La politique, aujourd’hui, serait un théâtre burlesque où des politiciens et leurs petites mains promptes au mensonge rient entre eux de leurs pantalonnades devant un public candide. D’un scandale à l’autre, les citoyens n’en finissent pas de se découvrir bernés par ceux en qui ils ont eu confiance. Le mensonge en politique, au contraire de la croissance en économie, ne connaîtrait ainsi pas de récession.
On n’entre pas en politique avec de grandes vérités sans devoir lui faire des concessions. Rien n’ébranle plus une communauté que l’irruption de porteurs de vérités absolues.
La politique au Sénégal est du spectacle vivant et la justice tout comme les médias, un art consommé de la mise en scène.
La question de savoir si les controverses et les scandales dans la vie politique contemporaine suscitent des mécanismes semblables à l’écriture théâtrale est de mise. De quoi s’interroger sur le rôle du juge ou du journaliste aujourd’hui dans le domaine politique et s’ils peuvent être considérés comme des arbitres finaux dans les querelles dramaturgiques actuelles. Tout débat, dans la mesure même où il ne porte plus sur des vérités et en particulier sur des vérités de fait, porte donc sur des entités verbales ou visuelles qui ne relèvent d’aucune forme de vérité, mais d’une forme tout à fait singulière de « fictionnalité ».
On ne peut s’empêcher de réfléchir à cette faculté que l’être humain a de mentir, manipuler, détourner, feinter, imaginer… Autrement dit, créer ! Ainsi, le mensonge ne serait que la face cachée, mais incontournable, de l’art de créer sa vie en transformant une réalité par une autre. Paumés dans un monde de vérité, nos hommes publics deviennent intelligents dans un monde de mensonge.
Affabuler leur permet de servir le chef mais aussi de se réinventer, de se donner une chance d’exister. Ils deviennent surtout acteurs de leur vie.
Après « A vrai dire », dur de voir le mensonge d’un œil accusateur et intransigeant
L’académie des menteurs de la République a trouvé droit de cité sur nos plateaux de télévision et c’est sur ces mêmes tribunes qu’on a procédé à l’élection de son roi, qui sera celui du millénaire. Le mensonge « cysmenté » érigé en vertu. Pas de fumée blanche à guetter, ou de bulletins à déposer dans une improbable urne. C’est un roi du verbe et du mot qui est porté en triomphe. Mais un roi particulier. Le roi des menteurs.
Par le mensonge, l’homme politique tient un pari, qui tourne à la réussite ou à la catastrophe. La roulette russe est son dada. Notre époque a plus que jamais à craindre du mensonge politique, pour paraphraser Arendt, pour la raison que les médias de masse et la propagande gouvernementale et privée ont atteint une capacité de manipulation des faits sans précédent.
Jadis, les États pratiquaient le mensonge dans un cadre limité ; dans les chancelleries du monde, diplomates et émissaires habillaient les secrets d’État d’habiles tromperies. Au moins ces menteurs professionnels ne perdaient pas de vue la vérité qu’il fallait cacher à l’ennemi.
L’intelligence, finalement, a changé de camp. Et laisse entrevoir qu’elle ne serait qu’une abstraction rendue réalité par un mécanisme de réflexion formatée, qu’un grain de sable, une étincelle – appelons-là comme on veut – rend malléable et transformable. Cette lente transfiguration des personnages est discernable par la justesse de l’interprétation et l’énergie communicative qui font résonner les rires. La magie du théâtre s’opère, rendant vrai l’invraisemblable, faisant de ces mensonges orientés un challenge déferlant… vers le Qatar.
Et ça, ce n’est pas un mensonge
Arendt attache une telle importance au travail des journalistes qu’elle estime que si la presse devenait jamais réellement un quatrième pouvoir, « elle devrait être protégée contre le pouvoir du gouvernement et la pression sociale encore plus soigneusement que ne l’est le pouvoir judiciaire ».
Les dirigeants ont besoin des médias pour propager leurs mensonges édifiants ; nous devons compter sur une presse vraiment indépendante pour rétablir la vérité des faits occultés par les images gouvernementales ou d’entreprise. La concentration actuelle de la presse est un problème dont on n’a pas encore saisi toutes les graves conséquences pour la démocratie.
Bref, c’est comme si l’homme démocratique, qui voue un culte à la transparence, avait abandonné tout idéal contraignant, toute référence extérieure à lui, pour se replier sur un monde familier, peuplé de représentations qui collent au plus près sa réalité immédiate. Ce resserrement des horizons augure du « temps de l’homme fini » qui préfère enchanter son monde par de beaux mensonges riches de nouvelles significations.
Étrange époque où le mensonge a gagné en puissance là où il ne faudrait pas et a perdu en envoûtement là où il nous faudrait être trompés. L’art se moque de nous et nous rassure, il nous fait voir le monde comme les artistes voudraient qu’il fût.
C’est la raison fondamentale pour laquelle le mensonge politique est de plus en plus une arme de déception massive au service de la minorité gouvernante. En toute chose la vigilance s’impose donc !
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