« SOS Yaboye » ou le film qui tire la sonnette d’alarme sur l’avenir du poisson

« Où se trouve le poisson ?« , que vont devenir tous ces métiers liés à la pêche traditionnelle ?  Que vont devenir ces savoir-faire, ces cultures autour de la mer ? Que fait l’État ? Toutes ces questions sont abordées directement ou en toile de fond dans le formidable film-documentaire «SOS Yaboye» dont la projection a eu lieu samedi 10 septembre dernier à Joal.

Lieu ne pouvait être mieux choisi pour la première de « SOS Yaboye » que Joal. La cité chère au président Senghor est non seulement une place forte de la pêche au Sénégal, mais les acteurs locaux du secteur sont les principaux intervenants dans le film. À la réalisation Thomas Grand, initiateur du media citoyen de la mer SOS Yaboye avec son acolyte Moussa Diop. Thomas Grand est auteur de beaucoup de reportages et de films sur la mer, la pêche et sur l’environnement. Il est surtout le réalisateur de « poisson d’or, poisson africain », le documentaire sur l’économie de la pêche tant primé dans le monde. Il a reçu pas moins de 70 prix et a été sélectionné prés de 250 fois. Ce la prouve combien le réalisateur est en terrain connu et maitrise son sujet.

« Construire l’histoire de la pêche artisanale dans notre pays à travers ses travailleurs et les gens qui défendent le métier et notre souveraineté alimentaire est extrêmement important » explique-t-il

Dans une salle bien remplie, le film documentaire a été présenté en grande première. Les populations de Joal sont sorties soutenir ce documentaire qui met en évidence les difficultés de la pêche et parler de l’avenir de leur terroir.

« Ils nous semblaient nécessaire de rapprocher nos idées de celles que les gens vivaient localement » renseigne le réalisateur à propos de son film.

Aujourd’hui, ce que vivent les acteurs de la pêche traditionnelle c’est une angoisse, une peur, un désarroi. Le documentaire qui donne la parole aux travailleurs de la pêche est assez éloquent à ce niveau.

« Joal peut mourir si le Yaboye ne se trouve plus. Joal peut mourir » répète dépitée dans le film Téning Ndiaye, présidente du Groupement d’Intérêt Economique interprofessionnel (GIEI) ‘’Diam Bougoum ».

Plusieurs raisons à ce phénomène: d’abord, des accords de pêches mal négociés par l’État du Sénégal qui favorisent les bateaux étrangers, l’absence de repos biologique, la disparition des lieux de reproduction du poisson et la capture du petit pélagique le fameux yoss. Tous ces aspects, sont évoqués dans le documentaire.

La caméra d’Amath Niane, chef opérateur reconnu dans la place de Dakar, filme des décors sublimes. Le film regorge de plans magnifiques mettant en lumière la beauté des paysages du Sénégal. Le moment du film où la camera accompagne les pêcheurs en mer vers 18 heures pour ne revenir à la terre ferme que le lendemain à l’aube… avec une cargaison peu fournie est poignant. Ils racontent leur angoisse, leur incertitude tout en gardant espoir, tout en donnant des solutions. Sont-ils entendus ?

Pour Abdoulaye Ndiaye de Greenpeace organisme partenaire du film, naturellement la question: où se trouve le poisson, en référence à la campagne Ana sama Jën que Greenpeace Afrique déroule à coté des communautés, est légitime. Quel avenir ? Ce savoir que m’a enseigné mon père qui l’a pris de mon grand-père, pourrai-je le transmettre à mon fils et si tel est le cas pourra-t-il en vivre ? Ce genre de question assaille tout acteur de la pêche traditionnelle aujourd’hui.

« Lorsque l’économie de toute une région, les revenus de toute une population reposent essentiellement sur la pêche, quand le secteur bat de l’aile, il y a de quoi s’interroger quant à l’avenir. À travers ce film, il est important d’interpeller les opinions, les acteurs et les gouvernants » plaide le responsable de Greenpeace.

La capture des juvéniles est revenue plusieurs fois dans le film. Tous les acteurs sont unanimes :si des mesures draconiennes ne sont pas prises pour interdire la capture de juvéniles, le secteur de la pêche ne sortira pas de la crise.

« Il ne s’agit pas d’interdire la capture de juvéniles à Joal ou Mbour et l’autoriser à Bargny, à Dakar, en Casamance, à Saint-Louis ou Cayar. Il faut l’interdire partout, sur tout le littoral sénégalais » insiste dans le documentaire Téning Ndiaye.

Même le secteur de la transformation est en danger. À en croire madame Ndiaye qui sait de quoi elle parle, elle qui travaille comme femme transformatrice depuis 1971.

« Les déchets, autrement dit les poissons dont les mareyeurs n’ont pas besoin » sont principalement utilisés. Mais si le mareyeur n’a plus la possibilité d’avoir suffisamment de poissons jusqu’à être obligé de prendre les déchets, nous ne pouvons point avoir de poisson à transformer » renseigne Téning Ndiaye tout en ajoutant que les lieux de reproductions de poissons doivent être multiplier…

Par ailleurs, les acteurs intervenants dans le documentaire ont pour la plupart rappelé la nécessité de veiller à la reproduction des espèces. C’est le cas de la mangrove qui concentre une des activités phares des femmes de Joal-Fadiouth, à savoir la cueillette d’huîtres et d’arches.

Selon Abdou Karim Sall membre de l’Association pour la Promotion d’une Pêche Responsable (APRAPAM et personnage clé du film, les efforts faits pour sauvegarder la mangrove ont été extrêmement utiles.

« Nous faisons des formations et aidons les acteurs à favoriser des zones de reboisement de palétuviers et pour replanter des parcelles de mangrove. Les résultats sont encourageants et même pour la protection des poissons en mer nous avons des résultats encourageant dans certains domaines. Mais ce n’est pas assez. La pêche industrielle est une catastrophe pour le Sénégal. Ils utilisent aussi un équipement qui détruit l’habitat naturel de la faune marine » peste Sall.

Dans la même veine, Helene Sonko qui travaille dans la cueillette d’huîtres et d’arches, a confirmé les propos de Sall. Dame courageuse, elle soutient que le secteur souffre de plusieurs maux mais que les acteurs essayent de revoir leur pratique afin de rendre durables les productions.

« Nous entretenons nos familles grâce à ce métier, nous payons les études de nos enfants, nous n’avons pas le droit de jouer avec notre outil. Aujourd’hui nous arrivons à reboiser la zone et c’est une excellente chose » assure la brave dame.

À partir de cet instant du film, le spectateur se dit : « tiens, donc des solutions existent. Le reboisement par exemple fait son effet. »

Tout au long du film, la colère, la peur, la tristesse se succèdent et le spectateur est saisi par la profondeur de cette tragédie qui peut aller en s’aggravant si on ne fait rien. L’État est interpelé. Il est le garant du bien-être des citoyens. Pourtant, on a le sentiment en regardant le documentaire qu’il ne s’occupe pas vraiment de ses administrés, qu’il ne comprend pas l’immensité des enjeux ou qu’il est plus obnubilé à signer des accords de pêche avec des multinationales, alors que son action devrait être prioritairement tournée vers la préservation du legs des anciens autrement de la culture de notre peuple.

C’est pour encourager toutes celles et tous ceux qui oeuvrent pour la sauvegarde de ce patrimoine, que SOS Yaboye, a tenu d’ailleurs, à la fin de la projection du film, à décorer certaines personnes qui se battent au quotidien pour la défense des intérêts des gens de la mer.

« La valorisation des acteurs de la pêche engagés dans la protection du secteur de la pêche artisanale et de l’environnement est un élément important » a tenu à dire Thomas Grand.

SOS Yaboye n’entend pas rester sur cet événement. Ce qui était à la base une émission du media citoyen de la mer et qui est devenu carrément un film documentaire, va sillonner la cote et le pays profond afin de multiplier les diffusions. Il s’agit donner la parole aux acteurs et d’éveiller les consciences sur les dangers de la pêche industrielle illicite et le pillage des mers. Chaque année, plus d’un demi-million de tonne de poissons sont pêchés dans les eaux d’Afrique de l’Ouest pour être transformées en farine et en huile de poisson afin de nourrir les poissons d’élevage, le bétail et les animaux domestiques en Asie et en Europe, selon un rapport de Greenpeace Afrique et Changing Markets.

Ce film sur la pêche vient à son heure. Il est crucial que l’opinion publique sénégalaise sache ce qu’il se passe dans sa mer et combien il est important d’agir pour la sauvegarde de notre patrimoine. À terme, on risque de ne plus manger du Cebbu Jën, du Yaboye ou du Yët. Au final, la question n’est pas de se demander où se trouve le poisson mais plutôt quel avenir veut-on pour le poisson ?

Share

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *