La disparition de Salif Diallo soudaine et inattendue a plongé le monde de la presse dans une profonde tristesse. Inattendue par ce que Salif fait partie des gens que tu crois éternels. Tu attends ses papiers et ses analyses. Quand il y a match, tu penses à lui. Il fait partie du décor. Inna lillahi wa inna ilayhi raji’un.
Un homme bon est parti. Lorsque je suis arrivé à l’APS je ne connaissais personne à la rédaction mais je lisais déjà les belles plumes de l’agence et j’avais beaucoup entendu parler de leur sérieux et professionnalisme. J’étais arrivé sur la pointe des pieds avec un respect immense pour ces messieurs et dames. Kanté, Cisko, Hady, Laye Iba Faye ect. Salif en bon sportif, a su rapidement briser la glace.
C’est lui qui est venu vers moi. Je crois en ces paroles de Rûmî le sage : « la parole est un prétexte: ce qui attire l’homme vers l’homme c’est l’affinité qui les lie, et non la parole. » On avait quelques atomes crochus, le foot évidemment, mais aussi le terroir. J’ai un grand respect pour toutes ces personnes qui parlent de leur terroir avec fierté. Lui m’a parlé de Goudomp, sa ville, dés nos premiers échanges. Enfin, il connaissait très bien ma cousine Marie Mamour Diop qui, avant moi, avait fait son stage de journalisme à l’APS sous l’aile de Bamba Kassé. Salif me donna d’ailleurs un sobriquet, « parisien », qui sera adopté par toute la rédaction. Jusqu’au redchef Assane Diagne.
Je découvris quelques jours plus tard, qu’il avait baptisé un photographe de l’agence : « saoudien. » Salif était comme cela, esprit sportif, chambreur, toujours la bonne blague. Rapidement, il me fait beaucoup travailler dans le desk Sport qu’il dirigeait de main de maître. Le sage Rûmî dit : « Soit reconnaissant à tous ceux qui viennent car chacun est un guide qui t’est envoyé de l’au-delà. » Salif et Kanté plus tard ont vraiment guidé mes premiers pas dans ce grand fouillis qu’est la presse sénégalaise.
Je n’avais pas deux semaines à l’APS, quand le président de l’ONCAV, Amadou Kane fut l’invité de la rédaction. Salif, au pied levé, me demande de l’accompagner dans l’entretien. Tu es « parisien » mais tu connais les Navetanes, poses toutes les questions que tu veux. Au début de l’entretien, il fait les présentations et me lance :« Amadou va poser la première question » ! C’était cela Salif. Il te booste et te met dans le bain comme s’il veut que tu sois à son niveau très vite « Boy, je vais voir Malick Sy Souris tu peux venir, je vais te le présenter. » Il te stimule. Il savait faire des passes décisives comme Messi. Il était d’une générosité remarquable.
Des conseils tout le temps. Toujours avec courtoisie et délicatesse : « tu as une belle plume, mais reprends ce texte, tu es en agence » ou « j’aime bien l’idée de ton second paragraphe, mais dis le autrement. » Même quand j’ai quitté l’APS pour REUSSIR Magazine, il m’appela un jour et me dit : « parisien y a un grand journaliste sénégalais, qui veut lancer un mensuel sportif », je le coupe : « C’est Pape Diouf » ? Mais lui calme et serein reprend : « Ne mets pas la charrue avant les bœufs, il m’a demandé de trouver de bons reporters, tiens-toi prêt. Si cela se concrétise je te veux dans le projet et tu sauras qui c’est. » C’était cela Salif. Un gars discret et foncièrement honnête.
C’est sans doute pourquoi Il avait l’oreille des grands dirigeants. Ses articles étaient d’une pertinence redoutable. Jamais dans le clash mais toujours dans les faits. Salif Diallo était un travailleur acharné. Il lisait vite, écrivait vite, savait trouver rapidement le bon reporage à faire et maitrisait l’écriture d’agence comme peu de reporters. C’était le genre de d’analyste, rare au Sénégal, à te répondre par exemple : si tu lui dis : « pourquoi un tel joueur est tout le temps titulaire ? Il est nul »; « En tout cas, son ratio match/but est le plus élevé de l’histoire du foot Sénégalais. Son jeu n’est pas très bon mais c’est le meilleur buteur en activité qu’on a. » Il savait fermer des bouches avec ses stats et des tacles propres à la Kalidou Koulibaly.
Il était le journaliste sénégalais qui votait au FIFA The Best et était « media officer » à la CAF et à l’UFOA. Salif a voyagé sur tous les continents, fréquenté les hauts lieux de sport, coupe d’Afrique, championnats du monde d’athlétisme, J.O, coupe du monde football, il en revenait toujours plus affûté et jamais blasé comme cela peut arriver à certaines « stars » de la presse. Salif Diallo se voulait juste un reporter ! Bien qu’il jouissait d’une sacré notoriété dans le métier, il ne tira jamais la couverture sur lui et semblait même fuir la lumière. Ecrire, suffisait à son bonheur. S’il y avait un ballon d’or du journalisme sportif au Sénégal, Salif en aurait été le recordman. Après la génération Abdoulaye Diaw, Mamadou Koumé et autres, Salif Diallo est le meilleur de sa génération.
Nos derniers échanges remontent au mois dernier. Tous les jours, sur Twitter, on « se retweetait » et on échangeait inbox. Quand je ne le voyais pas, je me disais qu’il était entre deux avions. Surtout lorsque les évènements sportifs s’enchainent à un rythme effréné. Malheureusement, ce court silence était due, cette fois à la maladie. Il n’a vécu que 53 ans petites années sur terre, mais quelle vie ! Une vie remplie, pleine et utile à sa société, à son pays et à son continent. Ses cadets dans le métier ont appris de lui, il a aidé, partagé, et conseillé.
Quelqu’un peut vivre 95 ans sans avoir l’impact et l’intensité de la vie de Salif. Et puis, il est parti en champion d’Afrique. Il aura vu ça ! On ne doit pas pleurer Salif, il a marqué son temps à jamais. Ses enfants ont de qui tenir. Leur père est un digne fils du Sénégal. Un bon musulman. J’ai passé des matinées et soirées de ramadan avec lui à la rédaction. Nous sommes allés plusieurs fois à la mosquée ensemble. En écrivant ces mots, j’ai une forte pensée pour Boury son épouse éprouvée. Que le paradis soit la destination de Salif. « Ô toi, âme apaisée, retourne vers ton Seigneur, satisfaite et agréée, entre donc parmi Mes serviteurs, et entre dans Mon Paradis ».
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