Charles Littlejohn, un ancien contractuel de l’Internal Revenue Service, (IRS) a divulgué les déclarations d’impôts des riches pour montrer au public comment les richissimes se jouent de notre code fiscal. Aujourd’hui, il risque une peine de prison. Ils ont arrêté le mauvais criminel. Source: Jacobin, Guthrie Scrimgeour
En juin 2021, le média d’investigation ProPublica a commencé à publier « The Secret IRS Files », une série d’articles analysant une fuite de documents fiscaux des Américains les plus riches.
La série était choquante. Pendant plus d’un an, elle a dévoilé en détail les méthodes utilisées par les super-riches – avec leurs armées de comptables, d’avocats et de politiciens bienveillants – pour manipuler le code des impôts à leur avantage. Dans de nombreux cas, les documents révèlent que les milliardaires paient un taux d’imposition effectif inférieur à celui de leurs employés de la classe ouvrière, voire qu’ils ne paient pas d’impôts du tout.
Dans une démocratie qui fonctionne, ces révélations auraient entraîné des changements significatifs dans le code des impôts, et la personne responsable des fuites aurait été saluée comme un héros pour avoir alerté le public sur un dysfonctionnement massif du gouvernement. Au lieu de cela, le ministère de la Justice du président Joe Biden, harcelé par les Républicains du Congrès, a choisi de poursuivre le lanceur d’alerte.
Après son inculpation le mois dernier, l’ancien contractuel de l’IRS Charles Littlejohn a plaidé coupable devant un tribunal fédéral ce jeudi pour avoir divulgué des informations fiscales à deux organes de presse sans autorisation. Bien que les organes de presse ne soient pas nommés, l’acte d’accusation semble tenir Littlejohn pour responsable de la fuite de ProPublica et d’une autre fuite de déclarations fiscales de l’ancien président Donald Trump au New York Times en 2020. Les documents judiciaires montrent qu’il risque entre huit et quatorze mois de prison, mais que sa peine pourrait aller jusqu’à cinq ans.
La décision de poursuivre l’auteur de la fuite, alors que la passoire qu’est notre code des impôts n’est toujours pas réglée, est honteuse, car elle met à nu la manière dont notre gouvernement continue à donner la priorité aux besoins des riches plutôt qu’à ceux du grand public.
Une guerre aux lanceurs d’alerte
Les poursuites engagées contre Littlejohn sont honteuses, mais elles ne sont pas surprenantes. Au cours des deux dernières décennies, le gouvernement américain a mené une guerre bipartite contre les lanceurs d’alerte.
Dans le cas des fuites relatives à la sécurité nationale, il est devenu courant de poursuivre les lanceurs d’alertes en vertu de l’Espionage Act, une loi datant de la Première Guerre mondiale et destinée à cibler les espions qui fournissent des renseignements à des gouvernements étrangers. Daniel Ellsberg et Anthony Russo, dont la divulgation des Pentagon Papers a donné un aperçu essentiel des décennies d’échec politique au Viêtnam, ont été les premiers lanceurs d’alertes poursuivis en vertu de cette loi et ils risquaient une peine de 115 ans de prison.
Au cours des deux dernières décennies, le gouvernement américain a mené une guerre bipartite contre les lanceurs d’alertes.
Les poursuites contre les auteurs de fuites se sont multipliées sous le ministère de la Justice de l’ancien président Barack Obama, qui, bien qu’il ait promis à son entrée en fonction d’être l’administration « la plus transparente » de l’histoire, a eu recours à la loi sur l’espionnage contre les lanceurs d’alertes plus souvent que tous ses prédécesseurs réunis. Trump, qui n’a jamais été favorable à la liberté de la presse, a poursuivi les lanceurs d’alertes Reality Winner, Terry Albury, Daniel Hale et le journaliste Julian Assange. (Ironiquement, Trump est lui-même poursuivi en vertu de la loi sur l’espionnage pour sa mauvaise manipulation de documents classifiés.)
Lors de l’audience de plaidoirie de Littlejohn jeudi, la juge Ana Reyes du tribunal de district des États-Unis a réprimandé les actions de l’accusé : « Si quelqu’un vous dit que c’est acceptable parce que la fin justifie les moyens et qu’il pense que la fin est appropriée, il se trompe » a-t-elle déclaré au tribunal.
Bien que Littlejohn ne soit pas poursuivi en vertu de la loi sur l’espionnage, la déclaration de Reyes fait écho à la logique utilisée dans les affaires relevant de cette loi. Lors du procès d’Ellsberg, il lui a été interdit d’invoquer comme défense le fait qu’il avait divulgué les Pentagon Papers dans l’intérêt du public. Aux yeux du tribunal, cet argument n’était pas pertinent : la fin ne justifiait pas les moyens.
C’est ce même raisonnement qui oblige aujourd’hui les lanceurs d’alerte à conclure des accords dans les affaires relevant de la loi sur l’espionnage au lieu de plaider leur cause lors d’un procès. Chelsea Manning, dont les fuites ont révélé la sombre réalité de la violence américaine contre les civils pendant les guerres d’Irak et d’Afghanistan, a été contrainte de plaider coupable pour des accusations relevant de la loi sur l’espionnage. Elle a finalement passé plus de sept ans en prison sans avoir eu la possibilité de se défendre. Edward Snowden, dont les fuites ont montré au public américain que son gouvernement menait un programme de surveillance insidieux et illégal, est toujours exilé en Russie. Il a déclaré que s’il était en mesure de prouver que ses fuites étaient dans l’intérêt du public, il retournerait aux États-Unis pour y être jugé. Mais, aux yeux de la loi, la fin ne justifie pas les moyens.
Avant sa mort en juin dernier, Ellsberg a continué à plaider pour que les lanceurs d’alertes soient autorisés à se défendre en faisant valoir qu’ils avaient agi dans l’intérêt public. « Nous avons besoin de plus de lanceurs d’alertes, pas de moins » disait-il.
Bien sûr, il arrive que la fin justifie les moyens. Les actions de lanceurs d’alertes comme Ellsberg, Snowden, Manning et Littlejohn ont permis au public américain d’être mieux informé et de mieux participer au processus démocratique. Nombre de ces divulgations ont conduit à des changements politiques positifs. Et de nombreuses politiques désastreuses auraient pu être évitées si davantage de personnes s’étaient senties à l’aise pour dénoncer sans craindre des peines de prison draconiennes.
Impôts privés, conséquences publiques
Nous ne savons rien des motivations de Charles Littlejohn. Il n’a pas fait de déclaration publique depuis son inculpation, et son avocate Lisa Manning a refusé de commenter cet article. Compte tenu de la façon dont les médias de l’establishment se sont acharnés sur Snowden, Manning, Assange et même Ellsberg à la suite de leurs fuites, il est logique qu’il veuille garder un profil bas. Quelles que soient ses intentions, il est indéniable que les informations étaient dans l’intérêt du public.
Les dossiers secrets de l’IRS contiennent de nombreuses révélations stupéfiantes et révoltantes, notamment que les propriétaires de chevaux du Kentucky Derby ont réussi à déduire 600 millions de dollars d’impôts sur leurs courses, que la milliardaire responsable de la plus importante marée noire de l’histoire a utilisé ses efforts de nettoyage pour réduire sa facture fiscale à zéro, et qu’un employé du stade des Clippers de Los Angeles gagnant 45 000 dollars par an a payé des impôts à un taux effectif plus élevé que le propriétaire de l’équipe, Steve Ballmer, pour n’en citer que quelques-uns.
Plus important encore, la série a révélé la manière dont l’argent opère dans notre système politique. Bien sûr, ce n’est un secret pour personne que l’argent peut acheter des politiciens et des politiques favorables, mais la fuite a dévoilé comment les dépenses politiques peuvent se traduire par des avantages financiers directs pour les super riches. Elle a révélé comment les milliardaires peuvent essentiellement utiliser notre démocratie comme un véhicule d’investissement, qui peut s’avérer très lucratif.
Prenons l’exemple de la campagne du milliardaire Ken Griffin contre une proposition de vote pour 2022 qui aurait augmenté les impôts de 3 % pour les résidents les plus riches de l’Illinois. Griffin – oui, celui qui est représenté par Nick Offerman dans Dumb Money et qui pourrait avoir été de connivence avec la plateforme Robinhood pour arnaquer les investisseurs de Reddit Gamestop – a investi 54 millions de dollars dans des publicités mensongères contre la proposition. Ces efforts ont été couronnés de succès et la mesure a été rejetée dans les urnes. Les documents divulgués montrent que Griffin a pu économiser jusqu’à 80 millions de dollars en une seule année grâce à la suppression de la taxe, ce qui signifie qu’il a presque immédiatement récupéré son investissement avec les intérêts. (Griffin est aujourd’hui devenu une force de pression pour une réponse sévère à la diffusion des documents, en intentant une action en justice contre l’IRS pour cet incident.) La Suite ICI.
Laisser un commentaire