Les États-Unis sont à la traîne alors que le Moyen-Orient entre dans une nouvelle ère géopolitique

Les États-Unis à la traîne alors que le Moyen-Orient entre dans une nouvelle ère géopolitique. Au moment où l’ordre dans la région devient de plus en plus multi-polaire, Washington devrait encourager une plus grande coopération et un développement économique.

Lors de la reprise des missions diplomatiques entre l’Iran et l’Arabie Saoudite après une interruption de sept ans, marquant leur rapprochement officiel et le changement dans les dynamiques géopolitiques du Golfe Persique, le secrétaire d’Etat américain Anthony Blinken est arrivé à Riyad la semaine dernière avec un agenda périmé.

L’incapacité de Washington de s’adapter aux nouvelles réalités régionales l’a laissé isolé, alors que ses mesures politiques ne trouvent plus d’écho auprès ses partenaires dans la région. Alors que les Etats-Unis continuent à être « profondément investis » dans la région pour le futur proche, ses orientations deviennent le principal obstacle aux engagements politiques tout comme au développement économique et à l’intégration du Moyen-Orient de manière plus large.

La région du Golf Persique a fait l’expérience d’une période de hautes tensions militaires en 2019. L’Arabie Saoudite a fait face à des attaques directes de drones et de missiles sur ses infrastructures pétrolières, tandis que les Emirats Arabes Unis ont rencontré des menaces similaires au niveau de ses ports. Ses incidents ont souligné les dangers de tensions prolongées avec l’Iran et exposé la réticence des Etats-Unis à employer des moyens militaires en réponse à de telles provocations. En effet, l’administration Trump n’a pas seulement contribué à la crise mais a aussi clairement signifiée qu’elle ne souhaitait pas la résoudre.

Peu avant l’investiture de Joe Biden en janvier 2021, les membres des Etats du Conseil de la Coopération du Golf ont convenu d’un sommet à Al Ula, en Arabie Saoudite, pour mettre un terme à un embargo de près de trois ans du Qatar. Au moment où le sommet a eu lieu, l’Arabie Saoudite et les EAU avaient déjà initié des discussions avec l’Iran pour faire désescalader la situation. Aujourd’hui, à l’exception du Bahreïn, les cinq autres membres du CCG ont réglé leurs différends entre eux et Téhéran. Même les pays traditionnellement hostiles à l’Iran, comme l’Egypte et la Jordanie, explorent des possibilités de rapprochement pour aligner leur politique avec les développements géopolitiques en cours à travers le Moyen-Orient.

Auparavant, l’Arabie Saoudite, avec les EAU et le Bahreïn, avait fermement défendu le retrait de l’administration Trump du Plan compréhensif d’action commun (JCPA) et la campagne de mise sous pression maximale de l’Iran. Aujourd’hui, non seulement ces pays défendent désormais le rétablissement du même accord auquel ils s’étaient opposés de manière si véhémente, mais ils s’engagent également avec l’Iran à des niveaux sans précédents. Le changement semble venir de leur reconnaissance apparente qu’un conflit perpétuel avec Téhéran crée une menace pour leurs plans de développement socio-économique à court et long-terme.

Alors que les Etats arabes sont passés d’une politique de tensions et de conflits à une politique de dialogue et de coopération, Washington semble déterminé à perpétuer le conflit dans le Golf Persique. Depuis 2017, les Etats-Unis ont fait différentes tentatives pour créer une coalition anti-Iran. Des initiatives comme l’Alliance Stratégique du Moyen-Orient (ASMO), dont le but était d’établir une organisation de type OTAN comprenant les Etats Arabes, Washington et Tel Aviv, sont des exemples de leurs efforts. Le sommet de Varsovie en 2019 poursuivait des objectifs similaires.

Avec le support et l’engagement de l’administration de Biden, Israël a convenu d’un sommet à Negev, ramenant ensemble les ministres des Affaires étrangères des EAU, du Bahreïn, de l’Egypte et du Maroc. Le ministre israélien des Affaires étrangères de l’époque, Yair Lapid, a statué que le sommet avait pour but de construire une nouvelle structure de sécurité principalement concentrée sur l’intimidation et la dissuasion de « nos ennemis communs, en premier lieu et principalement l’Iran et ses proches. »

Cependant, les participants arabes de ces réunions avaient une perspective différente. Notamment, les EAU ont formulé la normalisation de leurs relations avec Israël principalement dans des termes économiques et se sont retenus de soutenir publiquement toute initiative sécuritaire ou militaire visant l’Iran.

L’an dernier, alors que Biden voyageait à Jeddah, une proposition pour une nouvelle relation Etats-Unis-Arabie Saoudite sous le signe d’une « unicité stratégique » a été mise en avant, de même que l’établissement d’un partenariat de défense commune aérienne et par missiles entre les pays arabes, les Etats-Unis et Israël, nommé « l’Alliance de Défense Aérienne du Moyen-Orient » dont le but est de contrer et d’isoler l’Iran. Cependant, ces propositions ont stagné, et même les initiatives maritimes activement menées par les Etats-Unis dans le Golf Persique sont aujourd’hui à l’arrêt.

Le facteur israélien a lourdement pesé sur les perspectives de rapprochement entre les pays arabes et l’Iran. L’engagement diplomatique des EAU avec l’Iran a eu lieu à l’encontre de la toile de fond des accords d’Abraham. Alors que cela avait le potentiel de tendre les relations entre Téhéran et Abu Dhabi, l’établissement de lien entre les EAU et l’Israël n’a pas gêné les relations diplomatiques entre Téhéran et Abu Dhabi. Bien que les officiels iraniens aient critiqué les Emiratis pour leurs interactions avec Tel Aviv, les développement bilatéraux des relations Iran-Emirats ont fait la démonstration de comment des divergences idéologiques sont dissociées dans les calculs géostratégiques.

En 2017, j’ai défendu le fait que les pays arabes du Golf Persique devraient choisir entre les chemins proposés par l’Iran et par Israël. A ce moment-là, l’Iran défendait une diplomatie religieuse, menant à la Effort de Paix d’Ormuz, tandis que l’Arabie Saoudite cherchait une alliance arabo-israélienne pour isoler et contrer l’Iran. Aujourd’hui les développements diplomatiques imprévus dans la région suggèrent que les pays arabes dessinent eux-même un chemin pour le futur, sur lequel l’Iran et Israël doivent apprendre à coexister avec leurs voisins arabes et entre-eux.

Cette détente va indéniablement mener à une expansion de la rivalité et de la compétition entre l’Iran et l’Arabie Saoudite, non seulement dans le Moyen-Orient mais aussi dans le contexte plus étendu de l’Eurasie. Riyad ne veut pas que la Chine et la Russie, deux puissances mondiales, soient uniquement alignées avec Téhéran. De même, l’Iran n’est pas d’accord avec le fait d’être le deuxième favori de Pékin et Moscou.

La tendance grandissante de l’Iran, l’Arabie Saoudite et les autres pays membres du CCG de rejoindre des blocs économiques et de sécurité non-occidentaux entre aussi en conflit dans ce contexte. L’organisation de Coopération de Shanghai, le groupe des BRICS et d’autres groupements similaires servent aujourd’hui d’entités délibératives économiquement orientées qui ne sont pas structurées pour fonctionner contre un pays ou un groupe de pays en particulier. Il est clair qu’aucun pays dans la région, à l’exception de l’Iran, n’est prêt à participer à une alliance régionale qui aliénerait une autre puissance mondiale. Ces changements signalent un nouvel ordre multi-polaire où les acteurs régionaux mettent la priorité sur leur propre développement économique pour assurer leur survie et leur prospérité dans l’ère post-pétrole.

L’absence des Etats-Unis dans ces derniers développement régionaux a laissé des opportunités pour d’autres acteurs mondiaux d’affirmer leur influence et de favoriser une coopération multilatérale. Tandis que les Etats-Unis restent en dehors du paysage géopolitique changeant du Golf Persique, la Chine et l’Union européenne ont saisi leur chance d’augmenter leur engagement régional. Les efforts de la Chine ont mené à la signature d’une détente irano-saoudienne, et le pays prévoit d’organiser un sommet régional à Pékin plus tard dans l’année pour avancer plus loin dans cette approche multilatérale.

En même temps, l’Union européenne a publié un communiqué commun sur « Le Partenariat stratégique avec le Golf » en mai 2022, et en avril 2023, Luigi Di Maio était nommé au poste nouvellement crée de Conseiller spécial européen pour le Golf. L’UE a joué un rôle pivot en supportant la Conférence de Bagdad pour la Coopération et le Partenariat, qui a réuni les pays de la région en août 2021 et puis en décembre.

Le sommet Iran-CCG-Chine à venir à Pékin et la troisième réunion de la conférence de Bagdad plus tard cette année vont prodiguer des couloirs multilatéraux pour le dialogue et la coopération. En particulier, les Etats-Unis seront absents des deux évènements, ce qui souligne encore plus leur isolement et la baisse de leur influence dans la région. La Suite ICI.

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