La mort sans importance d’un enfant palestinien

Comment un simple accident de bus se termine en catastrophe pour la famille Salama et la mort du fils, brûlé vif ? Journaliste américain, Nathan Thrall raconte le drame et ses conséquences pour les parents et les habitants de leur village, mêlant l’histoire singulière de ce jeune garçon, et la grande histoire du peuple palestinien. Un récit époustouflant de l’apartheid au quotidien. Passé sous silence par les médias français. Source: OrientXXI

La mort sans importance d’un enfant palestinien, Information Afrique Kirinapost

Ramallah, 22 mars 2012. Mémorial pour les six enfants et leur professeure tués dans un accident de bus, le 16 février 2012. Sur la photo, Zayd Ghassan Hassan Jawabreh, une des victimes.

Auteur d’Une journée dans la vie d’Abed Salama, l’Américain Nathan Thrall a obtenu, le 13 mai 2024, le Prix Pulitzer — le plus prestigieux prix des États-Unis pour l’écriture, divisé entre littérature et journalisme. Dans le premier cas, il couronne la fiction, le récit historique, la poésie, etc. ; dans le second, l’investigation, l’analyse, l’éditorial, etc. Thrall l’a emporté dans la catégorie littéraire dite de la « non-fiction ». Son livre est d’une puissante humanité, volontairement écrit avec des mots simples, des phrases sans artifices, où perce une volonté de partager des émotions et de comprendre les faits qui les génèrent.

Étonnamment, aucun journal français n’a publié d’articles sur cet ouvrage, pourtant paru il y a plusieurs mois chez Gallimard, une maison d’édition dont on peut imaginer qu’elle dispose de quelques entrées dans la sphère des médias. Serait-ce parce que ce livre a pour thème l’occupation à laquelle sont soumis les Palestiniens depuis trois quarts de siècle ? Un thème jugé hier « dépassé », « usé », et depuis le 7 octobre 2023, sommé de s’effacer derrière les crimes commis par le Hamas ? Est-ce le cas de la traduction française de l’ouvrage de Thrall sorti moins de trois mois après ? Toujours est-il que ce livre remarquable — et remarqué aux États-Unis — est passé quasiment inaperçu en France.

Il décrit le drame vécu par la famille d’Abed Salama, qui fut un militant marxisant du Front démocratique de libération de la Palestine (FDLP), une des composantes de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Le 16 février 2012, son fils de cinq ans, Milad, part en excursion avec sa classe. La famille habite Anata, un village-quartier de Jérusalem, divisé en deux par le « mur de protection » érigé par Israël pour encercler la Cisjordanie, renforcer sa « cantonisation » et séparer ses colons juifs de la population autochtone. À deux pas (moins d’un kilomètre et demi) s’est installée, en Territoire palestinien occupé, la colonie israélienne d’Anatot, un nom biblique. On ne voit pas immédiatement le rapport avec l’excursion. On va tristement découvrir que c’est essentiel.

“La bible est notre mandat”

Le temps, ce jour-là, est exécrable. Pourtant, Milad, le fils d’Abed, est pour une fois enthousiaste à l’idée de faire autre chose que de s’asseoir sur le banc d’école. Il monte dans l’autobus, mais n’arrivera jamais à destination. Sur cette route cabossée de Cisjordanie, il pleut à verse. Sous l’orage, l’autobus est percuté par un camion conduit par un Palestinien. Renversé, il prend feu à l’avant. Deux personnages de cette tragédie vont alors se révéler héroïques. L’enseignante, Ula Joulani, se précipite au milieu des flammes et sauvera plusieurs enfants. Avant elle, Salem, un autre Palestinien habitant du coin, a été le premier à entrer dans le feu. Durant 34 minutes, personne d’autre ne s’approchera du bus en flammes : ni policier, ni soldat, ni pompier. Une adulte et six enfants, dont Milad Salama, vont périr. Parmi les rescapés, on comptera de grands brûlés, enfants inclus.

Le livre raconte ce drame qui n’est pas sans lien avec la situation géographique et politique du village-quartier d’Anata, la manière dont il impacte la famille d’Abed Salama et de sa femme Haïfa. Mais il raconte aussi les bouleversements de la vie dans le bourg palestinien et les courants politiques et culturels qui le traversent, ainsi que leurs conséquences dues à l’omniprésence des colons, des services spéciaux israéliens et des militaires, leur façon d’être, de penser, parfois surprenante. Qui sait, note Thrall, que Ben Gourion, juif complètement laïque et qui, comme on dit, mangeait du porc à Yom Kippour, déclarait aussi : « Je dis, au nom des Juifs, que la Bible est notre mandat » ?

Thrall mélange ainsi le portrait des protagonistes, la famille Salama et ses proches, ses amis et ses voisins, leur vie de Palestiniens soumis aux méthodes utilisées par l’occupant israélien pour démanteler leur société, la scinder en groupes différents et si possible aux intérêts antagonistes, sinon hostiles. Ainsi en va-t-il des cartes d’identité à couleurs multiples destinées à octroyer aux uns et aux autres un statut différent qui augure lui-même d’une vie différente, selon que l’on dispose d’une carte jaune ou verte, ou autre. À 500 mètres près parfois, la différence de statut est telle qu’on ne sait plus à quelle règle on est soumis. Lorsqu’Israël construisit son « mur de protection », note Thrall, l’enclave qui incluait les quartiers d’Anata, Shuafat et Kufr Aqab passèrent d’un coup de l’autre côté de la barrière. Du jour au lendemain, 100 000 Palestiniens se virent privés des services fournis par la municipalité de Jérusalem : plus de pompiers, plus de police, plus d’ambulanciers. Seule l’armée y entrait. Lire La Suite ICI

Share

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *