POUR UNE SOCIOLOGIE CRITIQUE DE LA CONNAISSANCE…

« La lumière du portrait rayonne de son fond obscur. Elle émane de l’astre éclipsé pour soi qui définit un sujet. Ce qui visiblement disparaît dans le portrait, ce qui vient s’y dérober à nos yeux sous nos yeux, plongeant dans nos yeux comme à l’infini, c’est le regard du portrait. »

Jean-Luc Nancy, Le regard du portrait, Paris, Galilée, 2000, p. 72.

I- LE SOCIOLOGUE DES RELATIONS ENTRE L’ÉTAT ET LA SOCIÉTÉ

« Quand l’argent n’était pas encore (un) souci majeur »

Momar-Coumba DIOP

Momar Coumba Diop constate, dans « La leçon de Thandika », qu’ « au début des années 1980, la question qui [les] préoccupait était de savoir, malgré [ou grâce à leurs] spécialités différentes, comment construire et défendre [leur] autonomie sur le plan intellectuel, en faisant cependant usage de la même raison. [Ils étaient] obsédés par cette question et animés par une certaine forme de nationalisme. [Leur] Faculté disposait d’une revue publiant des documents bien contrôlés sur le plan éditorial et imprimés avec soin. Une véritable vie intellectuelle animait l’espace universitaire.

À l’époque, il était possible de mobiliser des collègues prestigieux comme François Boye, Mohamed Mbodj [Inge], Paul Ndiaye, Aminata Diaw, Souleymane Bachir Diagne, Mamadou et tant d’autres autour d’objectifs ambitieux, sans moyens financiers importants.

L’argent n’était pas encore notre souci majeur.

Les capacités de recherche et d’innovation de notre pays n’étaient pas encore détériorées par la « consultance » et nous avions une université digne de ce nom. Les collègues passaient beaucoup de temps à discuter dans les bureaux ».

Il faut insister de manière particulière sur les travaux collectifs dirigés par Momar Coumba Diop le sociologue des relations entre la société et l’État au Sénégal et en Afrique. Tous les travaux, qu’il a dirigés, ont été réalisés et menés à terme dans le cadre d’un groupe pluridisciplinaire (« une dizaine d’universitaires » disciplinés) élargi aux journalistes et aux statisticiens.

Et tout cela s’est passé à un moment crucial non seulement de l’évolution interne du Sénégal, mais aussi de l’Afrique de manière globale (1988-1990).

Observateur discret des réalités sociales et politiques du Sénégal, du continent et du monde, ses travaux individuels et collectifs restent incontournables.

Il a participé à l’éclosion d’une pensée plus fouillée et plus critique, usant de toutes les ressources épistémologiques pour initier une manière plus réfléchie de questionner les trajectoires de la société.

Sa méthode (sa démarche) spectrale permet de visualiser l’ensemble des secteurs de la vie sociale et politique, offrant ainsi à chaque chercheur et sa spécialité la possibilité d’ « apparaître » sans rompre les articulations qui existent entre les champs de la société.

C’est pourquoi, il faut lire l’ensemble de la production pour évaluer l’œuvre accomplie – l’esprit de continuité ou de rupture épistémologique – et sa portée non pas seulement théorique mais aussi pratique. Parce que le travail des chercheurs en sciences humaines et sociales n’est pas seulement que théorique dans le sens littéral et commun du terme. Il est indispensable de renverser cette tendance à minimiser les travaux de ces chercheurs.

Au-delà de ces aspects qui méritent un « essai » à part, Momar Coumba et les professeurs Mamadou Diouf, Aminata Diaw Cissé, Mohamed Mbodji, Souleymane Bachir Diagne et bien d’autres ont défriché un chemin « épistémologique endogène », que la génération d’aujourd’hui doit davantage creuser à l’aune de ses propres résultats et des réalités intellectuelles ambiantes caractérisées par une forme d’individualisation de la recherche.

Celle qui entame toute possibilité de création d’un climat d’échanges intellectuels capable de permettre aux générations montantes d’espérer consolider une certaine indépendance épistémique. Indépendance que nous peinons à ancrer dans les esprits à cause de l’atomisation de la communauté scientifique.

 

Crédits: Boursorma

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