ENJEUX D’UNE LOI SUR UN DOMAINE PUBLIC MARITIME ET FLUVIAL AU SÉNÉGAL

Un débat agite ces derniers temps la société sénégalaise, il s’agit bien sûr, de manière globale les problèmes fonciers, mais plus spécialement la question de la protection du littoral. Cette protection s’entend comme une volonté de mettre fin a une situation ubuesque dans laquelle, surtout à Dakar, on ne sait trop comment des sénégalais puissants parce que nantis ou promus à de hautes responsabilités font main basse sur des terres du littoral. La question est devenue récurrente et tellement grave qu’elle ne peut laisser personne indiffèrent. C’est la raison pour laquelle, il urge de prendre en charge sans faux-fuyant ces préoccupations citoyennes sur la question du littoral. La question se pose dans plusieurs endroits du pays, mais pas de la même manière, ni de la même intensité qu’à Dakar.

En effet, Dakar en tant que presqu’ile, a d’abord des dizaines de kilomètres de littoral, allant de Hann, avec sa baie polluée à Diamalaye, passant, la baie de Kakalam, celle Kootou (Anse Bernard), le Cap Manuel, la Baie de Ngadié, de Soumbedioune, ainsi que toute cette frange côtière allant de Sombédioune aux localités de Ouakam Ngor et Yoff. Dakar est une ville côtière, et non seulement une frange importante de sa population vit de la mer, mais la mer elle-même est un élément de la qualité de vie des populations de Dakar.

Ensuite un autre élément important de la qualité de vie à Dakar, les zones humides, comportant des plans d’eau. Nous avons en avons plusieurs, dans la bande allant de Patte d’Oie au Technopole, dans le Parc de Hann, a Mbao avec le Marigot de Mbao, les plans d’eau de Malika. Toutes ces zones sont de nature à donner plus de potentiel à l’agglomération Dakaroise en termes de durabilité. C’est pourquoi nous aimerions bien inviter l’Etat du Sénégal a prendre les deux mesures suivantes :

1. L’arrêt des attributions sur le littoral :

Il y a quelques années, Monsieur le Président de la République a pu rencontrer sur le terrain les organisations citoyennes dans un contexte agité avec le « Collectif Non Au Mur » et plusieurs autres organisations citoyennes qui s’étaient opposées la construction par une ambassade d’une propriété, suite à la distraction de plusieurs centaines, voire, de milliers de mètres carrés du littoral.

Le Président de la République avait prêté une oreille attentive aux revendications citoyennes, à savoir, l’annulation de l’attribution et l’arrêt des travaux. Dans la foulée il avait promis de mettre en place une commission qui devait travailler sur la question du littoral, mais mieux il avait ordonné l’arrêt sans délai des attributions de terrains sur le littoral.

À mon grand regret, n’ai pas souvenance que la commission promise ait été créée, plus grave, je n’ai pas la preuve qu’on a mis un terme aux attributions sur le littoral Dakarois. L’actualité de ces dernières semaines nous édifie suffisamment. C’est pourquoi, j’invite les pouvoirs publics à mettre effectivement terme a ce qu’il est convenu d’appeler le « bradage du littoral » qui est le fait de quelques fonctionnaires véreux d’élus corrompus et d’hommes d’affaires cupides .

Certes; politiquement le besoin de surfer sur la vague créée par l’indignation et la passion suscitée ces scandales révélés par la presse est réel, mais pour ceux qui sont dans le combat citoyen pour la défense du littoral les positions sont constantes : l’autorité doit sévir face à une telle situation qui heurte l’opinion. Surtout quand ces derniers temps des scandales fonciers éclatent avec récurrence.

On a donné à une société Marocaine des hectares de la réserve foncière publique libérée de l’ancienne Gare Routière de Sapeur Pompiers au détriment du dynamique secteur du BTP national. Résultat : la présence de ces marocains qui nous a valu un chantier qui s’enlise depuis plus de 5 ans, voire 6 ans, avec à la clé des appartements hors de prix dans des immeubles décriés par les Sénégalais.

Autres scandales révélés

Ces derniers jours d’abord une seule personne qui s’est vue attribués 5000 m2 de terrain pour usage d’habitation par distraction du littoral. Lequel littoral est par essence non ædificandi !…

Ensuite autre cas, un marabout, se voit attribuer a Dakar a lui seul 9 000 m2.Enfin la dernier scandale révélé par la presse il semblerait que le Directeur des Impôts et Domaines aurait « offert » 5000 m2 de terrain à un ministre.

J’arrête sur ces trois cas la douloureuse énumération des scandales fonciers, pour retenir que l’honnête citoyen confronté au difficile quotidien peut être choqué.

En effet, a un moment où des milliers d’humbles Sénégalais se battent pour accéder à un toit sur des parcelles de 150 à 200 m2 carrés , parfois dans des zones inondables, de tels scandales se passent chez nous.

Mesurons comment sont bafouées les règles et principes élémentaires d’équité de nos politiques d’habitat social : lorsque vous êtes candidat a un logement social, il vous est habituellement demandé de justifier que vous n’avez pas de maison, à ce titre vous serez éligible pour disposer d’une parcelle comprise entre 150 et 200 m2 et dans des zones très reculées.

Si bien qu’il me semble que nos décideurs doivent faire preuve d’empathie en se mettant à la place du plus humble Sénégalais, en décidant purement et simplement de ne plus accorder d’attribution sur le littoral.

2. La mise en place d’une commission technique pour l’élaboration d’une loi sur le domaine public maritime et fluvial :

Le domaine public et maritime est éminemment stratégique dans le développement du Sénégal, nous dirons même que le domaine public maritime est un capital.

Au demeurant, le Sénégal a une façade maritime de 750 km s’ouvrant sur un plateau continental de 31 000 km2, donc économiquement, et du point de vue position géographique notre ouverture sur l’Océan Atlantique est un atout qui ne se discute plus.

Mais alors faudrait-il que ces atouts bénéficient au plus grand nombre de Sénégalais, pour il faudrait que cessent les pratiques que nous dénonçons.

C’est pourquoi, nous sommes restés sur notre faim lorsque dans leur sortie il y a quelques jours, les ministres de l’environnement, celui de l’urbanisme et de l’hygiène publique, ainsi que le ministre des mines et de la géologie ont fait savoir qu’il y aurait une « loi sur le littoral dans le circuit » et qu’un aménagement sur 32 kilomètres de littoral est prévu. Ceci appelle des observations.

La première, est que dans les organisations citoyennes la demande la plus insistante n’est pas une « loi sur le littoral » mais plutôt une loi sur le domaine public maritime, j’y ajoute le domaine public fluvial.

Cela a bien un sens parce que d’abord en droit , domanialité publique du littoral et des berges des fleuves et plans d’eaux assimilés nous permet, par des principes et mécanismes de détachablité par rapport à la loi sur le domaine national et autres textes comme la loi 2002–22 du 16 Aout 2002 portant Code de la Marine Marchande, de nous doter d’un ensemble des règles spéciales auxquelles seront soumis biens rigoureusement intégrés dans le giron des biens publics. Autrement, partant de la maxime «de specialia generalibus derogant » le spécial déroge au général, la domanialité publique, vise à mieux sécuriser, dans l’intérêt des générations présentes et à venir les littoraux et le domaine fluvial.

Ainsi, de par ce régime juridique d’exception, l’Etat pourra en encadrer l’affectation, garantir l’inaliénabilité, l’insaisissabilité, l’imprescriptibilité ou encore organiser les modes d’utilisation.

La domanialité publique sollicitée place alors l’Etat et ses démembrements en position de force, en termes de capacités de négociations dans les projets de mise en valeur des espaces sis dans l’assiette foncière du domaine public maritime et fluvial.

Ensuite et c’est le corollaire ce régime de domanialité, cela nous permettra de réactualiser la loi 76–66 du 2 juillet 1976 portant Code du Domaine de l’Etat, en ses dispositions organisant la gestion du Domaine public naturel.

Et du même coup de valoriser le réseau hydrographique et les zones humides de l’agglomération Dakaroise précités : Technopole, lac du Parc de Hann, marigot de Mbao, Malika et Lac Rose.

Certes la zone humide du Technopole en raison de sa biodiversité est sur le point de passer en site Ramsar, mais pour le Lac Rose une urgence se pose, car cette zone étant en passe de devenir dans un proche avenir une zone urbaine, des spéculateurs fonciers sont en train de procéder à l’occupation anarchique des berges du lac.

Si bien que, lorsque les populations vont s’y établir dans un proche avenir, elles seront privées d’un accès à un espace de vie aussi important que lesdites berges.

Il faut alors anticiper sur cette question, même sans attendre l’adoption d’une loi sur le domaine public maritime et fluvial afin de maintenir les berges du Lac Rose dans le giron des biens publics.

La seconde observation, est que la question du littoral des berges des fleuves et zones humides est devenue un débat de société, raison pour laquelle, les organisations citoyennes en ont fait une appropriation.

C’est pourquoi, la loi sur le domaine public maritime et fluvial doit être inclusive et participative.

Ainsi, à la place d’une « loi sur le littoral dans circuit dans le circuit » nous invitons Monsieur le Président de la République à ouvrir une large réflexion, car au-delà du fait que la question est devenue un débat de société, elle revêt un caractère transversal car faisant appel à différente disciplines de l’expertise nationale ou étrangère.

3. Pour un aménagement concerté du littoral Dakarois :

Enfin, en plus de ces observations sur la loi sur le domaine public maritime et fluvial, nous voudrions terminer notre propos par le projet d’aménagement du littoral.

Les ministres dans leur sortie précitée ont parlé d’un futur aménagement de 32 kilomètres de littoral allant du Bloc des Madeleines aux Almadies.

C’est pourquoi, tout d’abord, nous voudrions rappeler que l’Etat, l’ONAS et les populations ont travaillé d’arrache-pied dans le projet de dépollution de la Baie de Hann.

De cet ambitieux projet une gouvernance inclusive et participative a été expérimentée. Le pouvoir central, les autorités déconcentrées, collectivités locales, la société civile et les populations organisées à la base ont travaillé de concert.

Cette expérience pourrait être capitalisée dans l’aménagement du littoral Dakarois.

Ce littoral donne certes un énorme potentiel à Dakar, mais son aménagement reste très complexe eu égard à des facteurs comme le milieu naturel qui exige des études très poussées, des moyens colossaux et des processus faisant appel à plusieurs compétences (Etat, université, expertise internationale, collectivités territoriales société civile).

Il s’agira en effet d’articuler les exigences d’une gouvernance démocratique et celle de l’efficacité par la conduite à une bonne fin sur le plan technique et financier de ce dossier.

Car, comme le posait Pape Moctar Ba Président de la PERL (la Plateforme pour l’Environnement et la Réappropriation du Littoral), dans sa lettre ouverte du 05 Février 2019, nous militons pour « une stratégie globale de développement urbain vert prenant appui sur notre atout littoral pourrait améliorer nettement notre potentiel touristique et donc notre croissance économique ».

On peut alors aisément comprendre de ce qui précède, les enjeux d’une loi sur le domaine maritime et fluvial.

Elijah Moses, Moussa Ndiaye à l'état civil est d'abord un Juriste-Conseil d’Entreprise, Spécialiste de la Gouvernance Locale.Cadre à la Ville de Dakar, il a été Secrétaire Municipal des Communes de Grand Dakar, Dakar Plateau et des Parcelles Assainies. Elijah Moses est son nom d'artiste puisqu'il est également Artiste plasticien. Il pose son regard de juriste et d'artiste sur l'évolution de son Dakar et de son pays. Ces expositions et ses photos sur la capitale sont nombreuses. Pour Kirinapost, Elijah Moses ce citoyen engagé va apporter ses analyses sur la transformation et bouleversement des cités.

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