Cinémas d’Afrique. Le Rif, salle mythique de la ville érigée en 1937, a été transformé par une bande d’idéalistes en un cinéma d’art et d’essai. Par Roxana Azimi et Ghalia Kadiri pour Le Monde
Il y a quelque chose de mythique, presque légendaire, qui saisit le visiteur de la cinémathèque de Tanger. Est-ce son architecture Art déco, avec sa façade colorée, son sol en terrazzo et son mobilier rétro, qui nous entraîne dans le Tanger cosmopolite des années 1950 ? Ou peut-être ses collections de bobines et ses vieilles affiches de films en noir et blanc accrochées aux murs ?
On se croirait encore au Rif, cinéma mythique érigé en 1937 à cet emplacement, où les cinéphiles du monde entier se croisaient, à l’époque où la scène artistique de la ville bouillonnait.
Seules les sonneries des smartphones ramènent à la réalité. Dans le Tanger moderne, envahi par les pirates de films commerciaux, le cinéma est à la peine et les salles d’époque tombent en ruine. Le Maroc en compte une trentaine au plus, des salles commerciales pour la plupart. Mais la cinémathèque de Tanger fait figure de résistance.
« En 2005, le cinéma Rif passait des films de Bollywood, raconte Mohamed Lansari, directeur de la cinémathèque. Il a failli être détruit. » Voué à devenir un supermarché, comme d’autres établissements déjà transformés en centres commerciaux, le cinéma est sauvé par une bande d’idéalistes.
« Un enjeu symbolique et politique »
A leur tête, une artiste marocaine reconnue, Yto Barrada. Pour cette Tangéroise, le cinéma est une vieille passion. En 2002, déjà, elle rêvait de reconvertir la gare locale en salle obscure, avant que le site ne devienne finalement un commissariat.
« On ressentait tous un orgueil blessé en se rappelant que c’est à Tanger que s’est tenu le premier festival de cinéma au Maroc », se souvient la photographe, qui vit désormais à New York. Lorsqu’elle découvre que le Rif est à vendre, elle remue ciel et terre, pour finalement le racheter en 2004 avec le producteur français Cyriac Auriol.
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Pas question d’ouvrir une salle de plus. Yto Barrada rêve d’une « cinémathèque », alors même qu’il en existe une depuis 1994 à Rabat. « Il y avait un enjeu symbolique, politique, martèle-t-elle aux sceptiques. Il fallait sauvegarder le patrimoine, préserver les archives et montrer un cinéma affranchi de l’hégémonie des films commerciaux. »
Pas simple toutefois de s’improviser exploitant de salle, qui plus est d’art et d’essai. Dans L’Album de la cinémathèque de Tanger, publié par la Librairie des colonnes et le centre d’art Virreina, l’artiste Bouchra Khalili, qui s’occupera de la programmation du lieu, rappelle qu’il leur « a fallu apprendre à parler la langue des distributeurs, comprendre ce qu’est un ayant droit ».
Une rénovation de plus d’un million d’euros
Et surmonter l’implacable bureaucratie marocaine. « On ne nous prenait pas au sérieux, se souvient Yto Barrada. Les distributeurs nous parlaient divertissement, nous, on parlait culture. »
Par le biais du réseau de salles Europa Cinémas, elle rencontre l’architecte Jean-Marc Lalo, qui venait tout juste d’achever un cinéma à Kaboul, en Afghanistan. Entre ces deux militants, le courant passe d’emblée. « Je voulais un projet de réaménagement discret », explique l’architecte, qui veille à garder la façade dans son jus, « pour donner le sentiment d’une continuité ».
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En revanche, il restructure la longue salle mal proportionnée, construite initialement pour 600 personnes. En la réduisant à 350 fauteuils, l’architecte la double d’une seconde salle de 50 places, permettant de passer des documentaires, des courts-métrages et d’organiser des ateliers dédiés à l’art vidéo ainsi que des débats.
Au début, le budget est serré : il faut faire preuve d’astuces. A Milan, la bande rachète les fauteuils d’un cinéma qui venait de fermer. Aux puces de Tanger, ils retrouvent les vieux luminaires qui ornaient autrefois la salle. La rénovation du lieu coûte finalement plus d’un million d’euros, financée par l’Etat marocain, le réseau Europa Cinémas, et l’appui de structures privées telles que la Fondation Ford et le fonds néerlandais Prince Claus… La suite de l’article ici: Lemonde.fr/afrique
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