Poète en vadrouille comme il se définit, Assane Dieng, auteur du merveilleux recueil « Premières pluies », pose un regard captivant sur l’exposition « Gare Yi : les lignes de combat » de Massow Ka – El Junio, au musée de la photographie à Saint-Louis.
Parcourir les œuvres du photographe Massow Ka – El Junio nous rappelle à quel point Margaret Bourke-White avait raison de dire : “La photographie, c’est l’art de saisir l’âme d’un instant.” En effet, l’exposition Gare Yi met en lumière des vestiges du chemin de fer sénégalo-malien et, chacune des photographies est une histoire racontée.
Cette exposition est à la fois un témoignage, un combat et un voyage au cœur des lignes de chemins de fer qui ont rythmé le vécu de milliers de cheminots et leurs familles et forgé l’imaginaire de plusieurs générations de voyageurs, de marchands et de citoyens lambda.
Conscient de sa capacité à porter des combats en tant qu’artiste, Massow Ka a fait des gares abandonnées son champ d’action afin de partager avec nous ses questionnements quant à la réhabilitation du chemin de fer au Sénégal notamment la revalorisation et la modernisation de la ligne Dakar – Bamako, annoncée par le président Macky Sall lors de son discours de nouvel an le 31 décembre 2019. Ainsi, lorsque Massow Ka pose son objectif sur ces gares désertes, il s’agit d’abord d’un rappel fait à l’autorité mais aussi une interpellation de la conscience collective face à la décadence de ce qui fut, jadis, le symbole d’un Sénégal qui bouge, qui vit.
Les lignes de combat de Massow Ka s’inscrivent donc dans une logique de mémoire, autant pour les autorités en charge de la réhabilitation et de la sauvegarde des chemins de fer que les citoyens lambda qui, eux aussi, ont un rôle important à jouer dans ce processus de sauvegarde et de mise en valeur. Cela d’autant plus que l’artiste met, d’entrée, le public devant ses responsabilités à travers un focus sur la transformation en marché de la gare de Saint-Louis. Dès lors, Massow Ka – El Junio suggère une question centrale : Qu’avons-nous fait de ces gares abandonnées ? La réponse se passe de commentaires et est visible tout au long du trajet que le photographe offre à notre regard.
El Junio nous embarque dans un voyage en train au fil des couleurs du chemin de fer. Chaque photo est une halte et constitue un témoignage inédit. Les visages rencontrés sont multiples et prennent plusieurs formes si bien que les émotions s’entremêlent aux souvenirs qui habitent chaque visiteur de cette exposition. Cette performance esthétique nous fait presque oublier l’état de décrépitude dans lequel se trouvent ces gares et transporte dans un univers artistique fait de couleurs et de poésie.
Assurément, Massow Ka – El Junio aura réussi à donner vie à ces vestiges du chemin de fer et à poser un regard empathique sur ces gares abandonnées afin de nous inviter, dans un autre langage, à écouter plus souvent les choses que les êtres, faisant écho à ce poème de Birago Diop, Souffles.
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