Le business ne se mange pas monsieur Sall

Élu en 2012 Macky Sall incarnait d’abord l’espoir du changement. Avant son 2ème mandat, son bilan de bâtisseur était particulièrement relevé. À son actif, « un aéroport international, un Musée des Civilisations Noires, deux stades, un pont transnational et des centrales solaires ». (Le monde, février 2019). Même si il faut le préciser, l’Aéroport International Blaise Diagne (AIBD) est un projet d’Abdoulaye Wade et ses travaux largement entamés avant l’arrivée de Sall. On peut en dire autant pour le Musée des Civilisations. Bon l’Etat c’est la continuité et Macky Sall a finalisé ces deux projets wadiens et a quand même jeté les bases de la nouvelle ville de Diamniadio. Sous Sall, la croissance est au rendez-vous mais ne profite pas au citoyen sénégalais. Cette croissance visuellement apparente traîne des casseroles. D’abord, à en croire l’ampleur du désaveu d’aujourd’hui, une évaluation de priorités qui prétérite les partenariats d’affaire – appelé communément « business »- au détriment du développement humain.

Le Sénégal classé dans le triste secteur « faible » de l’échelle mondiale de l’Index du Développement Humain (IDH), derrière la Côte d’Ivoire et le Lesotho, et juste avant le Togo et le Soudan, est passé depuis 2012 du 165ème rang au 168ème.

Une pauvreté devenue encore plus rampante qu’avant, un chômage estimé à plus 15%, et un népotisme tout azimut qui laisse sur le carreau des diplômés sans emploi, en faveur de non-diplomés pistonnés.

Dans le contexte d’un développement rural en perdition, les politiques agricoles du gouvernement privilégient le « business » autour d’investissements de multinationales en tout genre et qui bénéficient d’avantages économiques divers, au détriment de la protection des intérêts des agriculteurs. Les exploitations agricoles familiales restent dans une extrême pauvreté évaluée autour de 55% en 2019. En même temps, les obstacles à une agriculture plus prospère pour le paysan et pour le patrimoine agricole du pays sont contournés.

L’appauvrissement des eaux jadis poissonneuses pour les pêcheurs sénégalais, est devenu au fil des dernières décennies un drame économique local, en raison de la pêche industrielle pratiquée au large du Sénégal. Accords internationaux et autres arrangements censés propulser le Sénégal au paradis de la croissance et du progrès, continuent à être imposés à des populations qui ne bénéficient d’aucune de leurs retombées économiques. En octobre 2020, Greenpeace dénonçait dans un rapport « l’attribution non transparente de licences de pêche à des navires industriels étrangers », à l’instar de navires chinois de pêche illicite, qui surexploitent les ressources halieutiques au large des côtes sénégalaises. Les pêcheurs paient manifestement les frais d’un « business » halieutique dont ils sont exclus.

Aujourd’hui Macky Sall est mis plus que jamais sous pression. Ses décisions inconsidérées en termes de développement social depuis 2012 (dans la continuité des années précédentes), se retrouvent face à une remise en question qu’il se doit d’assumer en tant que chef de l’Etat.

Les chiffres 2019 de la pauvreté au Sénégal, soit 46.7% de la population totale, dont 57.3% dans les zones rurales, se heurtent aujourd’hui à une jeunesse très en colère. Celle-ci en effet, ne semble plus vouloir accepter un « modèle de démocratie » qui ne lui ne lui donne pas ce qu’elle mérite et dans lequel les dérives autoritaires du chef d’Etat sont devenues une véritable provocation.

Clairement les importants intérêts économiques dont Macky Sall est le garant politique constituent une pression qui rend fou. Se pourrait-il que la folie en question, se répercutant sur les moyens déployés pour se maintenir dans cette position de garant à tout prix, soit motivée par le besoin impérieux de pérenniser les avantages, tant personnels que des partenaires, transparents ou non?

Un peuple n’est jamais dupe.

Au Sénégal comme ailleurs, la vraie question est la  rupture vs la non-rupture cultivée par un système prédateur qui ne remplit pas ses obligations envers le peuple électeur. Dès lors, la seule issue possible et durable se situe dans l’engagement authentique et mentalement incorruptible de la jeunesse sénégalaise, d’ores et déjà légendaire. Car c’est de là que sortiront les prochains leaders.

À interpeller tôt ou tard, le « modèle démocratique » au Sénégal, il démontre publiquement plus que jamais ses limites aujourd’hui. Les questions autour de la force des institutions versus la force de l’individu progressent également dans l’actualité.

En tant que processus permanent, l’histoire se doit d’être interrogée. C’est ainsi que l’on pourra se demander dans quelles conditions et pour le bénéfice de quel projet de société ce modèle – de liberté – politique a-t-il été pensé et modulé au fil du temps. À méditer également dans quelle mesure l’évolution du monde a-t-elle légitimé son retranchement dans un imaginaire d’apparence et d’obscurantisme.

Au vent de l’avenir et de la réflexion tant scientifique que philosophique de nous inspirer des réponses. Et à nous tous ensuite de nous en servir.

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D’origine britannique, Rebecca Tickle est d’abord une passionnée de l’histoire et du destin de l’Afrique. Elle baigne dans l’esprit du continent dès sa petite enfance à travers son père journaliste, qui sillonne l'Afrique dans le contexte de la Guerre froide. A l'issue d'une carrière d'infirmière diplômée bien remplie et l’achèvement d’une licence en sciences sociale et politiques, Rebecca Tickle travaille dans le domaine de la résolution de conflit et de la gestion de projet de médiation humanitaire. Elle s’engage ensuite comme chargée de communication puis comme secrétaire générale dès 2009 à la Fondation Moumié basée à Genève, structure œuvrant pour la réhabilitation de la mémoire coloniale tardive et postcoloniale de la résistance nationaliste au Cameroun et au-delà. Elle s'intéresse particulièrement aux maux qui rongent l'Afrique centrale et alimente sa réflexion à travers les dénominateurs communs caractérisant le continent. Portant une attention particulière aux rapports de pouvoir et d'influence depuis les indépendances, à travers entre autre la société civile et les médias, Rebecca Tickle se plonge dès qu’elle en a l’occasion dans cet univers qui lui tient tant à coeur, à travers la littérature, le cinéma africain et la condition humaine sur le continent. Une curiosité insatiable et une veille assidue des actualités depuis près de trois décennies, complétées par un Master en études africaines terminé en 2024 à l’Université de Genève, lui permettent de faire des analyses fortes et de participer sous diverses formes aux débats autour des questions brûlantes qui animent l'Afrique. Rebecca Tickle collabore avec la rédaction de Kirinapost depuis son lancement en 2016.

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