Au même moment où l’UE entame le rapatriement des migrants sénégalais, elle continue d’exploiter les ressources halieutiques du pays dont la rareté est en partie la cause du désespoir des milliers de jeunes sénégalais. Le constat est de Greenpeace Afrique. Il met en lumière un paradoxe tenace.
« On dénombre près de 500 morts et des milliers de rescapés en haute mer parmi les jeunes sénégalais qui, au péril de leur vie, tentent de rejoindre l’Europe ces derniers mois. Une tragédie humaine qui a mobilisé l’attention des médias du monde. Alors que le secteur de la pêche traverse une crise sans précédent, les autorités du Sénégal viennent de renouveler leur accord de pêche avec l’Union Européenne (UE). »
Le nouvel accord de pêche entre l’ UE et le Sénégal permettra à 45 navires européens de pêcher au moins 10 000 tonnes de thon et 1 750 tonnes de merlu noir par an pour une contrepartie financière de 15 millions d’euros (10 milliards FCFA) sur cinq ans. Dans le même temps, l’instance européenne empêche l’entrée sur son territoire de jeunes migrants fuyant la misère économique conséquence en partie de ces contrats léonins.
« Greenpeace Afrique demande aux autorités de l’UE et du Sénégal de se pencher sur les vraies causes de ce phénomène afin d’y apporter une solution définitive plutôt que de laisser empirer la situation en signant cet accord » souligne un communiqué de Greenpeace.
Impuissants devant cette situation, des milliers d’acteurs de la pêche accompagnés par la société civile ont voulu manifester vendredi dernier leur désaccord face à ces contrats. L’interdiction de la manifestation par le préfet de Dakar pour cause de Covid-19 a occasionné des troubles. Des membres du mouvement Noo Lank ont arrêtés et conduits au commissariat de Dakar Plateau.
Sur le plan technique (quantité de poissons prélevée par les bateaux de l’UE) qu’au plan financier, l’évaluation de cet accord, n’a jamais été partagée avec les organisations professionnelles rappelle Greenpeace. Ce qui est, poursuit l’ONG, « contraire aux dispositions réglementaires et autres engagements des Etats qui font de l’implication des acteurs dans les processus décisionnels un élément important de bonne gouvernance des ressources. »
Pourtant les Objectifs de Développement Durable, le Code de la Pêche et la Constitution du Sénégal sont, entre autres, clairs sur la nécessité d’intégrer les acteurs de la pêche dans la prise de décision. Mais la réalité est tout autre.
Greenpeace Afrique demande à cet effet, à l’Etat du Sénégal et à l’Union Européenne de faire une évaluation « exhaustive » et « transparente « de l’accord précédent, de procéder à une « mise à jour des données scientifiques » sur les stocks de poissons et « de partager ces informations » avec les acteurs de la pêche pour une prise de décision conformément aux engagements pris.
Par ailleurs, explique Greenpeace, le principe directeur de la signature d’un accord de pêche devrait être basé au moins sur deux points que sont l’état des ressources halieutiques concernées par l’accord et la capacité de la flotte nationale à exploiter ces ressources. Un accord de pêche doit être signé sur la base du surplus de production qui correspond au potentiel halieutique d’un stock que la flottille nationale n’est pas en mesure de pêcher.
« Un accord de pêche ne peut pas être qualifié de durable en l’absence de surplus de production. L’UE devrait s’assurer que le gouvernement du Sénégal a bien effectué l’évaluation des stocks concernés par cet accord de pêche et qu’il y a effectivement un surplus de production dont la flotte sénégalaise n’est pas en mesure d’exploiter. Et au-delà de ces aspects techniques, la dimension économique et sociale devrait être prise en compte d’autant plus que le secteur de la pêche traverse une crise sans précédent. C’est seulement dans ces conditions que la transparence et la protection des ressources clamées par les autorités de l’UE et du Sénégal seraient une réalité » martèle Greenpeace.
Enfin, l’ ONG invite tout simplement l’Etat du Sénégal à geler cet accord de pêche. Elle demande aussi « une évaluation transparente de l’accord précédent » et un partage des informations avec les acteurs. Il s’agit également pour Greenpeace d’inciter le gouvernement à tenir compte de la situation des stocks, de la surcapacité de la flotte nationale et du désespoir des pêcheurs avant de prendre une décision.
« La logique de marché qui motive l’Union Européenne et les mauvaises décisions des autorités sénégalaises seront lourdes de conséquences non seulement pour les Sénégalais mais aussi pour les Européens, car leurs destins sont étroitement liés » prévient Greenpeace.
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