Mabousso Thiam a fini de dérouler son élégance pour nous exprimer sa joviale fierté et son constant bonheur d’être sénégalais. Il est parti comme il a vécu, sans embêter personne, vivant sa maladie avec dignité, et se servant des rares moments de répit qu’elle lui accordait, pour aller taquiner des cordes de guitares, comme le 18 juin dernier dans un club de Fann Hock, symbolisant à lui seul le Djolof qu’il aimait tant. (Publié le 27 juillet 2021)
La nouvelle a l’effet d’une déflagration. Trop tôt parti. Au moment où, ce pays, qui semble à la dérive a encore tant besoin de gens de son acabit. Juriste très compétent et grand spécialiste du secteur privé dont il était peut être un des meilleurs experts en Afrique, Mabousso Thiam n’était pas qu’un fils de… Il était imprégné de ces vertus simples qui posent un homme : Elégance, Humilité, Attention, Compassion, Humour, Respect, Héroïsme et Fidélité. C’est cette dernière vertu que je découvre lors de notre rencontre en 2011 pendant la pré-campagne de Ibrahima Fall.
Un homme engagé
Ancien étudiant du professeur à la faculté de droit de Dakar, il est resté attaché à lui et lorsque ce dernier se prépare à descendre dans l’arène politique, naturellement Mabousso rejoint son équipe. Il en sera un des éléments clés avec Alpha Waly Diallo, Cheikh Fatma Mbacké, Bouba Diop, Malick Sy… Il participera à toutes les manifestations et marches. Il sera aussi le chargé du programme du candidat Fall. J’arrive bien plus tard dans la team de Ibrahima Fall dans la commission Communication que dirigeait Malick Sy et dans laquelle se trouvaient entre autres Nathalie Dia et Pape Amadou Konté. J’ai une forte pensée pour eux en écrivant ces mots car nous formions un trio efficace et complice. On me demande de coordonner la sous-commission Médias.
Dès mon arrivée, j’établis un media-planning assez dense et le candidat fait le tour des télés et des radios. Quelques jours plus tard, au cours d’une réunion à laquelle prend part Mabousso, il s’approche de moi et m’interpelle : « Amadou ? »… « Oui » répondis-je… « tu fais du bon boulot ». C’était notre véritable première rencontre et depuis ce jour, une estime réciproque est née et nous liait. Si bien que lorsque je proposa que les personnalités de la coalition Taxaw Teem sortent dans les médias, il soutint ma proposition et séance tenante me dit : « Amadou, prends mon numéro, trouves les émissions et appelles-moi-même à deux heures du matin. » Il était comme cela Mabousso. Apprêté pour toutes les situations ! Généreux !
Le Walo son terroir revendiqué
Avant de le rencontrer, je ne connaissais que Mabousso Thiam le fils de… l’ancien premier ministre Habib Thiam. En le fréquentant, je découvris « Mabousso », un homme d’une dimension exceptionnelle. Mabousso Thiam est un boy Dakar pur jus et un Walo-Walo fier de ses racines. « Mes vacances je les passais à Dagana et Gaya quand j’étais plus jeune. Le Walo c’est ma terre. J’y retourne régulièrement » me confia-t-il un jour. Et lorsque je lui fais savoir que moi aussi mon grand-père Assane Diop Pathé était de Dagana, il écarquille les yeux : « Non Assane Diop Pathé n’est pas ton grand-père ? ».
L’histoire raconte que le patriarche des Thiam, Amadou Thiam Fatim Seye était lié à mon aïeul Pathé Diop et sont partis ensemble de Nianga Edy pour s’installer à Dagana. À la mort de Pathé, Amadou Thiam déclara : « Si mon amitié avec Pathé Diop, est véridique, alors je partirai avec lui. » Le boeuf immolé pour les funérailles de Pathé servira aussi pour les funérailles d’Amadou Thiam…Liés jusqu’à la tombe. Cela aussi, peut-être, renforça nos relations. Oui Amadou Thiam Fatim Seye est le père de Mabousso, Mabousso père de Habib et Habib donna naissance à Mabousso qui porte le nom de son grand-père. Mabousso Thiam est originaire de cette célèbre famille de Dagana et du Walo tant chantée par les grands griots. Fier de ses origines, il était devenu le protecteur et le rassembleur de la grande famille de Amadou Thiam Fatim Seye comme l’a si bien rappelé mon ami et frère, Malick Thiam cousin du défunt. Conscient de la richesse culturelle de son terroir, il plaidait toujours pour que la politique touristique du pays sorte du diktat de la mer et du soleil.
« La région du Walo et les autres terroirs du pays sont tellement riches qu’il faut que l’on arrête de vendre la destination Sénégal en ne mettant en évidence que la mer et le soleil. Les lieux historiques, mais aussi les savoirs ancestraux doivent être valorisés » défendait le walo–walo. Le Walo, mais aussi la Casamance et…le Rwanda. De ce pays, son attachement était indescriptible. Un amour, des moments héroïques pour ceux qu’il aimait et l’éternité pour les relations qui le lient à eux.
Sorti de l’Université Cheikh Anta Diop (UCAD) de Dakar avec une Maîtrise en Droit Privé, Mabousso Thiam fréquentera plus tard l’Institut International de Banque et d’Économie de Chypre et entame sa carrière professionnelle dans le secteur du négoce en France, puis rejoint le service Relations Publiques de la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Toujours au sein de la banque, il intègrera le département crédit et s’occupera d’audit et d’inspection des banques commerciales mais également de restructuration du système bancaire. En 1988, il se retrouve à la tête de la SOCA, une entreprise agro-alimentaire spécialisée dans les produits laitiers, qui ne sera pas un grand sucées. En 1997, Mabousso fonde Assistance et Conseil aux Entreprises (ACE) avant de devenir Secrétaire exécutif du Réseau de l’Entreprise en Afrique de l’Ouest. Il travaillera pour la Banque mondiale, la BAD et l’USAID avant d’être nommé à Bruxelles comme Directeur Général du Centre pour le Développement de l’Entreprise.
La Culture comme socle de l’économie du développement
Mabousso avait une immense culture. Alors qu’il préparait le programme du candidat Fall, je fus séduit par la place qu’il accordait à la politique culturelle : « Un pays est grand par sa culture » répétait-il. À la fin de la campagne électorale, notre candidat ne fut pas élu mais tout le monde reconnaissait que n’eut été son entrée tardive, Ibrahima Fall aurait pu mieux faire. Son programme aussi fut plébiscité et Macky Sall en reprit certains points sans les appliquer convenablement d’ailleurs. Chargé de la coordination de dossiers à Réussir le mensuel d’économie, mon chemin recroise Mabousso, nommé fraichement Directeur Général de l’Agence de Développement et Encadrement des PME (ADEPME). Il m’accorda une longue interview pour le compte de ce magazine. Dans des locaux, qu’il avait organisés en open space, proches de ses collaborateurs, il m’avait accueilli avec sa gentillesse et son sourire légendaires. Notre entretien prévu pour 45 mn dura deux bonnes heures. Nous partîmes de l’entreprise et de l’agriculture, au secteur informel en passant par le stylisme, l’industrie culturelle évidemment et la musique. J’aimais bien cette approche globalisante qu’avait Mabousso du développement. Lorsqu’il parle d’économie, il te parle des variétés de mangue, de Selly Raby Kane, d’un menuisier qui cartonne, des nouvelles tendances musicales ou du dernier photographe à la mode. Il s’intéressait aux tremblements et frémissements du pays. Peu de gens savent que Mabousso guitariste et membre de l’Association des Musiciens du Sénégal (AMS) a écrit les textes juridiques de l’Association.
Un homme de vision et de valeurs
Son passage à l’ADEPME a été marqué par des mesures phares comme le concours de Business Plan pour financer des projets innovants. Lorsqu’on lui demandait quel modèle de PME le Sénégal doit avoir ? « J’entends parler de modèle allemand, chinois, indien mais ce qui est le plus important est de trouver un modèle bien sénégalais qui réponde à notre spécificité. En puisant dans nos valeurs traditionnelles et en s’inspirant de bons modèles ailleurs on peut inventer quelque chose d’originale » répondait-il.
Un jour, alors que je l’avais convié à la cérémonie de dédicaces de l’ouvrage « Comprendre les Investissements au Sénégal » (Harmattan) du Docteur Pascal Oudiane, il arriva et me souffla : « Trouve-moi une bonne place dans le public ». À un moment je viens lui dire qu’on avait un souci parce qu’un des 4 intervenants prévus à la table de l’auteur ne serait pas là … il ne me laissa pas finir : « Amadou d’accord. Allons–y » avec une bonté rare. Disponibilité toujours… Bien nous en a pris. Le DG de l’ADEPME qu’il était à l’époque fera une communication remarquable sur les freins à l’investissement et donnera plusieurs pistes pouvant aider à financer le développement, en puisant dans la tradition et la culture. Il apostropha même un intervenant qui parlait un peu trop à son goût de Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE).
« Au Sénégal, la notion de RSE devrait être une notion abstraite. Vous croyez que les Djily Mbaye, Ndiouga Kebe et surtout aujourd’hui Aliou Sow de la CSE ont attendu la RSE pour faire ce qu’ils font dans le domaine social ? En nous enracinant davantage on remarquera qu’on n’a pas besoin d’aller chercher des façons de bien faire ailleurs » affirmait le manager.
Une curiosité à 360°
Beaucoup de ce qu’il portait par exemple était confectionné par les artisans locaux. Tu pouvais le croiser le matin prenant la parole dans une réunion d’experts de la Banque mondiale, le revoir l’après-midi à une exposition d’un artiste-peintre et l’apercevoir le soir à un mimi-concert jazz dans un endroit où seuls les amoureux fous de musique se rendraient. Même lorsqu’il quitta l’ADEPME ce rituel continuait. C’est ainsi qu’on se voyait très souvent sans le décider mais à chaque fois il me prenait en aparté autour d’un café si possible. Discussions sur l’économie, la politique, l’Afrique, l’engagement, les valeurs, la musique. À la mort de Habib Faye le fabuleux bassiste dont la famille considérait Mabousso comme leur frère et membre à part entière, on parla longuement de la maladie, de la souffrance, de la mort, de la famille, de l’amitié… un des derniers moments passés à discuter profondément. Mabousso accompagnera la sortie de l’album posthume de Habib qu’il réalisa avec le fabuleux koriste Ablaye Cissoko.
Lorsque je quittai momentanément le monde de l’économie et débarquai dans la presse culturelle Music In Africa puis Pan-African Music, Mabousso Thiam lui, venait de démissionner de la présidence de la Commission de supervision de la Haute Autorité du WAQF un poste où il avait été nommé le 19 avril 2017. Par amour de la musique et pour mon travail, je me rends au Festival de Jazz de Saint-Louis. J’ai rendez-vous avec le professeur Felwine Sarr à l’hôtel de la Poste. Et qui je trouve au bar ? Grand Mabousso… « Tu es venu pour le Festival ? » « Oui, oui je viens couvrir » « Mais sama rak tu es dans l’économie ou dans la culture ? ». On en rigole… Felwine arrive. Je découvre ce jour-là qu’ils sont très proches (le témoignage de l’économiste sur sa page Facebook à l’annonce du décès de Mabousso en dit peu sur leur amitié). Finalement, nous restons ensemble une bonne partie de l’après-midi. Avant de prendre congé, Mabousso me dit : « Je loge dans cet hôtel le temps du festival. Après j’irai pour quelques jours à Dagana. En attendant, tous les matins tu viens ici on petit-déjeune ensemble, tu vas vaquer à tes activités de reporter et le soir tu reviens on dine ensemble. Voici le programme. Ne me fausse pas nak »…Aisha Dème et Aïssatou Paye mes deux compagnonnes de route chaque année pendant le Jazz à Saint-Louis, amies également de Mabousso et qui l’appellent affectueusement « tonton » (Pas Aïcha à qui il disait: « xalebilé so ma waxaté tonton dinaa la gnaf »), savaient où me chercher…Aisha et Aïssatou j’imagine votre peine en apprenant que tonton est parti.
Faire attention aux autres et leur accorder de la considération
Mabousso Thiam, c’est une espèce en voie de d’extinction. Il avait cette particularité, dont ont bénéficié les gens de bonne éducation, taillée dans la rigueur et le respect des autres, qui pouvait faire penser à chacun de ses interlocuteurs, que pendant les 5 minutes qu’il lui accordait, qu’il était la personne la plus importante et digne d’écoute et d’attention au monde. « Faire de sa vie une seule question de « posture » ne peut générer que « des impostures ».
Des compagnons d’enfance, du Plateau des années 60-70, témoignent des comportements amicaux, humbles et empreints de simplicité naturelle, qui traversaient cette génération de garçons et de jeunes filles, astreints à associer excellence et humilité, dans un système d’enseignement public qui faisait de l’égalité une VALEUR-FORCE. Une génération d’hommes à l’aise autant avec les nantis que les moins bien lotis. Il était comme ça Mabousso. Tant et si bien qu’avec Philippe Senghor, Boucounta Diallo, les amis comme Jean Pierre Correa, Abdoul Mbaye, Fabienne ou Pédro Diouf, voire Myriam Thiam sa sœur…, il n’était pas rare de voir Mabousso et toute leur clique aller en boite avec les fils du gardien de Van Vo ou du jardinier du Palais. Sans se soucier de qui était qui. Cela vient d’une forme d’éducation qui se fait de plus en plus rare pour ne pas dire qui a disparu. Une autre époque ! C’est ce sentiment de mélancolie, de nostalgie, d’un Dakar disparu qui flottait ce lundi au Cimetière de Yoff. Nous étions venus dire « ADIEU » à ces élégances torpillées par les arrogances repues de notre époque vouée aux faussaires et autres ectoplasmes qui se révèlent nourris par une actualité aux allures de « TAFF-YENGUEUL », qui fait la promotion de toutes les escrocs intellectuels et politiques.
Des principes de vie simples
Le monde qui a accompagné Mabousso dans sa dernière demeure était nimbé d’une certaine dignité, d’une discrétion certaine et naturelle, qui confine au bon sens et à l’évidence de simples principes de vie. « Pendant tout le temps que mon père était aux affaires, je ne me suis jamais investi en politique. Associer la famille et la République, c’est malsain et sur le plan éthique ce sont des choses à éviter. En tout cas moi quand je dirige une institution publique aucun membre de ma famille n’y est éligible » ainsi parlait Mabousso…
Mabousso avait une humilité sans limite et une simplicité en tout temps. Il avait une connaissance aigüe du Sénégal et des sénégalais, de sa culture, ses traditions, ses mœurs. Il vivait au rythme du pouls de son pays. Avec ses compétences professionnelles, sa compréhension du monde, son élégance et son éloquence, je le taquinais souvent en lui lançant : « tu es le profil idéal du Chef d’Etat qu’il nous faut » … et lui, avec sobriété me répondait en souriant : « t’es le président de mon fan’s club ». Oui. J’étais fan. Comme j’aimais Mabousso !
« Rien ne sert d’être le plus riche du Cimetière »
Le Sénégal se vide de ses grands hommes. Cela fait peur. Pourquoi ne sait-on pas s’en servir de leurs vivants ? Son ami de 47 ans, Emil Wardini a raison de dire que la vie de Mabousso devrait servir d’exemple aux générations futures. « Les valeurs de Mabousso sont celles qui construiront le Sénégal. Ce n’est pas l’ami qui parle mais c’est le citoyen » a t-il témoigné trémolo dans la voix.
Repose en paix Mabousso et que Dieu t’accueille au paradis. Si la dignité qui a entouré ses obsèques et l’unanimité des témoignages à son endroit pouvaient servir d’épitaphe, disant simplement : « C’était un mec sympa… Ce fut un Bel Esprit ». S’en inspirer devrait alors permettre de ne point redouter la mort. Merci Mab’S…
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