Julius Nyerere et l’âge d’or de la Muziki Wa Dansi

Julius Nyerere est l’une des grandes figures du panafricanisme. Mélomane averti, il contribua à l’émergence des grands orchestres et de “musique de danse” en Tanzanie. Lucas Keen pour pan-african-music.

Affectueusement surnommé « Mwalimu » (le professeur), celui qui est né il y a tout juste un siècle cette année et qui fut, entre autres, le premier président de la Tanzanie, a définitivement sa place au panthéon des figures panafricaines. Non seulement Julius Nyerere fut un activiste, militant associatif et homme d’État, mais il laissa aussi une trace durable comme l’universitaire et le poète qui, le premier, publia une traduction en kiswahili de plusieurs œuvres de Shakespeare : Jules CésarMacbeth, et Le Marchand de Venise. Si son premier fait d’armes culturel aura été l’appropriation des canons littéraires du colonisateur, on ne peut ignorer les autres contributions culturelles du président Julius Nyerere, notamment à travers sa politique de financement public des groupes de musique qui allaient composer la bande-son d’une époque, inventant alors un nouveau son baptisé la Muziki Wa Dansi.

Neveu musical de la rumba congolaise, la Muziki Wa Dansi – ou plus simplement « dansi » parfois aussi appelé « jazz swahili »  (le terme « jazz » étant l’étiquette fourre-tout très usitée à l’époque parmi les big bands africains)-  est une musique de « danse sociale » dont on trouve l’origine dans les grands ensembles musicaux organisés en coopératives, dans le but de promouvoir et préserver les valeurs politiques de Nyerere. La carrière des grands noms du genre comme l’Orchestra Safari Sounds, le Mlimani Park Orchestra et le Maquis International aura bénéficié d’une belle longévité, notamment ce dernier ensemble dont le succès aura fait la fierté de tout un pays, non sans l’appui de son président.

Un homme d’idées

Né le 13 avril 1922 à Butiama, un village du nord de ce pays alors dénommé Tanganyika, Julius Kambarage Nyerere était le fils d’un chef régional. De quoi permettre au jeune garçon, bien que né à l’ époque coloniale, de percevoir très tôt la réalité d’une administration menée par un responsable africain, ainsi que de développer une compréhension profonde du fonctionnement communautaire villageois. Étudiant brillant, Nyerere suivra une formation de professeur à l’université de Makerere en Ouganda, avant d’obtenir un master à Édimbourg, en Écosse. De retour au pays, il enseigne  dans des écoles, tout en s’engageant de plus en plus en politique. C’est ainsi qu’il finit par devenir président de l’Association africaine du Tanganyika, un organisme qu’il transforme peu après en Union Nationale Africaine de Tanganyika (TANU, Tanganyika African National Union).

S’en suit une décennie d’activisme, de militantisme et d’apprentissage politique durant laquelle Nyerere parvint à surmonter l’inertie et les pièges d’une administration coloniale qui refusait de se rendre à l’évidence et d’accepter que ce fils de chef coutumier devient le premier président du Tanganyika le 9 décembre 1961, une nation rebaptisée Tanzanie en 1964 lors de l’union avec Zanzibar, l’archipel au large de la côte Est.  Dès son entrée en fonction comme chef d’État, Nyerere ne tarde pas à publier le fameux texte intitulé « Ujamaa » (la famille), rien de moins qu’un traité sur la notion de collectivisme dans lequel le pédagogue devenu président couche sur papier une bonne partie des idées qui allaient nourrir ses deux décennies de présidence en Tanzanie.   En tant qu’enseignant, « Mwalimu » (le professeur) n’eut de cesse de mettre l’accent sur l’éducation, qu’il a toujours eu à cœur de transmettre en langue kiswahili. C’était selon lui une façon pour le peuple Tanzanien de se libérer de la langue du colonisateur, et de développer une pensée indépendante.

Alors qu’il mettait en avant les notions d’autonomie et d’économie coopérative, Nyerere appela logiquement à la « villagisation » de la production, structurée par le sentiment d’appartenance à la nation Tanzanienne plutôt qu’aux tribus locales. Il expliquait ainsi sa recherche d’une voie de développement originale, moderne et africaine : « Le fait d’avoir été en contact avec une civilisation qui donne trop d’importance à la liberté de l’individu nous place effectivement face à un des problèmes majeurs de l’Afrique dans le monde contemporain. Et ce problème, poursuivait Nyerere, est le suivant : comment peut-on à la fois bénéficier de la société européenne – des bénéfices offerts par une organisation basée sur l’individu – tout en préservant notre propre structure sociétale africaine dans laquelle l’individu est le membre d’une sorte de collectif. »

Des idées à la musique

Dans le même élan, reconnaissant le potentiel de la musique, capable d’attiser la fierté de la toute nouvelle république (tout en se faisant le véhicule idéal pour valoriser la langue kiswahili), Nyerere décide de mettre en place un système de parrainage où les groupes pourraient prétendre à une aide financière du gouvernement, des institutions ou associations.   C’est ainsi que naquit l’ensemble mythique Nuta Jazz Band, qui décida de se baptiser ainsi d’après son principal mécène, la NUTA – pour National Union of Tanzania (« Syndicat National de Tanzanie »).

Empruntant à la rumba congolaise – le son de la nuit de Dar Es Salam depuis les années 1950 – des groupes comme le Nuta Jazz Band s’attelèrent à employer la même technique d’harmonisation vocale sur les lignes de guitare, à ceci près que la langue serait le kiswahili plutôt que lingala. Pour le reste, comme dans la rumba,  les cuivres répondent au chant choral et cet ensemble harmonieux finit en jam et en feu d’artifice lors du « sebene », cette longue outro taillée pour la danse, typique de la rumba congolaise. La Suite ICI: https://pan-african-music.com/julius-nyerere

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