L’Iran contrecarre l’endiguement occidental par une stratégie diplomatique régionale

L’accord de normalisation avec l’Arabie saoudite offre à Téhéran un espace lui permettant de nouer des liens avec des États régionaux dans l’orbite de Riyad. Source : Responsible Statecraft, Giorgio Cafiero, Les Crises.

La semaine dernière, le ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir-Abdollahian, s’est rendu au Qatar, à Oman, au Koweït et aux Émirats arabes unis. Conformément au mantra de l’administration d’Ebrahim Raïssi « Les voisins d’abord », Téhéran privilégie les arrangements avec les acteurs régionaux plutôt que le rapprochement avec l’Occident. S’appuyant sur l’accord diplomatique conclu le 10 mars avec l’Arabie saoudite sous l’égide de la Chine, l’Iran saisit actuellement toutes les occasions lui permettant d’améliorer sensiblement ses relations avec les États du Conseil de coopération du Golfe et l’Égypte [GCC pour Gulf Cooperation Council, NdT].

Amir-Abdollahian a commencé sa tournée dans le Golfe par Doha le 19 juin. Le lendemain, il a rencontré l’émir Cheikh Tamim ben Hamad dans la capitale qatarie afin d’aborder les questions de l’Afghanistan, la Palestine et autres questions internationales intéressant les deux pays. Le plus haut diplomate de Téhéran a souligné à quel point la République islamique était déterminée à développer ses relations bilatérales avec le Qatar dans les domaines du commerce, de l’économie et de la culture.

Peu après la rencontre de Amir-Abdollahian avec le chef d’État du Qatar, Doha a accueilli des entretiens entre le médiateur de l’Union européenne, Enrique Mora, et le principal négociateur de Téhéran en matière nucléaire, Ali Bagheri Kani, et ce plusieurs jours après que le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, a déclaré qu’un nouvel accord nucléaire avec les puissances occidentales était envisageable.

Le lendemain, Amir-Abdollahian est arrivé à Oman et au Koweït pour les deuxième et troisième étapes de sa tournée. À Mascate, le chef de la diplomatie de Téhéran a rencontré son homologue omanais,

Sayyid Badr al-Busaidi. Leurs échanges ont porté sur les affaires bilatérales au cours d’une réunion que Amir-Abdollahian a qualifiée de « constructive ». Le ministre des Affaires étrangères du sultanat a déclaré : « Il existe un large consensus entre les visions des deux États sur une série de questions […] qui contribueront à la stabilité, à la sécurité et à la paix. » En témoigne le récent voyage du sultan Haïtham ben Tariq al-Said à Téhéran, qui confirme qu’Oman conserve son rôle de passerelle entre l’Iran et l’Occident, venant ainsi compléter les efforts diplomatiques déployés par le Qatar.

Au Koweït, Amir-Abdollahian a rencontré le Premier ministre koweïtien, le cheikh Ahmed Nawaf al-Ahmed al-Sabah. À l’issue de leur rencontre, le chef de la diplomatie iranienne a annoncé sur les réseaux sociaux que « résoudre les défis grâce à la participation conjointe des pays de la région est le meilleur moyen de faire progresser les nations et d’assurer la sécurité dans le golfe Persique. »

Le ministre iranien des Affaires étrangères a terminé sa tournée du GCC aux Émirats arabes unis. Amir-Abdollahian a rencontré le cheikh Abdullah ben Zayed al-Nahyan, qui a souligné « la pertinence de définir un cadre international permettant une action multilatérale reposant sur la coopération et le partenariat. » L’Iran et les Émirats arabes unis ont également signé un accord bilatéral de services de transport aérien.

Les deux parties, tant du côté iranien que du côté des pays arabes du Golfe, ont tout intérêt à renforcer le dialogue et à poursuivre la désescalade. Téhéran s’en tient à ses engagements en termes d’amélioration des relations avec les autres pays du voisinage, tandis que les États du GCC, pour leur part, « sont en train de fermer un chapitre tendu et tentent d’ouvrir une nouvelle page », a déclaré Bader al-Saif, professeur à l’université du Koweït, lors d’un entretien avec Responsible Statecraft.

« Le pendule continue d’osciller entre escalade et désescalade. Maintenant qu’il penche vers la désescalade, le diplomate en chef de Téhéran et ses homologues du Golfe ont tout intérêt à tirer les leçons du passé et à éviter de se réengager en utilisant des méthodes éprouvées qui ne donnent pas de résultats durables« , a expliqué le Dr al-Saif. « Une nouvelle approche est nécessaire. Les piliers devraient en être le multilatéralisme concerté, la diplomatie économique, des réformes éducatives, davantage d’échanges culturels, la non-ingérence et le respect mutuel de la souveraineté des deux parties. »

Les rapprochements avec les États du GCC permettent à l’Iran de relever les défis

Il est important de replacer ces visites dans le contexte du désir de Téhéran de réduire son isolement alors que les pays occidentaux continuent d’imposer des sanctions rigoureuses au pays. Le renforcement des liens avec l’Arabie saoudite et les États plus petits du GCC demeure essentiel à cet égard.

« La stratégie de Téhéran pour contourner les efforts occidentaux visant à isoler l’Iran repose dans une large mesure sur la recherche d’une intégration politique et économique avec ses voisins immédiats », a déclaré à Responsible Statecraft Trita Parsi, vice-présidente exécutive du Quincy Institute [Institut Quincy pour une gestion responsable de l’État, NdT].

« Amir-Abdollahian est l’homme de paille de la République islamique. Les véritables négociations sont menées par les représentants du Guide suprême » a déclaré Barbara Slavin, membre éminente du Stimson Center et chargée de cours en affaires internationales à l’université George Washington. « La tournée qu’il a effectuée est cependant une bonne opération de relations publiques et visait moins à à parvenir à des accords tangibles qu’à donner l’impression que l’Iran n’est plus isolé. »

Abdullah Baabood, universitaire omanais et professeur invité à l’université Waseda de Tokyo, a déclaré que l’Iran était déterminé à tirer parti de l’accord diplomatique du 10 mars avec l’Arabie saoudite pour « améliorer ses relations avec les autres États du Golfe » afin de contribuer à « développer la coopération, en particulier dans le domaine économique, pour lequel l’Iran a besoin d’un soutien important, surtout compte tenu de la situation de son économie. »

Téhéran cherche à « rassurer les États plus petits du Golfe quant à ses politiques futures dans la région » a ajouté Baabood. Il estime que la récente tournée d’Amir-Abdollahian dans le GCC était « une tentative de l’Iran de construire davantage de ponts avec les États du Golfe pour assurer la stabilité dans la région et renforcer la coopération dans différents domaines, y compris le secteur le plus important à savoir l’économie. »

Incidences de l’accord de normalisation entre l’Iran et l’Arabie saoudite

Les dynamiques qui façonnent les relations entre le GCC et l’Iran ont changé à la lumière de l’accord diplomatique du 10 mars entre Riyad et Téhéran. Le rôle de Pékin dans la négociation de cet accord est important du point de vue des décideurs politiques du Golfe. Les États du CCG ont compris que la Chine joue un rôle diplomatique plus affirmé dans la région en comblant les vides créés par l’échec de la politique étrangère de Washington à apporter plus de stabilité au Moyen-Orient, et ils considèrent l’influence croissante de Pékin comme potentiellement positive du point de vue de la construction de la paix dans la région.

« Riyad et ses partenaires du CCG reconnaissent le rôle de la Chine dans la médiation du rapprochement en cours, même s’ils sont prudents et ne veulent pas susciter d’espoirs excessifs, » a déclaré à Responsible Statecraft Joseph A. Kéchichian, chercheur au King Faisal Center for Research and Islamic Studies à Riyad. « Certaines conditions ont été posées à diverses étapes, garanties semble-t-il par Pékin, ce qui signifie en fait que toutes les parties avanceront lentement. Le temps déterminera les progrès accomplis. »

Même avant le début de cette nouvelle période de détente saoudo-iranienne, Oman, le Qatar et le Koweït entretenaient des relations très pragmatiques avec l’Iran et des relations chaleureuses avec Téhéran. Cependant, ces membres « colombes » du GCC étaient, à divers titres et à divers degrés, attentifs au sentiment d’insécurité de l’Arabie saoudite vis-à-vis de Téhéran. Un facteur qui a limité leurs liens avec l’Iran. Maintenant que les relations saoudo-iraniennes se réchauffent, les États plus petits du GCC peuvent à leur tour renforcer leurs liens avec Téhéran en se préoccupant beaucoup moins des questions relatives à Riyad.

« Ce nouvel accord entre l’Iran et l’Arabie saoudite ouvre la voie aux États [plus petits] du Golfe pour qu’ils aillent plus loin dans leur coopération avec l’Iran » a déclaré Baabood. « Cela rend les choses plus faciles, parce que personne ne leur reprochera d’approfondir leurs relations avec l’Iran. D’une certaine manière, il est donc bénéfique pour les États plus petits du Golfe d’aller de l’avant, et ils constatent que l’Arabie saoudite y consent. »

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