Mise à jour. Le procureur de la Cour Pénale Internationale (CPI) a émis lundi 20 mai des demandes de mandat d’arrêt international contre le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou et son ministre de la défense Yoav Gallant pour responsabilité pénale de crimes de guerre et crimes contre l’humanité. L’émission de mandats d’arrêts contre les dirigeants israéliens par la CPI aurait des conséquences importantes, tant symboliques que pratiques. Mais la nouvelle relative à ces mandats, émanant de sources israéliennes, pourrait aussi bien participer d’une stratégie visant à remobiliser les alliés d’un État ayant perdu, au moins partiellement, la « bataille de l’opinion », voire d’une stratégie visant à intimider la juridiction pénale internationale. Source: Rafaëlle Maison Agrégée des facultés de droit; professeur des universités pour Orient XXI
Interdit d’entrée en France alors qu’il devait participer à un colloque organisé le 4 mai par la sénatrice Raymonde Poncet Monge, le docteur Ghassan Abu Sittah a affirmé que les autorités allemandes, à l’origine de cette interdiction1, cherchaient à l’empêcher de témoigner devant la Cour pénale internationale (CPI). Sa rétention à l’aéroport Charles de Gaulle intervenait alors que nous parvenait la nouvelle du décès, possiblement sous la torture, d’un autre médecin palestinien, Adnan Albursh, arrêté à Gaza par les forces israéliennes puis détenu en Israël. Par ailleurs, après le retrait des forces israéliennes de l’hôpital Al-Shifa et de l’hôpital Nasser, plusieurs charniers ont été découverts, témoignant apparemment d’exécutions sommaires en masse de patients et de soignants par les forces israéliennes. Cette découverte a suscité de vives réactions et, peut-être, accéléré une enquête de la CPI. Ces exécutions sommaires, ne sont toutefois qu’un aspect de la guerre au soin conduite par Israël à Gaza. Et, au-delà des mandats qui viseraient le premier ministre Benjamin Nétanyahou, le ministre de la défense Yoav Galant et le chef d’état-major Herzi Halevi, les enquêteurs de la cour semblent bien travailler sur la situation des hôpitaux de Gaza.
Guerre au soin et génocide
Dans le dernier rapport de la rapporteuse spéciale de l’ONU Francesca Albanese, il est rappelé que les hôpitaux et autres lieux de soins font l’objet d’une protection spéciale dans le droit des conflits armés. Attaquer un hôpital constitue un crime de guerre, et ceci dans tout type de conflit. A fortiori, le saccage et la destruction de ces infrastructures essentielles relève aussi de ce type de prohibition. L’assassinat ou les mauvais traitements infligés à des soignants ou à des personnes blessées, qu’elles soient civiles ou militaires, est également un crime de guerre.
Mais l’attaque contre les hôpitaux ou les personnes s’y trouvant peut aussi relever du crime contre l’humanité. La jurisprudence internationale fournit un précédent à cet égard : celui de l’affaire dite de l’hôpital de Vukovar, dans laquelle les forces serbes avaient, à l’issue du siège de la ville en novembre 1991, arrêté à l’hôpital puis exécuté en dehors de celui-ci près de deux cents combattants croates. Dans cette affaire jugée par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie en 2009, la qualification de crime contre l’humanité avait été discutée dès lors que l’exécution de ces combattants s’inscrivait dans une attaque plus large contre la population civile. À Gaza, l’attaque contre les hôpitaux peut être considérée comme systématique et doit être mise en lien avec le siège interdisant la délivrance de médicaments et de matériels essentiels. Il a par exemple été souvent rapporté que les médecins devaient pratiquer des amputations sans anesthésie, y compris sur des enfants.
S’agissant de Gaza, la qualification de génocide peut également être sérieusement envisagée au regard, notamment, de la systématicité des attaques, de leur sens, et de leur inscription dans une offensive plus large contre la population civile. Pendant ces longs mois, les morts civiles liées aux bombardements de zones d’habitations se sont accompagnées d’atteintes corporelles très lourdes. Le choix, inédit, de cibler particulièrement les hôpitaux, par-delà le fait qu’ils représentent des lieux organisés de la vie civile palestinienne et des lieux de refuge depuis le début de l’offensive israélienne, témoigne d’une volonté d’interdire le soin. Cette interdiction face à des blessures lourdes, condamne les blessés à la mort ou à un handicap permanent. Il pourrait donc s’agir de soumettre une partie du peuple palestinien à « des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle » ou de lui infliger des « atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale » (article II de la Convention sur le génocide) dans l’intention de la détruire.
L’impact de mandats d’arrêts visant les dirigeants israéliens
Cette guerre au soin semble donc être sous enquête devant la CPI. Celle-ci pourrait sans difficulté conduire à l’arrestation des dirigeants israéliens ayant ordonné les attaques contre les hôpitaux, les soignants, les patients, les familles réfugiées dans leur enceinte. C’est l’hypothèse la plus probable étant donné le niveau d’organisation de l’armée israélienne, qui se trouve sous le contrôle du pouvoir politique. L’arrestation de soignants, dont le docteur Adnan Albursh, et leur détention en Israël en est aussi un signe clair. Ce ne sont pas des éléments indisciplinés ou des bataillons agissant spontanément qui conduisent cette guerre au soin : il s’agit d’une politique délibérée. La responsabilité pénale des dirigeants pourrait encore être engagée sur la base de leur position de commandement, ce commandement pouvant être militaire ou civil. Le défaut de prévention ou de punition des crimes est alors suffisant pour retenir leur responsabilité. Lire la Suite ICI
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