FELAGRAPHIE : le roman de Fela Anikulapo Kuti

Alors que l’exposition Rébellion Afrobeat a ouvert ses portes à la Philharmonie de Paris PAM  – partenaire de l’événement, vous propose de lire ou relire le parcours de l’inventeur et roi de l’Afrobeat. Un récit biographique en trois volets, publié tous les lundis, écrit par le journaliste François Bensignor, qui a contribué au catalogue de l’exposition.  Source: François Bensignor pour Pan African Music

Les années d’enfance de Fela ? Une interminable corvée selon lui. La vie chez ses parents à Abeokuta, la capitale des Egba ? Un univers de contraintes quotidiennes, entre la messe, l’obligation de se tenir droit, d’être poli, de respecter les injonctions des adultes, etc. Dans l’école secondaire qu’ils dirigent, les époux Ransome-Kuti font régner une discipline de fer, appliquée à tous les élèves sans distinction. Aucune différence n’est faite entre les jeunes pensionnaires et les enfants de la maison, qui ont pour obligation, comme dans toute bonne famille à l’époque, d’appeler leur père « Sir ». La tendresse n’était pas au programme de l’éducation paternelle du pasteur “Daodu” Israël Oludotun Ransome-Kuti (1891-1955). Quant à la mère de Fela, Funmilayo Ransome-Kuti (1900-1978), elle sait se montrer tout aussi implacable, faisant pleuvoir les punitions corporelles à tout instant et pour les motifs les plus anodins.

Troisième enfant du couple d’enseignants, Fela avait 12 ans d’écart avec sa sœur aînée Dolupo et 11 ans avec son frère Koye. Seules deux années le séparaient de son cadet Beko, dont il était très proche. Tous feront leurs études en Angleterre, mais seul Fela ne choisit pas médecine. Dolupo sera infirmière à Lagos. Koye mènera une belle carrière de pédiatre, enseignant à l’université de Lagos, puis de ministre de la Santé de 1985 à 1993, avant d’intégrer l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Beko exercera comme médecin généraliste et s’impliquera dans le Mouvement radical des médecins. Sa clinique privée allait dispenser des soins aux populations démunies des quartiers pauvres de Lagos, son engagement et ses actions politiques lui valoir la prison. Cette génération Kuti n’est plus de ce monde.

Le « Club Sans Projet »

Fela n’a jamais vraiment aimé l’école. Sa réputation de forte tête s’impose dès l’enfance. Brillant dilettante, il ne fait que ce qu’il a décidé de faire, ne développe aucun intérêt pour la lecture, ni pour le travail quotidien… En revanche, très tôt il montre son amour du spectacle et des dispositions pour la musique. C’est le seul domaine dans lequel Fela excelle, héritant en cela de son père, bon pianiste, qui avait notamment composé l’hymne du peuple Egba.

Malgré les allures de garçon bien élevé que lui impose son éducation, Fela s’entend parfaitement à faire les 400 coups dans ses années de lycée. Alors qu’il fêtait son cinquantième anniversaire, il racontait à une poignée de journalistes : « J’ai toujours volé l’argent de ma mère et de mon père. Quand ils me pinçaient, ils me battaient comme plâtre. Mais ils avaient beau me battre, je continuais à les voler. Ils me battaient et je les volais. C’est mon père qui a réussi à me faire arrêter de voler son argent, tout simplement parce qu’il n’en avait plus… » Fela aimait ce genre d’humour scabreux qui le faisait exploser d’un rire contagieux : son père mort, comment continuer à le voler? Et de poursuivre en racontant que, comme sa mère gérait l’école, il y avait toujours beaucoup d’argent à lui voler et que plus elle le battait, plus il la volait. « Parce que je ne considérais pas cela comme du vol. Pour moi, c’était user des biens de ma mère : elle ne me donnait jamais d’argent et je n’avais nulle part où en trouver sinon à l’extérieur. Or je refusais d’aller voler à l’extérieur. J’ai donc continué à voler ma mère jusqu’à ce que je quitte son école… Et je ne suis pas devenu un voleur ! »

À 18 ans, Fela montre déjà sa soif de justice et son aptitude à fomenter la rébellion. Alors qu’un match de football amical a été organisé entre l’équipe de son école et celle de la police, les élèves qui veulent y assister sont refoulés à l’entrée du stade. On veut leur faire payer leur place. Or, ce sont eux qui assurent l’entretien de la pelouse et le terrain de l’école est fourni gratuitement. Pourquoi devraient-ils payer pour voir jouer leur équipe ? C’est l’argument que Fela développe devant ses camarades, qu’il convainc de le suivre afin de réparer cette injustice. La petite troupe se poste alors aux abords du stade. D’un coup de sifflet, Fela déclenche l’assaut. Pris par surprise, débordés par les étudiants en surnombre, les policiers qui contrôlaient l’entrée sont contraints de se replier.

Suite à ce petit exploit, dont il s’est tiré sans heurt, Fela fonde le Planless Club (Club Sans Projet) avec une belle brochette de déconneurs. C’est leur manière de s’opposer au Club des garçons sérieux, qui publiaient le journal de l’école. Eux ont pour projet de ne pas en avoir et pour seul idéal la désobéissance. Fela emprunte la voiture de sa mère pour emmener sa petite bande danser la nuit dans les boîtes de Lagos. Leur Club Sans Projet attire d’autres adhérents et édite son journal, le Planless Times. Les six garçons qui assurent le comité de rédaction de cette publication vaguement nihiliste deviendront tous des personnalités de la société nigériane.

Fela a 20 ans quand il achève ses études secondaires. Son jeune frère Beko, qui les avait commencées en même temps que lui, avait déjà intégré une faculté de médecine britannique. Fela n’est pas décidé : « Les matières qu’on m’avait enseignées étaient la Religion, la Littérature anglaise, le Yoruba, la Biologie, la Physique, la Chimie et les Arts (…), disait-il. J’étais incapable de faire quoi que ce soit. Alors je suis allé travailler comme employé de bureau au ministère du Commerce et de l’Industrie… Heureusement Beko m’a sauvé. J’étais alors un petit gars de Lagos comme les autres. Je n’avais aucune ambition. Ma mère m’avait payé un vélo et j’étais content comme ça… L’Angleterre, ça ne m’intéressait pas. Tout le monde y allait, même mes copains… Alors quand Beko a su que je me baladais à vélo dans tout Lagos, il m’a trouvé une école de musique en Angleterre. Il a écrit à ma mère et m’a dit qu’il fallait que je vienne à Londres par n’importe quel moyen pour passer mon examen. » La Suite ICI: https://pan-african-music.com/felagraphie

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