroniques avec Björk ou Damon Albarn, etc… mais jamais la kora n’avait été soliste devant un orchestre symphonique avant ce disque Kôrôlén  ! « 

« L’Afrique a aussi sa musique classique, qui est bien plus ancienne que celle de Beethoven, de Mozart ou Bach. Beethoven n’a que 250 ans, or la musique classique mandingue existe depuis le 13e siècle. »

« J’ai toujours cherché le mélange des styles et les invités, avec un certain succès je crois. Dieu merci, car ce n’est pas donné à tout le monde de faire des collaborations justes. Souvent, un style va bouffer l’autre, pourtant, c’est une histoire de donner et de recevoir. Il ne faut surtout pas jouer la musique de l’autre. C’est une règle importante. Il faut jouer ta musique et laisser l’autre jouer sa musique, car elle a son propre langage. C’est comme ça que l’on peut créer une nouvelle musique.

« Naitre dans une famille de griot, c’est naitre dans une école. Apprendre le savoir-vivre, apprendre à garder l’histoire. Il y a des secrets que tu ne dois pas connaître avant 40 ans, d’autres, pas avant 50, et d’autres encore pas avant 60 ans. C’est l’école de la vie. De père en fils, l’histoire de l’empire du Mali est ainsi préservée et transmise. Le griot est le gardien des archives et le trait d’union de l’histoire de l’Afrique de l’Ouest. Il est un faiseur de paix. Il est humblement inférieur à tout, rien que pour la bonne marche de la société. »

« Notre pays est pauvre mais il est l’un des pays les plus riches culturellement. Le Mali est le coeur de la culture en Afrique et elle accorde une place importante à la femme. On doit promouvoir son éducation. Celui qui éduque une femme, éduque la société, éduque le monde. »

« Kirina est un lieu important. Il faut apprendre ce que veut dire Kirina, qu’est-ce-que Kirina détient encore comme sens. L’école de musique qu’on y ouvre va permettre d’enseigner l’histoire, de sauvegarder ce patrimoine. Je suis fier quand je vois des jeunes Africains s’approprier leur histoire et leur patrimoine. Nous devons recevoir mais nous devons apprendre pour pouvoir donner à notre tour. »

« La kora est un cadeau d’une dame de Gabu (actuelle Guinée-Bissau) qui était dans l’empire du Mandé et nous en sommes les gardiens. Quand on dit Mandé c’est toute l’Afrique de l’Ouest. La charte de Kurukan Fuga en 1235 a défini les rôles et on ne devient pas griot, on nait griot. Tout le monde peut entrer dans un magasin acheter une guitare et apprendre à jouer. La Kora, ce n’est pas pareille. Je ne dis pas que vous ne saurez pas jouer, mais il vaut mieux pour commencer son apprentissage préparer une offrande de 10 noix de cola, 500 FCFA aussi et aller voir un maitre authentique. »

« Dans la vie, nous devons continuellement rendre grâce à Dieu. Cela aide à être humble. Nous devons avoir de la spiritualité et apprendre à nous connaitre pour un monde de joie, de partage et d’amour. Chez nous on dit chaque jour l’oreille va à l’école. C’est-à-dire qu’elle apprend chaque jour une nouvelle chose, mais reste comme elle est, fidèle à sa taille. Gardons nos valeurs, c’est notre force. »

« Ali Farka Touré, paix à son âme, disait à juste titre que le blues venait du Mali. Il y a le blues du nord et le blues de Ségou que joue merveilleusement Bassékou Kouyaté. Toutes ces musiques viennent du royaume du Mali. Nous devons en être fiers. Ce sont des musiques qui portent des valeurs et des messages d’humanité. »

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