Le travail de l’entreprise tant pour les régimes autoritaires que pour le Pentagone soulève des questions à propos des conflits d’intérêts et des menaces pour la sécurité des États-Unis. Source : Responsible Statecraft, Nick Cleveland-Stout, Les Crises.fr
Au début du XXIe siècle, McKinsey & Company a fait face à un dilemme. Se relevant à peine du crash de la bulle Internet, le prestigieux cabinet de consulting devait élargir son registre de clients pour assurer son avantage compétitif face à ses rivaux. La grande idée de la firme ? Répondre aux appels d’offre des gouvernements, pas seulement à ceux des États-Unis, mais du monde entier.
Dans leur nouveau livre Quand McKinsey arrive en ville, les journalistes du New York Times Walt Bogdanich et Michael Forsythe révèlent comment la décision de McKinsey de s’aventurer dans le secteur public à la maison comme à l’étranger a engendré un business model très répandu comportant de nombreux conflits d’intérêts.
A l’intérieur du pays, certains de ces exploits sont bien connus, comme le fait que McKinsey conseille l’Agence fédérale américaine des produits alimentaires et médicamenteux (FDA) en même temps que le géant pharmaceutique Purdue Pharma. A l’international, le travail de McKinsey semble parfois également truffé de potentiels conflits d’intérêts, le cabinet servant des clients aussi différents que le Pentagone, la Chine et l’Arabie saoudite.
Beaucoup de ces conflits d’intérêts trouvent leur source dans la relation intime que McKinsey entretient avec le Pentagone.
Depuis 2008, McKinsey a remporté des contrats fédéraux pour une valeur dépassant 940 millions de dollars, le département de la Défense étant son premier client. Son travail a varié du conseil aux hauts fonctionnaires sur le développement de technologies pour l’armée de l’Air et de l’Espace jusqu’à l’évaluation de la gestion du programme des F-35.
Beaucoup d’anciens consultants de McKinsey tournent entre différents postes au Pentagone : « Chewning, ancien chef de la division industrielle du département de la Défense, retourne à McKinsey, » titre un article sur Eric Chewning, qui a été assistant du secrétaire à la Défense pour la politique industrielle pendant l’administration Trump. D’après Bogdanich et Forsythe, «Des rapports internes de McKinsey montrent que depuis 2018 et jusqu’au début 2020, le département de la Défense américain comptait parmi les trois principaux clients de McKinsey. »
Cependant même si McKinsey a gagné des centaines de millions de dollars dans des contrats pour la Défense, il a aussi conseillé des cadres d’entreprises et de gouvernements étrangers. Le site internet même de McKinsey se vante de ces relations : « Nous entretenons des relations de longue date avec les ministères et départements de la défense dans le monde entier. » En Russie, ils ont été consultants pour le fabriquant d’armes Rostec. En Chine, ils conseillent China Communications, l’entreprise d’ingénierie détenue par le gouvernement chargée de construire des îles artificielles dans le sud de la mer de Chine. Bogdanich et Forsythe écrivent que la liste des clients de McKinsey en Chine, qui comprenait 19 clients étatiques entre 2018 et 2020, était en conflit avec le Pentagone :
« La même année 2016, McKinsey a conseillé China Communications et a également étudié comment l’armée américaine pouvait réduire les coûts de maintien de la base industrielle américaine pour la fabrication d’armes. McKinsey a également collaboré avec le centre naval d’armement de surface à Dahlgren en Virginie, qui aide au développement des armes qui pourraient être utilisées dans un conflit avec la Chine. »
McKinsey insiste sur le fait que les consultants sont incapables de partager les informations de leurs clients respectifs à cause de barrières internes. Cependant le scandale des opioïdes a revélé que le cloisonnement est, chez McKinsey, pour le moins poreux. Simultanément à la fabrication de matériel pour le futur secrétaire aux services de santé Alex Azar en 2018, McKinsey a autorisé ses consultants qui conseillent Purdue à lui fournir des informations. Des termes jugés exagérés, comme « crise » ou « épidémie » avaient été retirés de la note.
Ce n’est pas seulement le travail pour des des adversaires des États-Unis qui peut créer des potentiels conflits d’intérêts. En 2016, une année pendant laquelle McKinsey a rempli 64 contrats pour le gouvernement américain, le cabinet avait 137 projets en Arabie saoudite. Là-bas, McKinsey s’est retrouvé mêlé au gouvernement pendant l’ascension machiavélique du prince héritier Mohamed ben Salman. Ses consultants ont pratiquement assumé le rôle de fonctionnaires, ce qui a valu au ministère de la planification le surnom à demi sarcastique de « ministère McKinsey ».
Bogdanich et Forsythe écrivent qu’une partie du travail du cabinet était de mener une « analyse de ressenti », une sorte d’analyse d’opinion pour le compte du gouvernement saoudien. Un rapport de McKinsey identifie trois dissidents saoudiens comme critiques majeurs du régime sur Twitter. L’un d’entre eux a été arrêté. Un autre a disparu de Twitter. Le troisième, Omar Abdulaziz, s’est fait pirater son téléphone, compromettant ainsi ses communications avec un autre dissident saoudien, résidant aux Etats-Unis, Jamal Khashoggi.
Quand Khashoggi a été brutalement assassiné, la sénatrice Elizabeth Warren (démocrate-Massachusetts) a interpellé McKinsey à propos de son rôle dans une lettre à l’associé gérant du cabinet, Kevin Sneader : « « Je suis préoccupée par le fait que le rapport sur la perception publique de McKinsey ait pu être utilisé comme une arme par le gouvernement saoudien pour écraser les critiques à l’encontre de la politique du royaume. »
Est-ce qu’une entreprise responsable du renforcement de dirigeants autoritaires à l’étranger et de l’affaiblissement des États-Unis devrait être autorisée à recevoir des contrats fédéraux, notamment sur des questions de sécurité nationale ? La Suite ICI: mckinsey-l-autre-scandale-du-cabinet-de-conseil
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